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La Cour suprême britannique approuve l'extradition de Julian Assange

Par Robert Stevens
5 juin 2012

Mercredi devant la Cour suprême du Royaume-Uni à Londres, Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, a vu son appel contre une extradition vers la Suède rejeté. Les juges ont décidé par cinq voix contre deux que la demande d'extradition était « faite légalement ».

Assange conteste l'extradition qui s'appuie sur des allégations discutables d'agression sexuelle, faites par deux femmes en 2010.

Bien que la décision autorise l'extradition d'Assange dès que possible, son avocate Dinah Rose a requis un délai de 14 jours pour réfléchir au dépôt d'une demande de réouverture de la décision de justice. Elle affirme qu'à première vue cette décision aurait pu avoir été prise sur la base de points de droit qu'aucune des deux parties n'a jamais abordés durant la première audience devant la Cour suprême en février.

D'après une déclaration de la Cour, si Assange décide de faire appel, « les juges se prononceront alors sur la réouverture et accepteront de nouveaux éléments (soit verbalement dans une nouvelle audience, soit par écrit) sur la question. »

En dépit du fait qu'il n'a jamais été mis en accusation pour aucun crime en Suède ou ailleurs, Assange a été arrêté à Londres en décembre 2010 suite à une demande déposée dans le cadre du système anti-démocratique du Mandat d'arrêt européen (MAE). Même sur ce mandat d'arrêt, rendu par la procureur suédoise Marianne Ny, il n'est pas désigné comme un « accusé ».

Assange a déjà passé 540 jours en assignation à résidence à Norfolk avec des mesures de sûreté très contraignantes. Il doit porter un bracelet électronique aux chevilles en permanence et doit se présenter au commissariat tous les jours.

Toute évaluation objective de la persécution d'Assange par les autorités suédoises depuis 2010 doit commencer par reconnaître les préjugés extrêmes et la motivation politique de ceux qui organisent les poursuites contre lui, ainsi que le caractère très douteux des allégations qui le visent et du moment où est intervenu le MAE contre lui.

Son arrestation a eu lieu quelques jours seulement après que WikiLeaks a publié des milliers de communications secrètes des ambassades américaines détaillant le côté sombre de la « diplomatie » américaine. Cela faisait suite à la publication de milliers de documents secrets qui révélaient la nature criminelle des invasions de l'Irak et de l'Afghanistan menées à l'initiative des États-Unis.

Pourtant, dans les audiences sur l'affaire Assange, la Cour suprême n'a rien pris en considération de ce contexte, ne s'autorisant qu'à rendre une décision sur un seul point d'« une grande importance générale ». Ce point était « de savoir si un Mandat d'arrêt européen (MAE) émis par un procureur peut être considéré comme un MAE valide émis par une "autorité judiciaire" quant à l'application et au sens des sections 2 et 66 de l'acte d'extradition de 2003. »

En d'autres termes, la Cour suprême n'a pas jugé le fondement juridique de l'émission du MAE. Alors que dans son rapport, le juge Phillips affirmait dans une section intitulée « les faits de l'affaire » qu'après les allégations d'atteintes sexuelles faites par deux suédoises, « une enquête préliminaire menée par l'inspecteur et à laquelle M. Assange a coopéré, a conclu qu'il n'y avait aucune charge établie contre lui quant à ce prétendu viol. »

Dans les 10 jours qui ont suivi le rejet de la plainte, celle-ci a été réactivée suite à l'intervention de Claes Borgstrom, un membre important du Parti social-démocrate suédois et l'avocat des deux plaignantes, sans aucun nouvel élément de preuve.

Chacun des sept juges suprêmes décrit la raison de son soutien ou de son opposition à l'extradition d'Assange dans le jugement [en anglais]. Pour l'essentiel, leurs verdicts font preuve de mépris pour l'un des principes démocratiques les plus anciens, celui selon lequel tout le monde a droit à un procès impartial.

Dans son rapport, Lord Kerr déclare explicitement, « ce serait destructeur pour la coopération internationale entre Etats d'interpréter la loi de 2003 d'une manière qui empêcherait les procureurs d'être reconnus comme des autorités judiciaires pouvant légitimement émettre des Mandats d'arrêts européens, simplement en raison du principe bien établi du droit britannique selon lequel être judiciaire signifie être impartial » (notre italique).

La majorité des juges cite l'article 31.3 (b) de la Convention de Vienne sur le droit des traités internationaux pour évaluer l'application de la législation sur les MAE. La Convention de Vienne codifie les principes des traités internationaux. L'article 31 dispose que, avec le contexte, il faut prendre en compte, « toute pratique en découlant dans l'application du traité qui établisse l'accord des parties quant à son interprétation.»

