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La pseudo-gauche australienne soutient l’intervention impérialiste en Syrie

Par Patrick O’Connor et Nick Beams
19 décembre 2012

Les diverses organisations pseudo-gauches d’Australie ont joint leur voix à celle de leurs homologues internationaux pour un changement de régime en Syrie mené par les Etats-Unis.

Socialist Alternative (SAlt), joue le rôle de chef de file dans cette opération, aux côtés des capitalistes d’Etat de l’International Socialist Organisation (ISO) aux Etats-Unis. Dans le passé, Salt avait maintenu, du moins en paroles, une attitude anti-impérialiste. Ce n’est plus le cas. En août dernier, un membre influent du Salt, Corey Oakley, a publié un article intitulé « La gauche, l’impérialisme et la révolution syrienne » dans lequel il déclarait que l'« anti-impérialiste instinctif » appartenait au passé. Oakley insistait en disant que tout accent mis sur la « menace impérialiste » à l’égard de la Syrie, était « manifestement erroné. »

« L’impérialisme, au sens de néocolonialisme occidental, n’est pas la principale menace qui pèse sur les masses en Syrie, ou sur le monde arabe en général, » a-t-il déclaré. Alors que ceci aurait pu sembler être une « déclaration sacrilège pour qui a acquis son éducation politique de gauche dans le monde d’après le 11 septembre » ce n’est plus le cas. « Durant ces années-là, » a-t-il poursuivi, « l’anti-impérialisme était un point de départ crucial parce que l'impérialisme américain était l’élément vraiment décisif de la politique mondiale. L’époque de ‘l’anti-impérialisme instinctif’ est maintenant révolue. Non pas parce que l’impérialisme américain a disparu au Moyen-Orient ou a abandonné ses intentions malveillantes mais parce que le monde a changé. La révolution arabe a tout transformé. Nous ne vivons pas actuellement dans un ‘monde d’après le 11 septembre’ mais dans un ’monde d’après Tahrir’. »

Il a continué en disant : « Seul un idiot nierait que les puissances impérialistes sont en train d’intervenir en Syrie ou qu’il existe des élément profondément réactionnaires parmi les forces rebelles. » Mais ceci n’est pas un obstacle pour exiger une intervention impérialiste : « [L]es aspects négatifs de la révolte syrienne ont été fortement exagérés… est-ce que les révolutionnaires syriens ont tort d’exiger et si possible d’accepter des armes des impérialistes, des alliés des impérialistes ou de n’importe qui d’autre ? Bien sûr que non. »

Les soi-disant « révolutionnaires syriens » sont dominés par des forces islamistes et réactionnaires liées à al-Qaïda et issues à la fois de la Syrie et d’autres pays de la région. Ce sont bien ces forces qui devraient, selon Oakley, être armées par les Etats-Unis et les autres grandes puissances. Ce n’est une surprise pour personne que cet article ait ultérieurement été publié sur plusieurs sites internet consacrés à faire pression sur le gouvernement Obama pour qu'il commence à bombarder la Syrie. »

Dans son article de près de 3.000 mots, Oakley n’a pas une seule fois mentionné la Libye ni l’opération criminelle qu’y ont menée conjointement les Etats-Unis et l’OTAN et qui a évincé Kadhafi afin d’installer des éléments islamistes et djihadistes liés à al-Qaïda.

Le virage manifeste vers le camp impérialiste effectué par Socialist Alternative est lié aux nouvelles exigences politiques du gouvernement travailliste au moment où il intensifie, de concert avec le gouvernement Obama, ses activités prédatrices en matière de politique étrangère. Le premier ministre australien Julia Gillard s’est rangée derrière les préparatifs de Washington en vue d’une confrontation militaire avec la Chine en Asie de l’Est et dans le Pacifique tout en fournissant dans le même temps un soutien inébranlable à leurs opérations au Moyen-Orient. En 2011, le ministre australien des Affaires étrangères d’alors, Kevin Rudd, avait activement fait campagne en faveur du bombardement par les Etats-Unis et l’OTAN de la Libye, en se faisant l’écho du faux prétexte « humanitaire » quant à une menace supposée sur la population de Benghazi.

Le successeur de Rudd, Bob Carr, entend aussi promouvoir la détermination de changement de régime à l’encontre de la Syrie et a dernièrement suggéré que Bachar al-Assad et les autres figures gouvernementales soient assassinés. Cette semaine, Rudd a prononcé un discours pour demander que davantage d’armes soient acheminées aux « rebelles » syriens et qu’une intervention de type libyen soit préparée. Rudd s’attend à ce que le gouvernement syrien ne tarde pas à tomber et a suggéré que l’Australie puisse participer à une force terrestre de « maintien de la paix » de l’ONU.

Ces manoeuvres sont dictées par les propres intérêts impérialistes de Canberra, au Moyen-Orient tout comme en Asie et dans le Pacifique Sud. Les opérations dans son « pré carré stratégique » auto-proclamé restent tributaires du soutien de Washington.

