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Tandis que les protestations s'élèvent contre Madrid, le parlement catalan déclare l'indépendance

Par Alejandro López
30 octobre 2017

Vendredi, le parlement régional de Catalogne, entouré de milliers de protestants pro-indépendance, a voté une résolution sur une sécession de l'Espagne et le déclenchement d'un «processus constituant» afin de rédiger une nouvelle constitution pour la République catalane.

Le vote a été effectué en secret pour éviter les poursuites du gouvernement espagnol. La résolution d'indépendance, qui déclare que «la République de Catalogne est un État indépendant, souverain, démocratique et social», a été acceptée à 70 voix pour. Les partis sécessionnistes ont donné leur appui: le Parti démocrate européen catalan (PdeCat), la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) et la Candidature d'unité populaire (CUP) de pseudo-gauche. Il y a eu deux abstentions dans le camp séparatiste. La coalition «Catalogne oui c'est possible» (CSQP), qui est appuyée par Podemos, a opposé 10 voix contre la résolution. Cinquante-trois législateurs du parti Citoyens, du Parti des socialistes de Catalogne et du Parti populaire ont quitté la chambre, qualifiant la résolution d'illégale.

À l'extérieur du parlement, des dizaines de milliers de manifestants pro-indépendance brandissaient des drapeaux de l'estelada séparatiste et des affiches exigeant la libération des deux dirigeants séparatistes arrêtés: Jordi Sanchez de l'Assemblée nationale catalane et Jordi Cuixart d'Omnium Cultural. Ils ont acclamé l'annonce du résultat du vote en criant «Indépendance», «La rue sera toujours à nous» et «Pas un pas en arrière». Dans une salle adjacente au parlement, 200 maires pro-indépendance ont célébré la déclaration.

Quelques heures plus tard, le gouvernement espagnol du premier ministre Mariano Rajoy annonçait les mesures de l'article 155 approuvées au Sénat la journée même: l'imposition d'un gouvernement régional par Madrid, la destitution du président catalan Carles Puigdemont et de tous les ministres régionaux de son gouvernement, la dissolution du parlement catalan et l'annonce d'élections anticipées dans la région.

Prévoyant des mesures répressives de masse de la part de Madrid, Puigdemont a dit à des partisans après la session parlementaire: «Dans les prochains jours, nous devons respecter nos valeurs de pacifisme et de dignité. La construction de la république est entre nos mains, vos mains.»

Ensuite, des milliers de personnes se sont rassemblées devant le bâtiment du gouvernement catalan à Plaça Sant Jaume pour célébrer. Lorsque les gens ont appris que l'Espagne avait dissout le gouvernement de Puigdemont, la foule s'est mise à scander «Nous ne bougerons pas!» en défi à toute tentative de Madrid d'arrêter les dirigeants sécessionnistes. Les mairies de partout en Catalogne ont retiré le drapeau espagnol et l'Assemblée nationale catalane a exhorté les fonctionnaires régionaux à ne pas coopérer avec les autorités imposées par Madrid.

Le porte-parole de PdeCat au Sénat, Josep Lluís Cleries, avait déclaré avant l'annonce des mesures liées à l'article 155 que son parti n'allait pas accepter la démission du président de la Catalogne et du reste de son gouvernement, et qu'il allait demeurer loyal au gouvernement catalan actuel.

L'Espagne vit actuellement sa pire crise politique depuis l'effondrement du régime Franco dans les années 1970 en pleines luttes de masse de la classe ouvrière. Après une décennie de profonde crise économique, d'austérité sociale et de chômage de masse, l'élite dirigeante espagnole, avec l'appui de l'Union européenne et de l'OTAN, utilise la déclaration d'indépendance pour abandonner toutes les concessions en termes de droits démocratiques et sociaux qui avaient été accordées durant la période post-Franco. Madrid s'apprête à s'emparer de la Catalogne avec l'aide de l'armée et de la police espagnoles.

Le danger d'une répression sanglante plane au-dessus d'une crise d'ampleur révolutionnaire. Même si une vaste opposition se dresse contre de telles mesures, il est crucial de distinguer deux formes distinctes d'opposition, qui correspondent aux intérêts de différentes classes sociales.

