L’élection de Trump pèse sur le sommet Asie-Pacifique
Par Mike Head
22 novembre 2016
L'incertitude, l'instabilité et les ajustements politiques ayant lieu dans les gouvernements du monde entier en raison de la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines étaient bien palpables au sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) durant le week-end à Lima, au Pérou.
Officiellement, les États-Unis étaient représentés par leur président sortant, Barack Obama, mais l'élection de Trump a pesé lourdement sur la réunion de 21 chefs de gouvernement. Il y avait un sentiment clair de pessimisme croissant à mesure que le futur gouvernement de Trump adopte des positions plus protectionnistes, nationalistes et militaristes.
Avec ses menaces d'imposer des droits de douane de 45 pour cent sur les importations chinoises et d'autres pays, prétendument pour protéger les « emplois américains », Trump a mis au rebut le faux-semblant du « libre échange » à travers lequel les gouvernements précédents ont cherché à maintenir la domination économique des États-Unis dans la région après la Seconde Guerre mondiale.
Après la victoire de Trump, Obama s’est débarrassé de son engagement précédent à utiliser le temps qu'il lui restant comme président sortant à convaincre le Congrès américain de ratifier le Partenariat Trans-Pacifique (TPP). Loin de représenter le « libre-échange », ce pacte était lui-même un bloc commercial agressif dirigé par les Américains qui cherchaient à exclure la Chine et à établir un pouvoir économique américain sauvage sur la région.
Comme Obama l'a répété à maintes reprises, le TPP était le bras économique du « pivot » de son gouvernement vers l'Asie pour combattre l'influence croissante de Pékin. Grâce au TPP, les États-Unis allaient établir les règles du commerce mondial, et non la Chine, a-t-il déclaré. Cependant, le protectionnisme de « l'Amérique d'abord » de Trump se passe de la feuille de vigne du « libre-échange » et des « marchés ouverts » et revendique belliqueusement les intérêts américains aux dépens de tous ses rivaux, en particulier la Chine.
Tout au long de la longue campagne électorale américaine, Trump a cherché à détourner le mécontentement et l'aliénation intenses de la classe ouvrière américaine à l’égard de l'establishment politique et patronal américain en déclarant qu'il allait « de nouveau rendre sa grandeur à l'Amérique » en protégeant les « emplois américains » aux dépens des rivaux de l'Amérique, la Chine et le Japon.
L'affirmation brutale par Trump des intérêts américains oblige tous les autres gouvernements à se réorienter en vue d’un conflit économique direct.
Dans un discours prononcé lors du sommet, le président chinois Xi Jinping a promu un Partenariat économique global (RCEP) dirigé par la Chine, qui inclurait l'Inde mais exclurait les États-Unis et d'autres membres nord-américains et sud-américains de l'APEC.
Pour des raisons diplomatiques, Xi a décrit le RCEP comme un pas vers une zone de libre-échange plus large de la région Asie-Pacifique (FTAAP) qui couvrirait tous les 21 membres de l'APEC. En échange d’un soutien aux projets de la Chine, Xi a promis d'ouvrir davantage les marchés et la main-d'œuvre bon marché de la Chine à l'exploitation par les sociétés transnationales.
« Nous donnerons un meilleur accès aux investissements étrangers et continuerons à mettre en place des zones de libre-échange pilotes de haut niveau en Chine », a déclaré M. Xi. « Le climat d'investissement de la Chine sera plus ouvert, favorable et transparent, permettant ainsi aux entreprises étrangères de partager les opportunités de croissance de la Chine ».
Son argumentaire avance d'un cran les efforts de Pékin pour séduire d'anciens alliés des États-Unis pour qu'ils quittent leur engagement dans le « pivot » des États-Unis contre la Chine en promettant des possibilités commerciales et d'investissement. Au cours des dernières semaines, une telle générosité a été prodiguée au président philippin Rodrigo Duterte et au premier ministre malaisien Najib Razak.
Tout en retenant publiquement l’espoir de ranimer le TPP, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont indiqué qu'elles pourraient être obligées de suivre l'exemple de la Chine si ces espoirs étaient déçus. Les deux pays sont pris dans un dilemme grandissant : ils dépendent fortement des exportations vers la Chine, mais ils se sont appuyés sur des alliances militaires et stratégiques avec les États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale.