La classe dirigeante australienne est parfaitement consciente du rôle clé qu’ont joué les pseudo-gauches en fournissant une caution « humanitaire » et de « gauche » à ses opérations néo-coloniales. En 1999, les forces dont font actuellement partie Socialist Alliance et le Parti socialiste révolutionnaire avaient organisé des manifestations en faveur de l'« envoi de soldats » tandis que l’ancien gouvernement du conservateur John Howard se préparait à déployer des forces armées au Timor oriental dans le but de prendre le contrôle des ressources pétrolières et gazières de ce territoire.

Comme c’est le cas actuellement en Syrie, le faux prétexte était une prétendue crise humanitaire frappant le peuple du Timor. Un article paru dans l’Australian Financiel Review avait à l’époque salué les protestations en déclarant « Cet appel à prendre les armes, pour la première fois depuis des décennies, a concédé une vaste légitimité à la proposition selon laquelle l’Australie devrait être en mesure d’intervenir militairement en dehors de son territoire. »

Maintenant l’ensemble du milieu pseudo-gauche est en train de se mobiliser pour fournir des références de « gauche » à la campagne en faveur d’un changement de régime en Syrie, conduite par les Etats-Unis et le programme de l’impérialisme australien. L’article d’Oakley a été suivi par l’ouverture de discussions concernant un « regroupement » unitaire impliquant SAlt, l’Alliance socialiste et le Parti socialiste révolutionnaire, en soulignant leur unanimité à encourager la guerre impérialiste.

La référence au « monde d’après Tahrir » faite dans l’article d’Oakley dénote la réaction de Socialist Alternative à l’émergence de la classe ouvrière égyptienne.

Comme chaque grande lutte sociale, la révolution égyptienne a connu l’intervention de différentes classes sociales, ayant toutes des programmes très différents. Pour des sections clé de la bourgeoisie – ainsi que pour les éléments petits-bourgeois qui ont dominé les manifestations sur la Place Tahrir – le but de la révolution était de s’assurer un rôle important dans l’Etat égyptien et de briser la mainmise de l’armée et des compères de la famille Moubarak sur l’économie.

Mais, l’intervention de la classe ouvrière égyptienne – la plus vaste et la plus puissante dans le monde arabe et disposant d’une histoire de luttes remontant à plus d'un siècle – avait une logique différente. Les revendications des travailleurs pour la fin du programme capitaliste néo-libéral qui a causé la dévastation des emplois et du niveau de vie ne pourront être concrétisées que par le renversement du système capitaliste de profit – ainsi que de l’Etat égyptien et de l’armée qui le défend – en tant que partie intégrante de la révolution socialiste au Moyen-Orient et internationalement.

C’est le puissant soulèvement survenu en janvier et en février 2011 dans les usines et les lieux de travail au Caire, à Alexandrie et dans d’autres centres urbains, ainsi que dans les régions portuaires stratégiquement importantes, qui avaient paralysé le pays. En d’autres termes, l’intervention de la classe ouvrière fut le facteur décisif du renversement de Moubarak.

L’impérialisme américain avait bien perçu que les grèves et les luttes de la classe ouvrière étaient une menace mortelle pour son économie et ses intérêts stratégiques partout au Moyen-Orient. Après avoir soutenu Moubarak face au soulèvement initial, le gouvernement Obama avait commencé à rechercher de nouveaux alliés parmi les élites dirigeantes égyptiennes après avoir compris que le dictateur devait partir. Dans le même temps, Washington avait redoublé d’efforts pour soutenir ses alliés dictatoriaux dans la région, tels Bahreïn et l’Arabie saoudite tout en promouvant les soi-disant mouvements « pour la démocratie » dans des pays ciblés pour un changement de régime, le tout au nom de l’accélération du « printemps arabe. »

L’intervention des Etats-Unis et de l’OTAN en Libye constituait un élément central de la contre-offensive impérialiste. Washington considérait l’éviction et le meurtre brutal de Kadhafi comme le moyen de mettre en place un gouvernement marionnette et de recourir à cet Etat riche en pétrole comme d’une tête de pont pour une stratégie servant à mener des opérations secrètes dans les Etats voisins, et visant en premier lieu la classe ouvrière.

La Syrie est la prochaine cible. La CIA est en train d’opérer un centre de commandement et de contrôle à Adana, en Turquie près de la frontière au Nord de la Syrie, d’où l’agence coordonne l’afflux d’armes, de fournitures, de combattants étrangers et d’argent. Des satellites américains, des navires de guerre allemands et des installations britanniques à Chypre passent des renseignements aux « rebelles » pour qu’ils planifient leurs attaques contre les forces du régime d’Assad. Dans le même temps, les monarchies saoudiennes et qatari transfèrent des millions de dollars aux forces anti-Assad. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France sont actuellement en train de prendre la mesure suivante consistant à officiellement reconnaître la direction des « rebelles » comme étant le gouvernement légitime de la Syrie et à eux-mêmes armer directement les milices anti-Assad.

