Le coup au sein du Parti socialiste espagnol démasque Podemos
Par Paul Mitchell et Alex Lantier
5 octobre 2016
Le putsch réussi de l'ancien Premier ministre Felipe González à l'intérieur du Parti socialiste espagnol (PSOE) visant à installer un gouvernement de droite en Espagne, après deux élections et neuf mois d'un parlement sans majorité, a exposé le caractère réactionnaire du parti de pseudo gauche Podemos.
Le putsch visait à renverser le secrétaire général du PSOE Pedro Sánchez, permettant au PSOE de s'abstenir lors d'un vote parlementaire et de porter au pouvoir un gouvernement minoritaire du Parti populaire (PP). Sur fond de déchaînement médiatique contre Sánchez, González et les siens ont piétiné l'opinion ainsi que les procédures internes du PSOE. Ceci confirme ce que des dizaines de millions de travailleurs espagnols savent déjà du PSOE : c'est un parti libéral, pro-guerre géré par les banques, les agences de renseignement, et l'armée.
Le PSOE est aussi le parti avec lequel Podemos voulait construire une alliance et un «gouvernement du changement.» Comme son allié grec SYRIZA, qui est arrivé au pouvoir l'année dernière en promettant de mettre fin à l'austérité et qui a ensuite imposé davantage de mesures d'austérité, Podemos construit sa perspective de «changement» autour du diktat des banques et des militaires.
Une fois le coup déclenché par une dénonciation publique de Sánchez par González, suite à laquelle 17 membres de l'exécutif fédéral du PSOE ont démissionné, le dirigeant de Podemos Pablo Iglesias a tout fait pour encourager des illusions sur le PSOE. Il a dit: «Pour tenter de déposer un secrétaire général élu par les membres par le biais de démissions est une fraude ». Ceci signifiait «la crise la plus importante depuis la fin de la guerre civile, dans le plus important parti espagnol du siècle dernier ».
Iglesias n'a pas dit pourquoi il croit que le PSOE, partisan de longue date de politiques d'austérité, du libéralisme, et de guerres de l'OTAN, est plus important que son propre parti. Mais il a couvert Sánchez de louanges, prétendant qu'il résistait à González au sein du PSOE, et a de nouveau souligné que le PSOE pourrait travailler avec Podemos pour former un gouvernement progressiste.
"Il est clair que Pedro Sánchez a fait preuve de courage pour affronter les forces du régime au sein de son parti, » a-t-il dit, « mais il aurait été plus sensé de montrer aussi du courage contre les puissances en dehors de son parti. S'il l'avait fait, nous gouvernerions actuellement ensemble et peut-être que notre gouvernement, malgré toutes les difficultés, aurait pu mettre en œuvre des politiques de redistribution et de régénération [démocratique], proposer des solutions démocratiques pour la tension pluri-nationale en Espagne et devenir un exemple pour d'autres pays européens ».
Sánchez ne confrontait pas les «forces du régime », pas plus que le PSOE ne défendait un programme démocratique ou égalitaire. Alors que la colère montait parmi les électeurs du PSOE, et que les manifestatoins éclataient devant les sièges du PSOE dans plusieurs villes, Iglesias voulait garder la situation sous contrôle et à promouvoir l'illusion que Sánchez s'opposerait au PP.
La crise à l'intérieur du PSOE a rapidement réfuté ces illusions. Samedi, Sánchez a démissionné et a promis sa fidélité à la faction pro-González dirigé par la présidente du PSOE régional en Andalousie, Susana Díaz. Il a déclaré que « la commission intérimaire mise en place dans les heures suivantes pourra compter sur mon soutien loyal ».
Cela ouvre la voie à l'installation d'un gouvernement du PP, bien que le PP n'ait reçu que 33 pour cent des voix aux élections de juin.
La poussée du PSOE pour installer un régime PP, qui imposerait l'austérité et participerait à la planification des guerres par l'OTAN, marque un tournant historique dans la politique européenne depuis la chute en 1977-1978 de la dictature de Franco en Espagne. Le duopole PSOE-PP a dominé la vie politique espagnole. Les actions du principal dirigeant du PSOE González, l'artisan du rejet explicite du marxisme au congrès du PSOE en 1979 montrent comment, en fin du compte, ces deux parties ont travaillé ensemble pour attaquer la classe ouvrière.