Se référant au RCEP, le Premier ministre australien Malcolm Turnbull a déclaré aux journalistes : « Ce n'est pas aussi ambitieux que le TPP, mais plus nous aurons accès à davantage de marchés pour nos exportations, mieux ce sera ». En route vers le sommet de l’APEC, Turnbull a sollicité un entretien avec Trump, mais sa demande a été refusée, intensifiant l'angoisse à Canberra sur ce que seront les implications de la politique du nouveau président élu.
De la même façon, le Premier ministre néo-zélandais John Key a déclaré que les États-Unis étaient un partenaire important dans la région, mais que la Chine comblerait le vide si le gouvernement Trump devait s'éloigner du « libre-échange ». Key a parlé du « désespoir énorme » déclenché par les points de vue de Trump sur les échanges commerciaux.
L'élite dirigeante du Japon est confrontée à une crise aiguë. Le Global Times, l'une des tribunes nationalistes les plus stridentes du régime de Pékin, a jubilé quant à l'impact des politiques de Trump sur le Japon, où le gouvernement du Premier ministre Shinzo Abe avait fondé beaucoup d’espoir sur le TPP comme un moyen d’inverser la longue stagnation économique du pays.
« Les affirmations de Trump qu'il rejettera le TPP et fera pression pour que Japon paye le stationnement de l'armée américaine au Japon ont mis Abe mal à l'aise, mettant la stratégie du Japon, de compter sur les États-Unis pour contenir la Chine, en risque de faillite », a déclaré un éditorial du Global Times qui affirmait que : « La Chine est plus capable [que les États-Unis] de façonner la géopolitique de l'Asie-Pacifique ».
Le gouvernement japonais, qui est encore à la tête de la troisième économie mondiale, peut chercher à refaçonner le TPP en tant que bloc dirigé par les Japonais pour affirmer ses propres intérêts impérialistes. Selon le Japan Times, les dirigeants des douze États du TPP ont convenu samedi de redoubler d'efforts pour ratifier l'accord à l’échelle nationale. Il citait Abe qui disait: « Si nous arrêtons nos procédures nationales, le TPP sera complètement mort ».
En route vers le sommet de l'APEC, Abe a fait une escale précipitée à New York pour rencontrer Trump, reflétant la préoccupation à Tokyo sur les implications des politiques de Trump. Si cette réunion a donné lieu à des déclarations superficielles soulignant l’alliance américano-japonaise, Abe a également utilisé la réunion de l'APEC pour tenter de renforcer les liens de Tokyo avec d'autres gouvernements, y compris la Russie, la Corée du Sud et les Philippines, afin de compenser le changement aux États-Unis et contrer la Chine.
Le Sommet de l'APEC s'est conclu par une déclaration symbolique engageant les 21 membres à « garder nos marchés ouverts » en dépit du « scepticisme croissant sur le commerce ». Cependant, dans les pages de la presse patronale, des conclusions différentes sont tirées.
Écrivant dans l’Australian aujourd'hui, journal appartenant à Rupert Murdoch, Henry Ergas prévoit que le protectionnisme de Trump pourrait provoquer « des guerres commerciales qui seraient extrêmement coûteuses pour l' Australie et le monde ». Alors que certains experts politiques et des médias ont colporté des illusions que Trump, une fois aux manettes, pourrait adoucir sa politique agressive, Ergas a averti que la « douleur » de nouvelles pertes d'emploi dans la « Rust Belt » (régions industrielles en déclin) des États-Unis la rendrait « de plus en plus difficile pour Trump de se détourner de la rhétorique anti-libre échange qui a dominé sa campagne ».
Comme dans les années 1930, la guerre commerciale conduit inexorablement à la guerre militaire. Trump a promis de porter l'armée américaine à 550 000 soldats et la marine à 350 navires, une décision dont l'un de ses conseillers, l'ancien maire de New York Rudy Giuliani, disait la semaine dernière qu'elle ferait en sorte que « la Chine ne puisse pas nous tenir tête dans le Pacifique ».
Le désarroi engendré par la victoire de Trump est le prélude à des conflits économiques et militaires explosifs et potentiellement catastrophiques, pour déterminer laquelle des élites dirigeantes va dominer l'Asie-Pacifique.
(article paru en anglais le 21 novembre 2016)