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La crise politique en Australie

Par Patrick O’Connor
29 juin 2013

Le rétablissement soudain de Kevin Rudd comme premier ministre australien et le retrait de Julia Gillard à moins de trois mois des élections prévues, est un événement sans précédent en politique. Le retour de Rudd est dû aux services rendus par les mêmes agents du Parti travailliste qui l’avait subitement évincé en tant que premier ministre pour mettre en place Gillard lors d’un coup d’Etat interne au parti en juin 2010.

L’extraordinaire bouleversement politique brise l’image superficielle du capitalisme australien qui est assidûment promu par l’establishment politique et médiatique comme étant un bastion de stabilité politique et sociale. Le Labor (Parti travailliste), parti qui a servi pendant plus d’un siècle de pierre angulaire à l’organisation parlementaire et au système bipartite pour le compte de la bourgeoisie australienne, est actuellement secoué par une crise en phase terminale.

Il y a trois ans, le coup d’Etat de 2010 avait été conçu à l’insu de la population australienne comme un moyen de concocter des changements de politique lourds de conséquences, tant sur le plan extérieur qu’intérieur. L’élite patronale avait exigé l’abandon de mesures incitatives relatives aux dépenses datant d’avant la crise financière et associées à Rudd en faveur de l’application de mesures d’austérité visant à réduire drastiquement le niveau de vie de la classe ouvrière. Parallèlement, Washington était déterminé à mettre un terme aux initiatives diplomatiques de Rudd qui cherchaient à faire pression sur les Etats-Unis pour qu’ils cèdent à la Chine une partie de leur influence stratégique en Asie-Pacifique. En la personne de Gillard, le gouvernement Obama avait trouvé un moyen obligeant pour réaligner l’Australie sur son « pivot » agressif en Asie dans le but d’encercler et de préparer une guerre contre la Chine.

Trois ans plus tard, les conflits et les crises qui avaient motivé le coup se sont intensifiés. Le pivot d’Obama, alors prévu comme une stratégie, est maintenant devenu une réalité impliquant un renforcement majeur de l’armée américaine dans la région et des provocations incessantes contre la Chine qui ont embrasé de dangereux points chauds partout dans la région asiatique.

La crise économique mondiale s’est également accélérée et trouve maintenant une expression bien plus directe en Australie. Le boom des exportations minières, dynamisé par la Chine et qui avait constitué un certain tampon au capitalisme australien immédiatement après le krach financier mondial, est maintenant terminé.

Un article dans Bloomberg, publié hier, compare l’économie australienne à une obligation structurée adossée à un prêt bancaire (CDO), l’un des « actifs toxiques » qui avaient déclenché le krach financier en 2008. « L’Australie est une bombe à retardement à effet de levier sur le point d’exploser, » a déclaré Albert Edwards, analyste-expert de la Société Générale SA sise à Londres. « Ce n’est pas qu’une CDO, c’est une CDO au carré. Ce que nous avons en Australie, dans sa forme la plus simple, c’est une bulle de crédit fondée sur un boom des matières premières dont la pérennité dépend d’une bulle de crédit chinoise encore plus importante. »

Plusieurs Etats australiens se trouvent déjà officiellement en récession. Des licenciements de masse sont en train de s’accélérer dans tous les secteurs de l’économie. Au cours de ces douze derniers mois, 18 projets miniers et d’énergie totalisant 150 milliards de dollars ont été abandonnés ou reportés. Le ralentissement dans l’industrie minière et du bâtiment menace de faire éclater les bulles de l’immobilier et des marchés boursiers vu que les principaux indices boursiers ont chuté d’environ 9 pour cent, soit 135 milliards de dollars depuis mi-mai. Le dollar australien est actuellement en train de connaître une dépréciation par rapport aux autres monnaies, ce qui fait augmenter les prix du carburant et d’autres produits importés dont les travailleurs dépendent.

Rudd a été réinstallé au pouvoir en prévision de soulèvements sociaux explosifs et d’une nouvelle période de luttes des classes.

L’objectif immédiat a été d’empêcher un effondrement total du Parti travailliste. Sous la direction de Julia Gillard, le parti risquait de subir une défaite sans parallèle dans les élections de fin d’année. Etant donné son rôle antidémocratique joué dans l’éviction de Rudd, l’hostilité populaire à l’égard de Gillard est si forte et si générale, réaction que les conspirateurs n’avaient pas vu venir au départ, que Labor est sur le point d’être réduit à un petit croupion parlementaire profondément divisé.

