Allemagne : le réseau néonazi est plus vaste qu’on le pensait
Par Johannes Stern
16 mai 2017
La cellule terroriste néo-nazie qui existe au sein de l’armée allemande (Bundeswehr) est beaucoup plus vaste qu’on le pensait initialement. Cette conclusion se fonde sur un article circonstancié paru dans la dernière édition du magazine Der Spiegel.
Selon ce magazine d’information, les investigations se poursuivent sur sept personnes qui seraient impliquées dans la préparation d’attentats terroristes visant d’influents politiciens allemands, dont l’ancien président fédéral Joachim Gauck, le ministre de la Justice, Heiko Maas (Parti social-démocrate, SPD) et le ministre-président de Thuringe, Bodo Ramelow (Die Linke), ainsi que des organisations juives et musulmanes.
En plus de Franco A, Matthias F et Maximilian T, tous placés en détention, le cercle extrémiste de droite devrait sans doute « se composer d’au moins sept personnes, selon les informations des enquêteurs », a déclaré Der Spiegel. Les suspects incluent « un homme vivant à Strasbourg », « un lieutenant de réserve qui fait ses études à Vienne », le lieutenant Josef R. qui, comme Franco A, était stationné dans la caserne franco-allemande à Illkirch, en Alsace, et le lieutenant Ralf G.
Ralf G. était basé à la caserne Generalfeldmarschall-Rommel à Augustdorf en Rhénanie-du-Nord/Westphalie. Cette caserne est nommée d’après Erwin Rommel qui, comme commandant de l’Afrikakorps, fut érigé par Hitler en héros populaire. Ralf G. avait attiré l’attention de ses collègues pour avoir fait des réflexions d’extrême-droite. Il aurait ainsi déclaré : « Königsberg [actuellement Kaliningrad en Russie, ndt] était allemande, est allemande et restera toujours allemande » et « si les réfugiés aux frontières avaient au moins des armes, nous pourrions leur tirer dessus. »
Il y a fort à penser que Ralf G. fait partie d’un réseau néo-nazi bien plus vaste qui, tout comme les Freikorps [corps francs] de la Reichswehr de la République de Weimar, se préparait à assassiner des politiciens et à réprimer des émeutes révolutionnaires. Selon les informations de Der Spiegel, Ralf G. aurait connu Maximilian T, soupçonné d’être l’auteur de la liste des personnes à abattre. Ralf G. s’était vanté auprès de Maximilian T. : « Il y a à Illkirch, un groupe d’officiers prêts à commettre des actes de violence qui sont en train de rassembler des armes et des munitions pour être prêts à se battre du bon côté des barricades au cas où la guerre civile éclaterait. »
Force est de constater que le réseau néo-nazi existe dans plusieurs casernes et qu’il a été établi pendant de nombreuses années. Selon un soldat stationné entre 2010 et 2013 à Illkirch, un « réseau extrémiste de droite » aurait existé à Illkirch (une base de l’unité en France), à Donaueschingen et à Hammelburg (autres bases en Allemagne) peu de temps après la création de l’unité franco-allemande. Il a dit que les officiers et les soldats n’avaient « pas caché leurs idées d’extrême-droite. » Ils « scandaient des slogans d’extrême-droite » et insultaient des soldats ayant des origines d’Europe de l’est, en les qualifiant de “têtes de bidon” [Kanisterköpfe]. »
La découverte d’un réseau néo-nazi au sein de l’armée est l’expression la plus nette d’une évolution majeur vers la droite de la part de l’élite dirigeante. Pratiquement personne au sein de l’establishment politique ou dans les médias n’a exprimé son indignation ou exigé que des conséquences en soient tirées. Au lieu de cela, ce qui a prédominé, ce furent des attaques depuis la droite portées contre la ministre de la Défense pour avoir initialement formulé des critiques assez molles à l’égard de l’armée et exigé des mesures minimes en réaction au scandale, alors même qu’elle cherchait à minimiser l’ampleur de la cellule terroriste et son importance plus générale.
