La classe dirigeante se réunit à Davos
Par Andre Damon
20 janvier 2016
Aujourd’hui, quelque 2.500 dirigeants d'entreprises, célébrités et responsables gouvernementaux se réuniront au Forum économique mondial de Davos, en Suisse, pour y discuter de « l'amélioration de l'état du monde» entre parties de ski sur pistes alpines et dîners de gala à mille euros l’unité.
Les chefs de Goldman Sachs, JPMorgan Chase et de pratiquement tous les autres grands fonds d'investissement et banques côtoieront les responsables gouvernementaux supposément chargés de les réglementer, parmi eux le secrétaire américain au Trésor Jacob Lew, la secrétaire américaine au Commerce Penny Pritzker et le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi.
Il y aura aussi parmi les invités le vice-président américain Joseph Biden et le secrétaire d'État John Kerry; Bill Gates, l'homme le plus riche du monde; les dirigeants de GM, Google, Alibaba, Microsoft et le PDG de Facebook. Le premier ministre grec Alexis Tsipras ayant imposé l'an dernier des mesures d'austérité drastiques à la population grecque, sera sans aucun doute chaleureusement accueilli.
Si le thème officiel de la discussion est « la maîtrise de la quatrième révolution industrielle », il ne fait guère de doute que les sujets de discussion seront plus tangibles et immédiats. Un document de la conférence soulignant « Les risques mondiaux les plus préoccupants » commence par ces sujets: «Chômage ou sous-emploi, Choc des prix de l'énergie, Crises financières, Echec de la gouvernance nationale, Profonde instabilité sociale, Echec de l'institution ou du mécanisme financiers, Bulle boursière» et « Conflits interétatiques ».
Les craintes sont tout à fait justifiées. La réunion de cette année a lieu alors que menace un plongeon boursier et dans un contexte d'effondrement des prix des matières premières, d'approfondissement des divisions dans l'Union européenne et de tensions croissantes au Moyen-Orient, en Europe de l'Est et dans l’Océan Pacifique.
La réunion à Davos des milliardaires du monde incarne la crise très sociale que discuteront ses participants. L’ouverture du sommet est prévue deux jours seulement après la publication d'un rapport de l'ONG mondiale Oxfam qui montre que les inégalités sociales sont montées en flèche l'année dernière. Oxfam écrit: « Soixante-deux individus possédaient en 2015 à eux seuls autant de richesse que les 3,6 milliards les plus pauvres (la moitié la plus pauvre) de l'humanité. » Ce chiffre était en baisse par rapport aux 388 individus de 2010.
La richesse de ces soixante-deux personnes, dont la plupart seront probablement en Suisse cette semaine, a augmenté de 44 pour cent depuis 2010, alors que celle de la moitié inférieure de la population mondiale a chuté de 41 pour cent sur la même période. Le rapport fait remarquer: « En 2015, les 80 milliardaires les plus riches du monde détenaient une richesse collective de plus de 2 mille milliards de dollars. En même temps, la richesse de la moitié inférieure de la planète a diminué d'environ mille milliards de dollars ces cinq dernières années ».
Depuis la crise de 2008, chaque paramètre économique, de la production à l'investissement productif ou la croissance des salaires, s'est trouvé en recul par rapport aux prédictions des économistes. Mais l'économie mondiale s'est avérée extrêmement capable de faire une chose: créer et enrichir des milliardaires.
L'an dernier, Oxfam avait prédit que d'ici 2016 le un pour cent le plus riche de la population mondiale possèderait plus de richesse que les 99 pour cent les moins riches. Mais, à la grande surprise de l'ONG, cela s’est réalisé un an plus tôt qu'elle ne l'avait prévu.
Derrière des portes closes, dans des galas exclusifs et des dîners privés, les milliardaires et multimillionnaires tireront sans doute une certaine satisfaction de leur enrichissement personnel. Mais il ne fait aucun doute que, dans les milieux les plus sérieux du moins, on dira rapidement à ceux qui se félicitent trop légèrement à Davos de la taille de leur portefeuille d'actions qu'ils sont des sots. Le Forum économique mondial de cette année se déroule dans une crise qui ne ressemble à aucune autre depuis 2009 et les maîtres du monde ont beaucoup de souci à se faire.