Pour l’élite patronale australienne, l’implosion du Parti travailliste risque de la priver de son mécanisme le plus crucial et utile pour contenir la lutte des classes et empêcher que la colère de la classe ouvrière et son hostilité à l’encontre de son programme d’austérité ne prennent de dangereuses formes extra-parlementaires. Gillard avait entamé un virage vers l’austérité en suivant un calendrier budgétaire à long terme de coupes profondes, ciblant les familles monoparentales, les chômeurs et les bénéficiaires de prestations sociales. Mais, l’élite dirigeante n’exige rien de moins qu’une contre révolution sociale de type européenne, prévoyant des réductions massives des dépenses dans l’éducation publique, les soins de santé, les services sociaux et autres services de base et d’infrastructure sociale.

Rudd est l’unique politicien travailliste à avoir conservé un quelconque soutien populaire – en raison uniquement de son statut de victime d’un coup d’Etat antidémocratique. En conséquence, il est considéré par les élites patronales et financières comme l’unique moyen viable de sauver les carrières d’une dizaine de politiciens travaillistes en empêchant l’effondrement du Parti travailliste et en appliquant leur offensive renforcée contre la position sociale de la classe ouvrière.

Dans le premier discours qu’il a prononcé après son retour, Rudd a carrément placé l’accent sur la nécessité pour Labor de reconquérir les jeunes qui sont écoeurés par l’ensemble de l’organisation parlementaire. Il est parfaitement conscient que sous l’apparence de stabilité sociale en Australie, les tensions de classe peuvent rapidement atteindre un point de rupture. Comme en Egypte et en Tunisie en 2011, et en Turquie et au Brésil cette année, des troubles de masse peuvent éclater subitement et sous des formes imprévues. Rudd a été mis en place dans une tentative désespérée de re-canaliser les explosions sociales à venir dans le cadre parlementaire.

Pour Washington, le maintien du système bipartite en Australie a également une importance stratégique. Au cours de ces 70 dernières années, depuis le jour où le premier ministre travailliste John Curtin avait effectué en 1941 un changement stratégique en s’écartant de l’empire britannique pour se tourner vers Washington, les Etats-Unis ont investi des ressources considérables dans le Labor Party. L’ambassade américaine et le personnel de la CIA entretiennent depuis des décennies un vaste réseau d’agents au sein du parti travailliste et de la bureaucratie syndicale. Malgré les inquiétudes du gouvernement Obama concernant Rudd, il comprend indubitablement que l’effondrement de Labor laisserait l’alliance Etats-Unis/Australie en terrain inconnu.

En fait, on trouve derrière le retour de Rudd cette semaine certaines de ces mêmes « sources protégées » par les Etats-Unis au sein du parti travailliste et qui avaient orchestré le coup en 2010.

De profondes divisions subsistent cependant tant au sein du parti travailliste que de la coalition d'opposition libérale-nationale. Rudd conserve le soutien d’importantes sections de l’establishment de la politique étrangère américaine qui rejettent le « pivot » d’Obama et qui préconisent une approche plus conciliatoire à l’égard de Beijing. L’ancien conseiller à la sécurité nationale, Henry Kissinger, est une figure éminente au sein de cette faction et a développé ces dernières années des liens étroits avec Rudd. Tous deux sont censés prendre la parole aujourd’hui à Beijing lors d’un forum sur la politique étrangère cautionné par le gouvernement. Rudd jouit aussi de la confiance de ces couches au sein de l’élite dirigeante australienne qui ont été alarmées par l’attitude irresponsable et provocatrice d’Obama à l’égard de la Chine et dont elles craignent qu’elle ne perturbe les liens économiques cruciaux existant entre le capitalisme australien et Beijing.

La tâche urgente à laquelle sont confrontés les travailleurs et les jeunes est d’intervenir dans cette situation pour défendre leurs propres intérêts de classe indépendants contre la guerre et le militarisme, l’austérité et l’accélération des attaques contre les droits démocratiques. Ceci requiert la construction d’un parti révolutionnaire capable de transformer l’aliénation et l’écoeurement actuels qui existent à l’égard du Labor et de l’ensemble de l’organisation parlementaire en un mouvement politiquement conscient et orienté contre le système capitaliste de profit.

Ce parti c’est le Socialist Equality Party (Parti de l’Egalité socialiste), section australienne du Comité international de la Quatrième Internationale. Nous invitons instamment les travailleurs, les étudiants et les jeunes à contacter le SEP et à s’impliquer activement dans notre campagne électorale 2013.

(Article original paru le 28 juin 2013)