Home » Nouvelles internationales » Allemagne

Lafontaine du Parti de gauche allemand lance une diatribe digne de l’AfD contre les réfugiés

Par Johannes Stern
5 octobre 2017

Comme tous les partis bourgeois, le Parti de gauche (Die Linke) utilise le succès électoral de l’Alternative pour l'Allemagne (AfD) afin de justifier l'adoption du même programme xénophobe. Les arguments qui vont en ce sens suivent toujours le même modèle.

Oskar Lafontaine, le père fondateur du Parti de gauche, a affirmé sur sa page Facebook que la clé du «manque de soutien de la part de ceux qui se trouvaient à l'extrémité inférieure de l'échelle salariale» était «une mauvaise politique de réfugiés». Cette critique ne s'applique pas uniquement au Parti de gauche, a-t-il poursuivi, «mais elle s'applique à tous les partis représentés à ce jour au Bundestag (parlement)».

Il s’est plaint de la «“politique de réfugiés” de la “Chancelière des réfugiés” punie à juste titre», et a critiqué les deux chefs du Parti de gauche, Katja Kipping et Bernd Riixinger, dans une interview accordée à la Passauer Neue Presse. Il les a accusés – tout à fait inexactement – de préconiser la position d'«accepter tous ceux qui veulent venir en Allemagne». Il a dit que cela était «complètement irréaliste».

De manière semblable à ce que l’AfD ferait, Lafontaine monte les couches les plus pauvres de la population contre les réfugiés, dont la grande majorité ont fui les guerres en Afrique du Nord et au Moyen-Orient pour venir en Europe, comme si c'était les réfugiés – et non le SPD (et, dans de nombreux États, également le Parti de gauche) – qui sont responsables de Hartz IV, des coupes sociales, de la pénurie d'enseignants, de la baisse des pensions et des cadeaux d'impôt pour les riches.

La «justice sociale» nous oblige à «aider ceux qui en dépendent le plus», écrit Lafontaine. Il est inadmissible: «d'imposer le fardeau de la migration, y compris la concurrence accrue dans le secteur des bas salaires, l'augmentation des loyers dans les zones urbaines avec des logements abordables et les problèmes croissants dans les écoles en raison du nombre croissant des étudiants dont les compétences linguistiques sont insuffisantes, sur ceux qui sont déjà perdants à mesure que l'inégalité des revenus et des richesses augmente».

Il a ensuite ajouté: «L'expérience en Europe enseigne: si ces personnes ne se sentent plus représentées par des partis de gauche ou sociaux-démocrates, elles votent de plus en plus pour les partis de droite.»

Il est évident où Lafontaine se dirige avec un tel discours. Selon lui, ce n'est pas la crise sociale que le Parti de gauche et le SPD ont infligée en Allemagne de l'Est et dans la région de la Ruhr en particulier, qui a poussé de nombreux travailleurs à soutenir l’AfD, mais plutôt l'absence d'une politique de réfugiés assez draconienne de ces partis. Pour couper l'herbe sous le pied de l’AfD, le Parti de gauche doit donc adopter sa campagne anti-réfugiée, selon la logique de l'argument de Lafontaine.

En réalité, toutes les expériences historiques et internationales enseignent que l'adoption du programme des extrémistes de droite par les partis de l'établissement n’affaiblit pas, mais renforce les extrémistes. Lafontaine le sait aussi. Ce qui l'intéresse n'est pas de miner l’AfD. Un politicien expérimenté, qui a passé 33 ans dans le SPD, dont 13 ans en tant que président du land (État) de La Sarre et quatre ans en tant que chef du SPD, est un expert dans la suppression des conflits sociaux.

Lafontaine est beaucoup plus troublé par la montée de l'opposition sociale et politique que par l'influence de l’AfD. Il a donc intérêt à renforcer l'idéologie xénophobe de droite avec laquelle l’AfD dirige la colère et l’indignation qui montent dans une impasse nationaliste.

Significativement, Lafontaine lie sa campagne contre les réfugiés avec un changement qui place son parti plus proche du SPD. Dans le Passauer Neue Presse, il a préconisé la formation d'une coalition rouge-rouge au niveau fédéral: «Ceux qui occupent des postes de responsabilité au sein du SPD et du Parti de gauche doivent adopter cette position maintenant afin d'éviter un nouveau déclin de la gauche politique». Le SPD et le Parti de gauche ne pouvaient pas se battre les uns contre les autres dans le nouveau Bundestag, a-t-il dit, ajoutant: «Ce serait la mauvaise réponse. Partout en Europe, on peut constater qu'un autre éclatement ne serait pas utile», selon Lafontaine.

