Taïwan effectue des manoeuvres militaires au milieu de tensions sino-américaines grandissantes
Par John Chan
22 avril 2013
Taïwan est en train de mener cette semaine des manoeuvres militaires à balles réelles et selon le scénario d’une attaque chinoise sur les îles Penghu de Taïwan. Cela s’inscrit dans le contexte de tensions grandissantes en Asie de l’Est. Celle-ci sont attisées par la stratégie américaine du « pivot vers l’Asie » viseant à contenir la Chine, ce qui inclut les récentes menaces de guerre américaines relatives au programme nucléaire de la Corée du Nord et des querelles au sujet des îles Senkaku/Diaoyu.
Ces exercices, étalés sur cinq jours et baptisés Han Kuang, servent à tester sur les îles qui sont situées dans le détroit de Taïwan entre le continent chinois et l’île de Taïwan, 145 différents types d’équipement, comme des frégates de la marine, des chars de l’armée et des missiles anti-navire et de défense aérienne.
La Chine pour sa part, a stationné des centaines de milliers de soldats sur certaines parties de son territoire le long du détroit de Taïwan, aux côtés de centaines d’avions de combat et d’un millier de missiles balistiques tactiques. Ceci a incité des commentateurs militaires à suggérer que la Chine serait susceptible de gagner une guerre conventionnelle localisée et menée dans le détroit de Taïwan contre les forces taïwanaises et américaines.
Hier, le président Ma Ying-jeou du parti taïwanais Kuomintang (KMT) au pouvoir a inspecté les exercices manifestement organisés pour modérer les critiques des médias et des législateurs selon lesquels l’armée taïwanaise ne faisait pas assez d’efforts pour protéger Taïwan contre la Chine.
Ma a dit: « Au cours de ces quelques dernières années et suite à un développement économique rapide, les communistes chinois [c’est-à-dire le gouvernement chinois de la métropole] ont entrepris un renforcement massif, tant en qualité qu’en quantité. En dépit de la menace, nous devons faire des préparatifs si nous voulons maintenir la paix dans le Détroit de Taïwan. »
Mardi, la Chine a publié un Livre Blanc de la défense qui a critiqué « Les forces séparatistes de l’indépendance taïwanaise » en disant qu’une déclaration officielle d’indépendance de Taïwan constituerait la « plus grande menace au développement pacifique des relations entre les deux rives du Détroit. »
Après avoir été renversé par le Parti communiste chinois (CCP) lors de la révolution de 1949, le régime du KMT de Chiang Kai-chek soutenu par les Etats-Unis a fui vers Taïwan. Le gouvernement de Taïwan prétend encore être le seul gouvernement de la Chine. Le gouvernement chinois du continent à Beijing maintient que Taïwan fait partie de la Chine et a précédemment menacé de faire la guerre si Taïwan déclarait l’indépendance. En 2005, Beijing a adopté une « loi anti-sécession » nécessitant une action militaire si Taïwan faisait sécession.
Ces tensions soulignent la signification de la récente signature de l’accord de pêche – après 17 années et 16 tours de pourparlers sans résultat – entre Taïwan et le Japon au sujet des îles contestées de Senkaku/Diaoyu. Le Japon a fait des concessions, permettant aux bateaux taïwanais de pêcher à une distance de 19 kilomètres des îles.
Après la première guerre sino-japonaise de 1895, le Japon avait annexé les îles connues sous le nom de Senkaku en japonais et de Diaoyu en chinois, ainsi que Taïwan. L’année dernière, ces îlots rocheux ont fait l’objet d’un affrontement militaire explosif entre la Chine et le Japon qui administre les îles après que le Japon les ait achetées à leur propriétaire privé. Le Japon et la Chine ont tous deux monté des campagnes chauvines promouvant leurs revendications de ces îles tout en déployant des forces navales dans la région.
Immédiatement après l’actuel arrangement conclu avec le Japon, Wang Jin, le directeur de L’Administration des gardes-côtes taïwanais a dit que tout bateau de pêche non taïwanais – c’est-à-dire, y compris les navires battant pavillon chinois – se trouvant dans les eaux territoriales des îles serait expulsé « en vertu des lois. »
L’accord devait forcément contrarier la Chine. Premièrement, Tokyo a effectivement violé la politique « d’une seule Chine » en traitant Taipei en tant que gouvernement souverain, apte à signer un accord avec le Japon. La Chine considère Taïwan comme une province renégate. Deuxièmement, Taïwan, en concluant l’accord de pêche, a tacitement reconnu le contrôle du Japon sur les îles que la Chine revendique.