La réaction de la pseudo-gauche est également motivée par sa crainte et son hostilité viscérales à l’égard de l’intervention de la classe ouvrière et par sa détermination à la canaliser derrière les mécanismes politiques de l’Etat bourgeois. Son « gauchisme » vise, non pas le renversement du capitalisme, mais à se faire sa propre niche dans l’establishment politique et en premier lieu dans l’appareil syndical et celui du Parti travailliste.

La position de classe de Socialist Alternative est clairement démontrée dans son soutien sans faille aux Socialistes révolutionnaires (SR) en Egypte. Cette organisation mal nommée a passé deux ans et demi à enchaîner une manoeuvre opportuniste après l’autre, s’alliant tantôt avec le commandement militaire tantôt avec les Frères musulmans et tantôt avec les « libéraux » pro-américains, comme Mohamed El-Baradei.

Socialist Alternative a encouragé sans réserve les SR. Le 29 novembre, le groupe a publié sur son site internet un article sur la décision du président égyptien, Mohamed Morsi, (qui était soutenu avec enthousiasme par les Socialistes révolutionnaires lors des élections de cette année) en faveur d’une nouvelle constitution antidémocratique. L’article de Reham Maklad, la représentante australienne de la Coalition des révolutionnaires de l’Egypte à l’étranger et du Mouvement international de la Place Tahrir, se plaint de ce que le projet de constitution « crée un clivage au sein de la nation. »

Elle poursuit en disant: « Elle [la constitution] est censée créer une harmonie entre les différentes composantes de la société, ne pas être la cause et la source de conflit et de division ou de l’effondrement des institutions qui promeuvent l’ordre public. Et donc, par son décret, le Dr Morsi manque à ses devoir envers la nation et risque une perte de légitimité à un niveau plus fondamental que toute décision juridique et inconstitutionnelle. »

Ainsi parle l’intellectuelle petite bourgeoisie terrifiée en tirant la sonnette d’alarme pour dire que le recours de la classe dirigeante égyptienne et de son président à des mesures antidémocratiques de grande portée risque de provoquer un « conflit » – c’est-à-dire un soulèvement révolutionnaire de la classe ouvrière et, comble d’horreur, causer « l’effondrement d’institutions qui promeuvent l’ordre public. »

Leurs craintes ont été aggravées par la ré-émergence de la classe ouvrière non seulement en Egypte et en Afrique du Nord, mais de par l’Europe, notamment en Grèce. Là, les homologues de SAlt se sont associés à SYRIZA pour bloquer le développement d’une lutte révolutionnaire de la classe ouvrière contre les mesures d’austérité brutales qui sont imposées par la « troïka » – le FMI, l’Union européenne et la Banque centrale européenne.

D’une part, SYRIZA cherche à gagner le soutien des travailleurs en affirmant s’opposer aux coupes sociales tout en insistant, de l’autre côté, pour que la Grèce demeure au sein de l’UE, l’organisme même qui dicte l’austérité. Le dirigeant de SAlt, Mick Armstrong, a justifié le rôle traître et fourbe de SYRIZA sur la base de ce que, avant d’envisager toute « action révolutionnaire », la population doit d’abord passer « par le processus consistant à mettre à l’essai l’option d’un changement radical par la voie parlementaire. »

Depuis la publication de l’article d’Oakley, Socialist Alternative est resté en grande partie silencieux sur la Syrie. Son site internet n’a republié que deux articles, une interview de Gilbert Achcar, un membre du Secrétariat unifié international pabliste affilié au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et le conseiller officieux des milices anti-Assad, et un article par Youssef Khalil, initialement publié par l’International Socialist Organisation (ISO) américaine qui préconise l’idée que la crise économique aux Etats-Unis et le défi stratégique posé par la Chine signifient que Washington ne pourrait plus continuer à s’impliquer dans une agression militaire. (Voir en anglais : « Syria and the pro-imperialist ‘leftists’ of the ISO. »

Rien de ce qui s’est passé depuis août dernier n’a amené SAlt à revoir les positions mises en avant dans l’article d’Oakley. En fait, considérée dans le contexte des événements survenus depuis lors, sa perspective pro-impérialiste s’est ancrée plus profondément. Les soi-disant « rebelles » en Syrie ont commis une série de massacres et de crimes de guerre, la domination de milices sectaires connectées à al-Qaïda au sein des forces anti-Assad est devenue incontestable, la CIA a accru ses opérations le long de la frontière turco-syrienne, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a sélectionné une nouvelle direction pro-américaine pour la « révolution syrienne » et les préparatifs pour une attaque militaire se poursuivent à un rythme rapide. L’enthousiasme de SAlt pour les « révolutionnaires » et pour les intrigues de l’impérialisme ne connaît pas de limites.

Cette organisation et le reste de la pseudo-gauche ne représentent rien de plus que le flanc de « gauche » de la bourgeoisie et de ses alliés politiques au sein du gouvernement Gillard. Les travailleurs ayant une conscience de classe devraient les traiter comme tel.

(Article original paru le 14 décembre 2012)