« Il est totalement inapproprié et absurde de suspecter l’ensemble de l’armée allemande d’être une Wehrmacht [nom de l’armée allemande sous Hitler] », se lamentait l’ancien ministre de la Défense, Volker Rühe (Union chrétienne-démocrate, CDU) dans le journal Welt am Sonntag. Cela revient à donner « une image déformée de l’armée », avait-il écrit.
Le président de la Commission de la Défense du Bundestag, Wolfgang Hellmich (SPD), a qualifié l’ordre donné par la ministre de la défense Ursula von der Leyen de fouiller tous les bâtiments militaires en quête de reliques de la Wehrmacht comme étant une « réaction frénétique ». Il a critiqué la ministre pour avoir parlé d’une « opération de nettoyage ».
Ces déclarations sont conformes à celles de l’extrême droite. Le président de la fédération régionale de Berlin du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD), Georg Pazderski, a décrit les fouilles initiées par von der Leyen comme une « menace à l’intégrité interne des troupes ». Il a dénoncé la mesure comme visant à faire des soldats des « béni-oui-oui » et des « mouchards ». Von der Leyen, a-t-il dit, est en train de se comporter comme « le fossoyeur de l’armée. »
La colère de l’AfD ciblait également l’ordre donné par von der Leyen de faire cesser la distribution de l’actuelle édition du recueil de chants de l’armée qui inclut des chants de la période nazie, tels les chants militaires Westerwald Lied et le Panzerlied (chant des blindés allemands). Lors d’un entretien avec l’agence de presse DPA, Pazderski a fulminé « censurer le recueil de chants traditionnel de l’armée est paranoïaque. » Il a dénoncé von der Leyen pour avoir déclenché une vague de « terrorisme intellectuel » et une censure qui menace de dépouiller l’armée du « peu d’identité [qui lui reste]. »
Les propos de Pazderski en disent long sur le caractère de l’armée qui, en réalité, a toujours été ancrée dans les traditions militaristes de ses ancêtres, la Reichswehr et la Wehrmacht. Appelée initialement « nouvelle Wehrmacht », elle fut mise en place dans les années 1950 par les généraux et des anciens officiers de la Wehrmacht de Hitler. Pazderski connaît très bien cette « identité ». Il fut militaire de carrière pendant 41 ans et a pris sa retraite en 2012 avec le grade de colonel de l’état-major général.
Les dangereux développements qui ont lieu en Allemagne confirment les avertissements lancés par le Sozialistische Gleichheitspartei (SGP) et le World Socialist Web Site. Le retour du militarisme allemand et la restructuration systématique de l’armée en une force interventionniste capable de faire la guerre dans le but de défendre les intérêts de l’impérialisme allemand partout dans le monde requièrent la renaissance des anciennes traditions et structures fascistes. Les mêmes cercles d’extrême-droite qui ont qualifié de « terrorisme idéologique » les critiques visant des déclarations telles que « Hitler n’était pas cruel » (du professeur Jörg Baberowski de l’université Humboldt) incitent actuellement dans le même esprit à l’animosité contre les critiques qui visent des tendances néonazies dans l’armée.
Ils interviennent de manière aussi agressive parce qu’un sentiment antimilitariste fort prédomine dans la population. Selon un sondage de Deutschlandtrend publié jeudi soir par la chaîne de télévision allemande ARD, la confiance des Allemands dans l’armée baisse rapidement. Alors qu’en juillet 2016, 59 pour cent avaient déclaré accorder une « très forte confiance » ou une « forte confiance » à l’armée, seuls 49 pour cent sont de cet avis maintenant. Ils sont aussi nombreux à avoir peu ou pas du tout confiance en l’armée.
Un autre sondage récent, réalisé par l’Association européenne des Radios, a révélé qu’en Allemagne, 78 pour cent des jeunes ont observé une montée du nationalisme et pensent que c’est une mauvaise chose. 11 pour cent seulement considéraient que la montée du nationalisme était un développement positif. Près des deux tiers des jeunes ont déclaré ne pas être prêts à se battre dans une guerre. En revanche, le sondage a montré qu’en Europe plus de la moitié des jeunes étaient prêts à participer à un « grand soulèvement contre ceux qui sont au pouvoir. »
(Article original paru le 15 mai 2017)