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« Panama Papers »: les révélations sur l’évasion fiscale suscitent des crises politiques partout dans le monde

Par Andre Damon
6 avril 2016

Dimanche soir, un groupe de plus de 100 journaux du monde entier a commencé, en collaboration avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), à publier des informations sur la corruption, le blanchiment d’argent et d’autres activités frauduleuses de la part de leaders politiques et d’hommes d’affaires internationaux, révélées dans ce que l’ICIJ a appelé « la plus grande fuite d’informations d’initiés de l’histoire. »

Ces informations s’appuient sur 11,5 millions de documents confidentiels du fournisseur de services d’entreprise panaméen Mossack Fonseca livrant des informations détaillées sur plus de 214.000 sociétés offshore.

Selon l’ICIJ, les documents « révèlent les avoirs ‘offshore’ de 140 politiciens et responsables publics du monde entier – dont douze leaders mondiaux, actuels et anciens. Parmi eux, les premiers ministres de l’Islande et du Pakistan, le président ukrainien et le roi d’Arabie Saoudite. »

L’entreprise a également mis en place des comptes utilisés par vingt-neuf milliardaires figurant au classement de Forbes Magazine des cinq cents personnes les plus riches du monde.

La publication de ces informations a déclenché scandales et enquêtes dans plus d’une douzaine de pays, dont l’Islande, le Royaume-Uni, le Chili, la France, la Russie, l’Ukraine, l’Argentine, les États-Unis, l’Allemagne, le Brésil, le Canada, la Norvège et la Suède.

Jusqu’à vingt mille personnes ont manifesté devant le Parlement à Reykjavik, la capitale islandaise, afin d’exiger des élections immédiates après que les documents fuités ont montré que le premier ministre Sigmundur David Gunnlaugsson, du Parti progressiste de centre droit, avait caché des actifs dans une société « offshore », qu’il avait omis de déclarer alors qu’il siégeait au parlement islandais.

Les documents ont encore révélé que Ian Cameron, père du premier ministre britannique, et d’autres membres éminents du Parti conservateur étaient des clients de Mossack Fonseca. Lorsqu’on lui a demandé si la famille du premier ministre avait encore de l’argent investi dans ces fonds, un porte-parole de Cameron a répondu: « C’est une affaire privée. »

Des législateurs ukrainiens ont demandé une enquête après que les documents ont révélé que le président Petro Porochenko, porté au pouvoir après le coup d’État de 2014 soutenu par les Etats-Unis, a déplacé ses actifs sur un compte offshore pour éviter de payer des impôts.

L’enquête a également indiqué que Mauricio Macri, le président argentin, avait été directeur d’une société offshore aux Bahamas.

Les journaux américains et britanniques ont cherché à donner un tour anti-russe aux révélations; le journal britannique Guardian a concentré ses informations sur des allégations que des personnes de l’entourage du président russe Vladimir Poutine étaient impliquées dans des transactions offshore de plusieurs milliards de dollars. Rapportant les allégations du Guardian, l’agence Reuters écrit qu’elle « ne pouvait confirmer ces détails. »

Les documents, représentant quelque 2,6 téraoctets d’informations, ont été divulgués au journal allemand Süddeutsche Zeitung en août 2015 par une personne anonyme qui a dit qu’elle voulait exposer des actes criminels. Les dossiers ont été examinés pendant une année par une équipe de plus de trois cents journalistes avant la publication coordonnée d’informations dimanche 3 avril.

Les documents révèlent que Mossack Fonseca, loin d’être une aberration, fait intégralement partie des opérations des grandes banques mondiales. Comme l’a dit ICIJ, « Les documents montrent clairement que les grandes banques sont de grands moteurs de la création d’entreprises difficiles à tracer dans les îles Vierges britanniques, Panama et d’autres paradis fiscaux. Les fichiers listent près de 15.600 entreprises sur papier que les banques mettent en place pour les clients qui veulent garder leurs finances sous le boisseau, dont des milliers créés par les géants internationaux UBS et HSBC. »

Selon ICIJ, les services offerts par l’entreprise comprenaient: la rétrodatation de documents d’entreprise et la destruction de preuves pour empêcher des poursuites pénales. La société a nié toute implication dans une activité criminelle.

Les révélations de dimanche suivaient la publication de documents par ICIJ en 2015 montrant que la filiale Finances privées en Suisse de HSBC, la plus grande banque d’Europe, a fonctionné pendant des années comme une entreprise d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent. Selon ces rapports, la société avait une agence qui distribuait des « briques » de centaines de milliers de dollars en espèces, en devises étrangères, et alimentait sa riche clientèle en conseils sur la façon de s’y prendre en fait de fraude fiscale.

Le rapport d’ICIJ documente de façon complète les affirmations de Gabriel Zucman, économiste à l’Université de Californie, qui a estimé que 8 pour cent de la richesse financière mondiale, un montant d’environ 7,6 billions de dollars, est caché dans des paradis fiscaux. « Ces résultats montrent comment les pratiques néfastes et la criminalité sont profondément ancrées dans le monde ‘offshore’, » a déclaré Zucman en réaction à la publication des informations.

« Une seule fuite a révélé un réseau mondial de plus de 200.000 sociétés écrans offshore: imaginez ce que des fuites dans d'autres cabinets d'avocats bien placés ou banques exposeraient. »

Mark Williams, un professeur de l’Université de Boston, a dit à Bloomberg, « Cette fuite est la preuve que, malgré des lois bancaires explicites contre l’évasion fiscale, l’utilisation criminelle et le blanchiment d’argent, le système mondial des sociétés fictives offshore reste ouvert aux gens riches et bien connectés. »

Si les États-Unis sont le quatrième pays le plus populaire pour les sociétés fictives mises en place par Mossack Fonseca, il n’y a pas eu de révélation visant des individus haut placés aux États-Unis y ayant eu des comptes. Certains experts ont émis l’hypothèse que c’était tout simplement dû au fait qu’avec la réglementation financière très réduite, en particulier dans certaines juridictions étatiques ou locales, des Américains riches souhaitant cacher leurs avoirs ou blanchir de l’argent, pouvaient facilement le faire aux États-Unis.

Shima Baradaran Baughman, professeur de droit à l’Université de l’Utah, a dit à Fusion, « les Américains peuvent former des sociétés fictives directement dans le Wyoming, le Delaware ou le Nevada. Ils n’ont pas besoin d’aller à Panama pour constituer une société écran pour des activités illicites. »

(Article paru d’abord en anglais le 5 avril 2016)