Le marché boursier chinois qui a fait que la Chine a pris la tête de la création de millionnaires de papier en 2014, s'effondre une fois de plus, en dépit des vastes efforts du gouvernement chinois, et a entamé un cycle baissier. Le marché boursier américain, après avoir enregistré sa pire performance de début d'année de l'histoire, est entré dans une phase de correction, et de nombreux analystes prévoient que lui aussi suivra la Chine dans une phase baissière, voire une panique pure et simple à l'échelle de celle de 2008-2009.
Mais derrière le plongeon le plus récent il y a un ensemble de préoccupations plus profondes. L'économie mondiale ralentit, provoquant une déstabilisation des régimes de change, une vente au rabais des matières premières et une crise chaotique de la dette des pays en voie de développement. En même temps, toute une série de tendances sous-jacentes à long terme fait que les analystes prévoient une chute spectaculaire de la rentabilité dans le monde.
Tout aussi troublantes pour l'élite financière sont des indications que la classe ouvrière, jusqu'à présent soit dominée par les syndicats aux Etats-Unis et en Europe, soit atomisée et divisée dans les pays en voie de développement, est non seulement de plus en plus en colère et mécontente, mais encline à agir sur les lieux de travail.
Les grèves en Chine ont atteint un pic l'an dernier et les contrats au rabais des trois grands constructeurs automobiles américains ont été imposés avec grande difficulté par le syndicat UAW face à une opposition grandissante des travailleurs. À Detroit, dont la procédure de faillite a été l’un des plus grands coups de force pour la classe dominante mondiale ces dernières années, les enseignants ont lancé des grèves-maladie, alors que les protestations contre l'empoisonnement des familles ouvrières de Flint, Michigan, sont devenues une question majeure aux États Unis.
L'élite financière mondiale a réussi à passer à travers le krach de 2008 ses fortunes non seulement intactes mais encore considérablement élargies. Depuis plus de sept ans, elle réussit à imposer une austérité radicale à la population mondiale, de la Grèce à Detroit, et des dictatures aux masses du Moyen-Orient. En même temps, elle a énormément élargi sa propre richesse grâce à une frénésie record de fusions et d'acquisitions et de rachats d'actions, financés par l'argent gratuit des banques centrales et s’appuyant sur des licenciements massifs, des réductions de salaires et la destruction des forces productives.
A présent, l'oligarchie financière voit avec grande inquiétude l'édifice du parasitisme étayant ses richesses tituber et tanguer. C'est la grande peur de la classe dirigeante d’une quelconque opposition de la classe ouvrière qui motive le recours croissant aux dictatures dans le monde, y compris en France où on a instauré l'état d'urgence, limité le droit de réunion et la liberté de parole, en Allemagne, où on met en œuvre de vastes attaques sur les droits démocratiques en exigeant un «Etat fort», et aux États-Unis, où le gouvernement exige que les entreprises privées le laisse accéder aux communications cryptées.
En plus de la dictature, les milliardaires voient dans tous les pays la guerre comme un moyen de sortir de la crise. Si les profits sont insuffisants à l'intérieur, on a recours à l'aventure militaire à l’extérieur pour s’assurer des matières premières, des marchés et du travail, aux dépens des concurrents dans le monde. À cette fin, même les nations qui ont renoncé au militarisme après la dernière guerre mondiale, l'Allemagne et le Japon, se réarment, envoient des troupes à l'étranger et cherchent à rivaliser avec le vaste appareil militaire américain, plus grand que les huit armées les plus importantes du monde.
Le but des milliardaires et des politiciens réunis à Davos sera la formulation d'une réponse de classe à l'aggravation de la crise qui saisit le capitalisme mondial, pour obliger la classe ouvrière à supporter le poids de la crise, tout comme après 2008.
Cette réalité rend d'autant plus impératif pour la classe ouvrière de formuler sa propre réponse stratégique indépendante à la crise mondiale, c'est à dire la construction d'un parti politique socialiste de la classe ouvrière visant à réorganiser la société sur une base socialiste.
(Article paru en anglais le 19 janvier 2016)