Lord Phillips, président de la Cour suprême, a cité la convention de Vienne et noté que les Etats membres de l'Union européenne, la Commission et le Conseil de l'Europe ont tous procédé comme si l'accord d'extradition permettait aux procureurs d'émettre des demandes d'extradition.

Lord Walker a déclaré que cette clause de l'article 31 était « déterminante » dans son rejet de l'appel d'Assange.

L'usage de la convention de Vienne pour passer outre des normes démocratiques fondamentales et rejeter cet appel n'est que le dernier épisode des efforts – menés par les États-Unis – pour faire taire Assange et WikiLeaks, et intimider tous ceux qui cherchent à faire éclater la vérité sur les opérations criminelles de l'impérialisme américain.

Le défenseur d'Assange, Gereth Peirce, a dit de cette décision que le Parlement britannique « pense qu'une 'autorité judiciaire' signifie un juge ou un tribunal, mais la majorité des juges à la Cour suprême fondent leur décision sur ce qui se pratique en Europe et en décident en s'appuyant sur la Convention de Vienne, ce qui n'a jamais été soulevé devant la Cour. »

En réponse au jugement, le site web Justice for Assange a titré « la Convention de Vienne permet à la pratique des Etats de déterminer la loi. »

Dans son opinion divergente, Lord Mance affirme que la formulation du document cadre original pour les MAE était ambiguë et que « l'intention du Parlement et les effets de la loi sur les extraditions de 2003 étaient de restreindre l'admission par les Cours britanniques des MAE à venir à ceux qui sont émis par une autorité judiciaire au sens strict d'une cour, d'un juge ou d'un magistrat. » Il a ajouté que « le mandat d'arrêt émis par le ministère public suédois est insusceptible d'admission au Royaume-Uni selon les dispositions de la section 2 (2) de la loi de 2003. »

Si une nouvelle demande devant la Cour suprême échoue, la seule possibilité légale qu'il restera à Assange sera un appel devant la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH). Il y a peu de chances qu'un tel appel soit accepté. De plus, la CEDH vient de rendre un jugement qui autorisait cinq hommes détenus au Royaume-Uni sans jugement pendant des années sur la base d'accusations de terrorisme à être extradés aux États-Unis. Aucun de ces hommes, dont trois sont citoyens britanniques, n'a jamais été mis en accusation au Royaume-Uni.

Assange a toujours affirmé que le véritable objectif de la demande d'extradition vers la Suède est de préparer le terrain pour l'envoyer vers les États-Unis pour l'accuser d'espionnage à propos de la publication des communications confidentielles. À ce titre, il est remarquable qu'un article du New York Times ­– le "journal de référence" de l'élite dirigeante américaine ­– sur le verdict de vendredi s'étende longuement sur cette possibilité.

Faisant référence à un communiqué de presse de WikiLeaks avant le verdict, le Times écrit, « La déclaration de quatre pages de WikiLeaks a effectivement dépeint la décision de Londres comme un prélude à un défi bien plus sombre que les accusations de viol qui attend M. Assange. »

Il poursuit : « Des e-mails émanant de la compagnie d'information globale Stratfor au début de l'année indiquaient qu'une mise en accusation secrète était sur le point d'être rendue publique lorsque les responsables américains jugeront que les procédures engagées contre M. Assange en Grande-Bretagne et en Suède toucheront à leur fin. »

Si le Times décrit le communiqué de WikiLeaks comme « spéculatif », il fait remarquer, « L'ambassadeur des États-Unis en Grande-Bretagne, Louis B. Susman, a dit que le ministère de la justice 'attendra de voir comment se passent les choses devant les tribunaux britanniques,' et il y a eu des indications au cours de l'année écoulée sur des réunions confidentielles entre responsables américains et représentants de la Grande-Bretagne, de la Suède et de l'Australie au sujet de l'affaire Assange. »

Si Assange devait être reconnu « coupable sur des accusations d'espionnage » aux États-Unis, affirme cet article, « il risquerait une peine à perpétuité dans une prison de haute sécurité. »

Il y a toutes les raisons de croire que les États-Unis sont déterminés à mener cette menace à son terme. Le soldat Bradley Manning, qui est accusé d'avoir transmis des documents secrets à WikiLeaks, a déjà été accusé « d'aide à l'ennemi .» Avant le début, cette année, de son procès devant une cour martiale, il a été détenu durant des mois par l'armée américaine dans des conditions d'isolement, tout en étant soumis à d'autres conditions cruelles et dégradantes. Le procès de Manning, qui pourrait lui valoir la perpétuité, est prévu pour septembre.

(Paru en anglais le 31 mai 2012)