Les syndicats du secteur public québécois bloquent la lutte politique nécessaire contre l'austérité
Par Richard Dufour
7 septembre 2015
Dans le cadre des vastes coupes sociales de l’élite dirigeante canadienne visant à faire payer les travailleurs pour la crise capitaliste mondiale, le gouvernement libéral de Philippe Couillard mène un assaut sans précédent sur les salaires et les conditions de travail de plus d’un demi-million d’employés du secteur public québécois.
Les conventions collectives étant échues dans ce secteur depuis avril dernier, les libéraux exigent un gel salarial sur deux ans suivi d’une hausse minimale de 3% sur trois ans; le report de l’âge de la retraite et la baisse des prestations; une augmentation de la charge de travail; et une baisse de 2% de l’embauche.
Face à cette offensive tous azimuts, que font les syndicats? Loin de mobiliser l’ensemble de la classe ouvrière pour organiser une contre-offensive, les syndicats conspirent avec le gouvernement et la grande entreprise pour diviser les travailleurs et faciliter l’imposition des mesures d’austérité.
Les manœuvres malhonnêtes des chefs syndicaux pour contenir les travailleurs ont été révélées dans une lettre envoyée au début de l’année scolaire à des milliers d’enseignants de la Rive-sud de Montréal par le Syndicat de Champlain, affilié à la Centrale des Syndicats du Québec (CSQ).
Son président Éric Gingras écrit au début de la lettre que «nos représentants font état de ce qui semble être une volonté réelle de négocier de la part de la partie patronale». En réalité, comme a dû le reconnaître le «Front commun» des syndicats du secteur public, les négociations sont au point mort devant l’intransigeance gouvernementale.
Le Premier ministre Couillard a réitéré que son «gouvernement ne changera pas son mode de décision selon les manifestations ou les expressions d'insatisfaction». Refusant de reculer d’un iota sur son programme d’austérité, il se prépare plutôt à criminaliser tout mouvement sérieux de résistance en utilisant les lois anti-ouvrières déjà en vigueur ou en imposant une nouvelle loi spéciale.
Si le président du Syndicat de Champlain ment aussi effrontément sur «l’état des négocations», c’est pour endormir les membres face au danger de la loi spéciale – qui soulève l’urgente nécessité d’une vaste campagne de mobilisation de toute la classe ouvrière en tant que force politique indépendante.
Gingras veut limiter les travailleurs à des gestes futiles de pression qui acceptent entièrement le cadre bidon de la «négociation». C’est pourquoi il écrit que le supposé «changement d’attitude» du gouvernement «n’est pas étranger à l’ampleur de notre mobilisation du printemps dernier».
De quoi ce chef syndical parle-t-il au juste? Que ce soit dans le milieu scolaire ou ailleurs dans le secteur public, les syndicats n’ont organisé aucune action sérieuse et concertée le printemps dernier pour défendre les conditions de travail et les programmes sociaux.
Le sentiment de colère et l’énergie combative des travailleurs ont plutôt été canalisés vers des appels futiles au gouvernement et des gestes timides de protestation pour appuyer la «négo» – un système érigé pour défendre les intérêts de la classe dirigeante et grandement limiter toute possibilité de lutte militante des travailleurs.
Les «moyens d’action» préconisés par Gingras se réduisent à des peccadilles: le «respect de la tâche et du nombre d’heures prévues à son contrat»; la «perturbation de l’activité d’accueil» aux écoles par le «port de vêtements noirs»; la «perturbation des rencontres convoquées par la direction» lors des journées pédagogiques «en faisant de la lecture, … en étant silencieux, en jouant sur nos téléphones».
Quant à l’action apparemment plus militante organisée à l’initiative des syndicats de l’enseignement, la formation de chaînes humaines d’enseignants, de parents et d’enfants autour de dizaines d’écoles à travers la province le 1er septembre, elle ne signifiait aucunement une opposition de principe à l’austérité capitaliste sous toutes ses formes.
C’était plutôt un appel nationaliste à investir davantage en éducation pour préserver le «modèle éducatif québécois» – au détriment d’autres besoins sociaux urgents – sur la base d’une coalition avec les représentants de l’État chargés d’appliquer les mesures d’austérité dans les écoles, la Fédération québécoise des directions d’établissements d’enseignement (FQDE).
Tel que rapporté dans son Bulletin Express du 8 janvier 2015, la FQDE avait demandé «que les prochaines conventions collectives permettent une organisation du travail flexible», un code pour la destruction des conditions de travail du corps enseignant et du personnel de soutien.
Gingras termine sa lettre en convoquant les membres de la base à une assemblée générale pour décider d'un «moyen de pression commun», à savoir «la grève».
Les centrales syndicales qui ont formé le soi-disant «Front commun» du secteur public – notamment la Fédération des travailleuses et travailleurs du Québec (FTQ), la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) – ont indiqué à maintes reprises que leur priorité était d’arriver à une entente «négociée» avec le gouvernement, sans avoir à recourir à la «bombe atomique» que serait un débrayage.
Elles vont maintenant demander à leurs membres de voter pour «six jours de grève rotative, sur une base régionale ou nationale». Le caractère limité du mandat de grève recherché démontre qu'il est entièrement subordonné à la stratégie d'éviter à tout prix une confrontation avec le gouvernement, tout en servant de soupape de sécurité pour évacuer la colère grandissante des membres de la base.
Si, au grand dam des chefs syndicaux, le scénario de la grève devait se concrétiser, des voix s'élèveraient au sein de l'élite dirigeante pour exiger du gouvernement qu'il réagisse de la manière la plus brutale en sortant l’artillerie lourde de la loi spéciale.
Les chefs syndicaux n’ont aucunement préparé les travailleurs à cette éventualité. Ils s'en serviraient plutôt pour justifier une capitulation immédiate et totale, comme ils l'ont fait en 2005 après l'adoption d'un décret draconien qui imposait un contrat de travail de cinq ans dans le secteur public.
Sans que les syndicats ne lèvent le petit doigt, le droit de grève a été quasiment aboli au Canada. Le gouvernement conservateur fédéral de Stephen Harper est intervenu plusieurs fois au cours des quatre dernières années pour criminaliser des mouvements de débrayage à Postes Canada, Air Canada et CN Rail.
Face à l’austérité capitaliste et la menace d’une loi spéciale, les travailleurs du secteur public québécois doivent faire de la défense de leurs conditions de travail et des services publics le coup d’envoi d’une vaste contre-offensive unissant les travailleurs de la province et du reste du Canada – français, anglais et immigrés – dans une lutte politique pour l’égalité sociale.
L’obstacle principal qui se dresse sur cette voie c’est l’appareil bureaucratique syndical, un défenseur forcené du système de profit, comme en atteste son alliance de longue date avec le parti de la grande entreprise qu’est le Parti québécois. Cette alliance continue de plus belle depuis que le PQ est dirigé par le richissime magnat des communications et ultra-droitier notoire, Pierre-Karl Péladeau.
Pour surmonter cet obstacle, il faut former des comités de travailleurs militants de la base, entièrement indépendants des syndicats et basés sur une perspective socialiste: la lutte pour un gouvernement ouvrier, qui utiliserait les vastes ressources disponibles pour satisfaire les besoins humains, et non le profit individuel.