Le contenu anti-ouvrier de son offensive de droite est évident. Dans les conditions d'une crise sociale et politique explosive en Allemagne et en Europe, le SPD et le Parti de gauche se rapprochent pour étouffer l'opposition croissante au militarisme, au renforcement de l'appareil d'État répressif et aux compressions sociales.

De manière significative, Andrea Nahles, le nouveau chef parlementaire du SPD qui jouit de liens étroits avec Lafontaine, a adopté le même ton de droite lors d'une récente interview avec Der Spiegel:

«Nous ne sommes pas naïfs. Quand un million de personnes viennent ici, elles ne vont pas toutes être gentilles. Et ceux qui ne respectent pas les règles doivent en subir les conséquences», a-t-elle menacé, dans un style typique de l’AfD. Interrogée sur la possibilité que l’État ferme ses frontières, Nahles a répondu: «Oui, parce qu'un État doit pouvoir être fort. C'est une force pour la réglementation, l'organisation, la création d'occasions favorables, mais aussi la punition et la restriction. Si cela est remis en question, ce ne sera pas bon à long terme.»

Lafontaine et Nahles défendent une stratégie bien précise. Dans les conditions d'une crise politique et sociale profonde en Allemagne et en Europe, ils adoptent le programme xénophobe et nationaliste de l'extrême droite afin de diviser la classe ouvrière et renforcer l'appareil d'État contre la menace d'une révolution sociale.

Quasiment personne n’incarne mieux cette politique que Lafontaine. Déjà, au début des années 1990, il faisait partie de la ligne dure sur la politique des réfugiés. Lorsque, en août 1990, le président-ministre de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Johannes Rau (SPD), qui est devenu président de l’Allemagne par la suite, a soutenu Lafontaine, Der Spiegel a commenté: «Le gouvernement SPD de Rhénanie-du-Nord-Westland veut restreindre le droit d'asile – entièrement dans l'esprit du programme du chancelier candidat Oskar Lafontaine».

En août 1992, au milieu d'une vague d'attentats terroristes xénophobes, Lafontaine a appliqué le «tournant de Pétersbourg» avec le leader du SPD Björn Engholm, qui a entraîné un nouveau positionnement du SPD dans la politique étrangère et l'abolition en pratique du droit d'asile dans le fameux «compromis d'asile». Une partie centrale de cette situation était la «règle de l'État tiers». Cela a jeté les bases des déportations de masse actuelles: les demandeurs d'asile de «pays tiers sûrs» peuvent être automatiquement rejetés sans autre étude de leur dossier. Lafontaine l'a qualifié de «véritable pas en avant».

Après avoir quitté le SPD en 1999, Lafontaine est resté fidèle à sa ligne politique. En 2004, il a soutenu ce qui était à l'époque un plan controversé du ministre de l'Intérieur, Otto Schily (SPD), pour établir des camps d'accueil pour les réfugiés en Afrique. En 2005, il a mené une campagne délibérée contre les «travailleurs étrangers». L'État devrait être obligé, «d'empêcher que les pères et les mères de famille se retrouvent au chômage parce que les travailleurs étrangers occuperont leurs emplois pour les bas salaires», a-t-il déclaré dans un discours notoire à Chemnitz.

Au cours des trois dernières années, Lafontaine et son épouse, la chef du groupe parlementaire du Parti de gauche, Sahra Wagenknecht, ont critiqué à maintes reprises de la droite la politique de la chancelière conservatrice Angela Merkel (CDU). Leurs positions sont maintenant pratiquement indiscernables de celles du parti extrémiste de droite, l’AfD. Dans le dernier débat télévisé avant les élections, le chef adjoint de l'AfD, Alexander Gaulland, a salué la candidate principale du Parti de gauche en déclarant: «Ce que Mme Wagenknecht dit est juste».

Même Gregor Gysi, le chef traditionnel de l'aile droite du Parti de gauche, s'est senti obligé dans un commentaire récent dans Neues Deutschland de prévenir la fin du Parti de gauche «en tant que parti de gauche», si l’orientation de Lafontaine et de Wagenknecht était adoptée.

(Article paru d’abord en anglais le 4 octobre 2017)