Il y a d'abord l'opposition des factions pro-indépendantistes de la classe capitaliste catalane. PdeCat, ERC, l'Assemblée nationale catalane et leurs alliés petits-bourgeois de la pseudo-gauche, CUP, en font partie. Ces forces tentent de bâtir un État capitaliste catalan dans le cadre de l'Union européenne.

Ces mêmes forces qui ont réprimé pendant des années les manifestations et grèves de travailleurs et de jeunes motivées par leurs brutales politiques d'austérité en Catalogne ont déclaré avec cynisme dans la résolution d'indépendance de vendredi que «La République de Catalogne a l'occasion de corriger les déficits démocratiques et sociaux actuels et de créer une société plus prospère, plus juste, plus sécuritaire, plus durable et plus altruiste».

La principale base sociale pour le programme d'un nouvel État capitaliste catalan se trouve dans les couches les plus aisées de la population. Le dernier sondage du Centre of Opinion Studies, financé par la Catalogne, a révélé que 40% de ceux qui gagnent plus de 1800 euros par mois, bien au-dessus de la moyenne régionale de 1400 euros par mois, appuient l'indépendance. Parmi ceux qui font plus de 4000 euros par mois, la proportion atteint 54%. Mais l'appui à l'indépendance chute sous les 40% dans les couches de la population dont les revenus sont en dessous de 1800 euros par mois.

Le principal appui institutionnel pour l'indépendance provient des sections de l'administration publique et de la police régionale, la Mossos d'Esquadra. La force régionale constituée de 17.000 policiers est cependant divisée dans son appui pour Barcelone et Madrid.

Les méthodes sécessionnistes de manifestations pacifiques et de «désobéissance» contre l'article 155 ne feront pas le poids contre les mesures de répression sanglantes que s'apprête à déclencher l'État espagnol et ses 122.000 militaires, 77.400 gardes civils et 87.900 policiers de la force nationale. Les partis nationalistes catalans sont aussi isolés politiquement: toutes les grandes puissances capitalistes en Europe et en Amérique du Nord appuient Madrid et ses préparatifs de répression.

Le procureur général espagnol, le général José Manuel Maza, prévoit porter des accusations de rébellion contre Puigdemont, tous les membres de son gouvernement et le Comité parlementaire catalan, qui a autorisé le vote d'indépendance. Des sources du bureau du procureur général ont dit à El Confidencial que des poursuites seraient intentées «contre tous ceux qui ont participé aux événements».

Cette formulation vague ouvre la porte à des accusations contre des centaines, sinon des milliers d'indépendantistes et contre tous ceux qui s'opposent à l'article 155. La peine maximale pour rébellion est de 30 ans en prison.

L'autre forme d'opposition est l'opposition sociale croissante de la classe ouvrière à travers l'Espagne et l'Europe contre un retour à des formes de pouvoir dictatoriales. Après quatre décennies d'une dictature fasciste sous le général Francisco Franco entre 1939 et 1978, la classe ouvrière n'a pas oublié la brutalité de ce régime.

Des centaines de milliers de personnes ont manifesté en Catalogne contre l'article 155 et l'arrestation de dirigeants sécessionnistes. Différentes sections de la classe ouvrière comme les pompiers, les débardeurs, les fonctionnaires, les enseignants et les employés des médias publics catalans expriment déjà leur opposition aux mesures d'État policier et à l'imposition des mesures de l'article 155.

Durant le dernier mois, les médias de Madrid ont bombardé la population de nationalisme espagnol et tenté d'encourager un climat fascisant afin de briser la résistance de la population à des formes de pouvoir autoritaire.

L'opposition des travailleurs en Catalogne à l'austérité et à l'autoritarisme fait partie de la radicalisation plus large de la classe ouvrière partout en Europe contre l'austérité sociale et le militarisme qui se développe rapidement. Pour avancer, la classe ouvrière doit mobiliser cette opposition dans une lutte politique unifiée contre l'austérité de l'UE et l'évolution vers des régimes d'État policier, à commencer par la campagne de Rajoy pour imposer un régime militaire en Catalogne.

(Article paru en anglais le 28 octobre 2017)