Depuis la crise de 2008, toutefois, le programme d'austérité du PSOE a miné le soutien du parti. Sous le premier ministre José Zapatero, le vote PSOE s'est rapidement effondré, reflétant l'effondrement des partis sociaux-démocrates réactionnaires à travers l'Europe, dont le Parti socialiste en France et, surtout, le parti Pasok en Grèce.
Comme SYRIZA en Grèce, le rôle de Podemos était de ne pas offrir une alternative révolutionnaire à l'ancien duopole capitaliste du PSOE-PP. Podemos est une alliance de forces staliniennes, dirigé par des universitaires autour d'Iglesias, avec la Gauche Anticapitaliste (IA), la filiale espagnole du Nouveau Parti Anti-capitali profondément liée aux forces politiques réactionnaires qui ont mis en place le duopole PSOE-PP, auquel Podemos vise à donner une façade de «gauche».
Iglesias et Santiago Carillo ancien dirigeant du Parti communiste espagnol (PCE) se tutoyaient avant la mort de ce dernier en 2012, à 97 ans. Iglesias a écrit une nécrologie compatissante du chef stalinien dans Público, concluant: "Malgré tout, Santiago était un des nôtres. Maintenant et pour toujours".
C'était une déclaration sans équivoque de soutien au système politique post-franquiste, à la formation de laquelle Carrillo avait joué un rôle clé. Il est tristement célèbre pour avoir aidé et encouragé l'enlèvement et l'assassinat des trotskystes et d'Andrés Nin, le dirigeant du Parti des travailleurs de l'unification marxiste (POUM), par les staliniens pendant la guerre civile espagnole. Il a également parlé aux autorités franquistes dans les années 1970, pour leur assurer que le PCE les défendrait au cours d'une «transition pacifique» après la mort de Franco en 1975 et bloquerait une lutte révolutionnaire de la classe ouvrière.
En effet, la remarque d'Iglesias selon laquelle le PSOE est ««le parti espagnol le plus important du siècle passé" continue et reflète fidèlement l'alliance postfranquiste du PCE avec le PSOE.
Podemos signale maintenant qu'il a l'intention après le putsch de González de continuer à travailler avec le PSOE, comme avant. Derrière cette attitude essentiellement favorable au putsch est le fait que la perspective de Podemos n'est pas fondamentalement différente de celle des sections les plus réactionnaires du PSOE. Des personnalités à l'intérieur de Podemos soutiennent également, comme González, des alliances avec des partis ouvertement de droite, en l'occurrence, le Parti des citoyens d'Albert Rivera.
Le numéro deux de Podemos, Iñigo Errejón, a réagi au putsch de González en déplorant le fait que Podemos n'eût pas adopté la stratégie, soutenue par Sánchez à l'intérieur du PSOE et par Errejón à l'intérieur de Podemos, de former un gouvernement PSOE-Podemos-Citoyens. Iglesias a brièvement tenté cette stratégie au printemps avant de la laisser tomber, craignant qu'il n'expose Podemos à trop de critiques sur sa gauche.
"Il est certain que nous n'avons pas été aussi flexibles que nous aurions dû être", a dit Errejón à Público vendredi, pour évoquer les négociations entre Podemos et le PSOE. Il a poursuivi en promettant, selon Público, que Podemos « va continuer à tendre une main ouverte au Parti socialiste, une fois la bataille entre les partisans et les détracteurs de Pedro Sánchez sera résolue ».
Pablo Echenique, le numéro trois de Podemos , a précisé que la collaboration de Podemos avec le PSOE continuera, y compris avec les sections qui ont soutenu le putsch de González. En tant que dirigeant de Podemos dans la région Aragón, il a dit que le président PSOE pro-González de la région, Javier Lamban, n'aurait qu'à «fournir des explications" à des responsables de Podemos de la région et si et quand le PSOE s'abstenait au Parlement et ainsi laisserait le PP prendre le pouvoir.
(Article paru en anglais le 4 octobre 2016)