Les funérailles de Thatcher : les grandes pompes pour soutenir la réaction politique
Par Chris Marsden et Julie Hyland
22 avril 2013
Les adjectifs pour décrire les funérailles, le 17 avril, de l'ex-Premier ministre conservatrice Margaret Thatcher ne sont pas difficiles à trouver : écoeurantes, indécentes, provocatrices.
Elle était, après tout, la personnalité politique la plus haïe de l'histoire britannique récente – une admiratrice de la dictature de Pinochet au Chili et du régime raciste de l'apartheid en Afrique du Sud qui a semé la destruction dans les communautés ouvrières de tout le Royaume-Uni.
Thatcher a reçu des funérailles nationales, même si elles n’en avait pas officiellement le nom de telle façon que leur coût total ne puisse faire l’objet d’un contrôle. Ce coût est estimé à 10 millions de Livres, les funérailles les plus chères jamais organisées.
La cérémonie a été tellement militarisée que certains ont comparé la scène à Londres, avec ses policiers en armes stationnés tous les quelques kilomètres, à un coup d'Etat. Son cercueil est parti de St-Clement Danes, l'Église centrale de la Royal Air Force où trône la statue de "Bomber" Harris - l'officier qui avait mis au point les bombardements incendiaires des villes allemandes pendant la seconde Guerre mondiale. Monté sur un affût de canon tiré par un cheval, enveloppé du drapeau national, il fut accompagné par 700 membres des forces armées jusqu'à la Cathédrale St-Paul.
On avait assisté à une autre manifestation de cette adulation politique pendant la session extraordinaire du Parlement dans les jours qui ont précédé le 17 avril. Big Ben fut arrêtée pour la durée des funérailles et le travail du Parlement interrompu pour permettre aux députés de s'y rendre.
La reine était présente aux funérailles d'un ex-Premier ministre pour la première fois depuis celles de Winston Churchill en 1965. Contrairement à ce précédent pourtant, le corps de Thatcher ne sera pas exposé en public, précisément parce qu'elle est tellement détestée.
C'est pour cette même raison que les critiques limitées de Thatcher ou du coût de ses funérailles ont été accueillies par des hurlements officiels d’indignation et même des menaces de violence et d'arrestation par la police.
Les cercles dirigeants tentent de béatifier « Margaret la bénie » comme une sorte de sainte laïque de la corruption et de la cupidité. Résumé dans la déclaration du Premier ministre David Cameron, « Nous sommes tous thatchériens maintenant, » son héritage politique est déclaré être une pierre angulaire intouchable de la Grande-Bretagne moderne. Cet héritage inclut son affirmation agressive du militarisme au sujet des îles Malouines, mais surtout sa destruction de l'Etat-providence, la répression syndicale, les privatisations et la déréglementation du secteur financier de Londres.
Pour produire un tel mythe, il faut faire taire toute opinion venant de la population, étant donné que son nom est synonyme de politiques qui ont entraîné une catastrophe économique et sociale pour des millions de gens. La marque Thatcher est tellement toxique politiquement que moins d'une dizaine de chefs d'Etat étrangers étaient présents.
Les véritables intérêts sociaux que sert cette offensive de propagande sont bien mis en lumière par ceux qui sont venus. Ce fut un rassemblement mondial de la lie néo-conservatrice des États-Unis et d'Angleterre, avec d'autres ultra-réactionnaires en plus.
Il y avait là les ex-ministres des Affaires étrangères américains George Shultz et James Baker, l'ex-vice président américain Dick Cheney et l'ex-ministre des Affaires étrangères Henry Kissinger. Newt Gingritch et la dirigeante du Tea Party Michelle Bachmann étaient également présents.
L'Israélien Benjamin Netanyahu y avait été rejoint par F. W. De Klerk, le dernier président sud-africain de l'ère de l'Apartheid, l'Australien John Howard, le Canadien Stephen Harper et, de Pologne, par Lech Walesa et le Premier ministre Donald Tusk.
La présence des ex-Premier ministres travaillistes Tony Blair et Gordon Brown complétait cette assemblée de coquins. Tous deux sont les héritiers politiques de Thatcher et ils ont approuvé la manière dont ces funérailles furent organisées.
Leur objectif était peut-être de démontrer la supériorité incontestable des solutions économiques de droite dont tous les présents ont tiré profit. Mais les hauts cris et le ton impérieux adopté par les médias ainsi que toute la grandiloquence et l’hyperbole qui ont accompagné ces funérailles témoignent de la faiblesse, et non de la force, de l'élite dirigeante.
Aucune abondance d’apparat ne peut dissimuler le fait que Thatcher est morte au moment où est en train de s’effondrer tout le projet politique auquel elle est associée.
En dernière analyse, « le Thatchérisme » représentait les efforts désespérés et rapaces de la bourgeoisie britannique d’enrayer le déclin de sa position mondiale. Mais les moyens qu'elle a choisi pour le faire – les guerres impérialistes et un assaut contre la position sociale de la classe ouvrière, combiné à une spéculation financière débridée et largement déconnectée de toute activité économique réellement productive – étaient eux-mêmes la manifestation de la putréfaction en cours.
Le quasi-effondrement de tout cet édifice économique en 2008 n'a produit qu'une extension du même projet réactionnaire en faillite. Le processus d'enrichissement personnel de quelques-uns a continué, financé par des mesures d'austérité sauvages pour tous les autres.
Au moment même où on enterrait Thatcher, la coalition entre conservateurs et libéraux a commencé la première phase dans quatre quartiers de Londres d'un programme de plafonnement des aides sociales qui mettra à la rue 80 000 personnes, rien qu'à Londres. Les statistiques publiées le même jour montraient que le chômage au Royaume-Uni a augmenté officiellement de 70 000 au dernier trimestre atteignant 2,56 millions, pendant que le nombre de chômeurs de 16 à 24 ans augmentait de 20 000, passant à 979 000.
La mort de Thatcher ne change rien pour les travailleurs parce que ses soi-disant opposants politiques – les syndicats et le Parti travailliste – sont devenus les convertis les plus enthousiastes de son programme, à tel point qu'elle avait plaisanté une fois en disant que le « Nouveau Parti travailliste » de Tony Blair représentait son plus bel héritage.
Le fait qu'il n'y ait aucun changement sur ce point a été montré clairement par les louanges chaleureuses prononcées par le dirigeant du Parti travailliste, Ed Miliband, et par l'accord du parti pour suspendre les activités du Parlement pendant les funérailles.
Cet état des choses témoigne du fait que, dans les deux décennies ou presque écoulées depuis que Thatcher a quitté son poste, l'ordre économique et politique est devenu encore plus décomposé et sclérosé que sous son gouvernement.
Le décalage extrême entre la présentation officielle de Thatcher et la haine et le mépris dans lesquels la tiennent les travailleurs est l’expression idéologique d’une polarisation des relations de classe qui ne peut pas se maintenir ainsi. Cela indique clairement des tempêtes politiques à venir.
(Article original paru le 18 avril 2013)