La Chine a immédiatement critiqué l’accord. « Nous sommes extrêmement préoccupés par le fait que le Japon et Taïwan négocient et signent un accord de pêche, » a déclaré le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hong Lei.
Le 17 avril, jour anniversaire du traité de Shimonoseki qui a mis fin en 1895 à la guerre sino-japonaise, la Chine a envoyé deux navires de guerre pour patrouiller près des îles Senkaku/Diaoyu et marquer son opposition au contrôle exercé sur les îles par le Japon.
Les récents exercices militaires à Taïwan et le changement soudain de la politique taïwanaise au sujet des îles Senkaku/Diaoyu montrent que de puissantes forces sont en train de pousser les élites dirigeantes taïwanaises vers un alignement plus étroit avec l’impérialisme américain et ses alliés régionaux, comme le Japon – au moment même où les Etats-Unis intensifient les tensions avec la Chine.
Après que le KMT ait remporté les élections de 2008, Washington a observé avec un certain malaise la signature par Taïwan des accords de libre-échange pour intégrer la Chine économiquement à Taïwan qui dispose de dizaines de milliards de dollars d’investissement sur le continent. Ma a suivi une politique de « non à l’indépendance, non à l’unification et de non à la violence » contre des partis prônant l’indépendance au sein de l’establishment politique taïwanais. Cependant, le KMT a aussi entretenu ses liens de longue date avec l’impérialisme américain.
En septembre dernier, à l’apogée des affrontements entre la Chine et le Japon sur les îles Senkaku/Diaoyu, les bateaux des gardes côtes japonais et taïwanais ont mutuellement tiré au canon à eau les uns sur les autres près des îles alors que des bateaux de pêche taïwanais pénétraient dans des eaux revendiquées par le Japon. Tout comme Beijing, le gouvernement de Taïwan, officiellement connu sous le nom de République de Chine, affirme que les îles sont un territoire chinois.
C’est ce qui a conduit certains analystes à spéculer sur une alliance conclue au sujet des îles entre la Chine du continent de Taïwan contre le Japon. Toutefois, les relations stratégiques américaines avec Taïwan sont restées étroites. En 2010 et en 2011, le gouvernement Obama a signé plusieurs programmes de vente d’armes à hauteur de plusieurs milliards de dollars afin de renforcer l’armée taïwanaise en provoquant de vigoureuses protestations de la part de la Chine.
Lors de sa rencontre avec le président Ma à Taïwan en janvier dernier, le sénateur américain James Inhofe a divulgué que Washington planifiait de massives ventes d’armes à Taïwan – dont 30 hélicoptères d’attaque AH-64, 60 hélicoptères de transport tactique 60M Blackhawk et des missiles sol-air PAC-3 (Patriot Advanced Capability). Inhofe dirige le dit Comité sénatorial Taïwan, qui a exigé la vente d’avions de chasse F-16C/D à Taïwan – une décision que le gouvernement Obama avait précédemment rejetée.
Selon deux articles parus en janvier dernier dans China.org, si le dernier paquet est approuvé, les ventes d’armes du gouvernement Obama à Taïwan représenteront un tiers des exportations militaires américaines totales à ce pays depuis que Washington a établi des relations diplomatiques avec Beijing en 1979. Durant la même année, la loi nommée Taiwan Relations Act (Loi sur les relations avec Taïwan) a été passée pour livrer des armes à Taïwan et « maintenir une capacité de défense suffisante » contre la Chine.
En renforçant la défense de Taïwan contre la Chine et en intensifiant les tensions à travers l’Asie de l’Est, le gouvernement Obama est en train de rapprocher davantage la région d’une vraie guerre.
Taïwan a été discrètement inclue dans le réseau de missiles antibalistique américain en Asie du Pacifique qui vise avant tout à saper les forces nucléaires de la Chine et qui est un élément clé du « pivot vers l’Asie » des Etats-Unis. En février, un radar qui a coûté 1,4 milliard de dollars a été mis en service dans le Nord de Taïwan. Il est capable de détecter l’arrivée des missiles jusqu’à une distance de 5.000 kilomètres.
Taipei a utilisé ce radar pour surveiller l’essai de missile balistique effectué en décembre par la Corée du Nord et le test d’un missile antibalistique dans l’espace effectué par la Chine en janvier. Kevin Cheng, le rédacteur du Asia-Pacific Defence Magazine de Taïwan, a dit : « Grâce au partage avec les Etats-Unis des informations qu’ils recueillent avec le système radar, Taïwan est devenu un lien crucial dans le réseau stratégique de la défense américaine dans la région. »
(Article original paru le 18 avril 2013)