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L'étrange mort du mouvement anti-guerre

Par Bill Van Auken
15 octobre 2015

Après plus de 14 ans d’interminables guerres d’agression menées par les États-Unis au nom de la lutte au terrorisme, les sentiments humanitaires et la promotion de la « démocratie », la menace que pose à l’humanité l’éruption du militarisme américain n’a jamais été aussi aiguë.

En Syrie, Washington et ses alliés ont répondu à l’intervention de la Russie en appui au gouvernement du président Bachar al-Assad et contre les milices islamistes soutenues par les États-Unis par des propos belliqueux et l’introduction massive de nouvelles armes dans le conflit. La perspective que la guerre se transforme en une conflagration régionale et même mondiale, opposant les deux plus grandes puissances nucléaires du monde, a été soulignée à grands traits. Le président français François Hollande a averti la semaine dernière que le conflit syrien posait le danger d’une « guerre totale, une guerre qui va également affecter nos territoires », c'est-à-dire l’Europe occidentale.

En Asie, les États-Unis sont impliqués dans des manœuvres militaires à caractère provocateur qui visent à contester la montée de la Chine. Des navires de guerre américains se préparent à naviguer dans les eaux territoriales revendiquées par Pékin.

Des troupes américaines, pendant ce temps, restent embourbées dans les deux guerres néocoloniales que le président Barack Obama avait promis, avant son élection, de stopper. Des troupes ont été renvoyées en Irak, tandis qu’en Afghanistan, les plans de retrait des forces américaines ont été rangés face à l’effondrement, avant l’offensive des talibans à Kunduz, de l’armée fantoche afghane mise sur pied par Washington.

Plus tôt ce mois-ci, les forces américaines ont commis un nouveau crime de guerre en ordonnant une attaque par un avion AC-130 américain, équipé de plusieurs canons, sur un hôpital géré par Médecins Sans Frontières (MSF) à Kunduz, attaque qui a tué 22 personnes parmi le personnel médical et les patients.

La grande majorité du peuple américain et les gens partout sur la planète sont contre la guerre. Pourtant, ce profond sentiment d'opposition ne trouve aucune expression dans le système politique actuel. Les manifestations antiguerre de dizaines de millions qui ont laissé voir une puissante force mondiale en février 2003, à la veille de l’invasion américaine de l’Irak, n’ont jamais été répétées. Et les manifestations antiguerre plus limitées qui ont eu lieu à la suite de l’invasion ont cessé depuis longtemps.

Comment expliquer la disparition du mouvement antiguerre ? Ce n’est pas parce que le sentiment d’opposition à la guerre aurait diminué parmi les travailleurs. Sa mort doit plutôt être attribuée aux actions de ceux qui ont déjà mené les mouvements de protestation – des tendances de la pseudo-gauche qui ont dépeint leur politique comme étant radicale, anti-impérialiste et anti-capitaliste, alors qu'il n'en était rien.

Aux États-Unis, ces tendances ont travaillé délibérément pour canaliser le sentiment antiguerre derrière le Parti démocrate, qui représente le capital financier. Ils ont démantelé les manifestations à l’approche de chaque élection, avant d'y mettre fin une fois qu’Obama est entré à la Maison-Blanche.

Il ne s'agissait pas seulement de l’appartenance politique du président américain, mais de l'orientation politique des tendances de la pseudo-gauche en tant que telle.

Ces groupes sont apparus en grande partie dans les manifestations de masse contre la guerre du Vietnam dans les années 1960 et 1970, un mouvement dominé par des sections de la classe moyenne et qui a rapidement baissé avec la fin de la conscription aux États-Unis et le retrait des troupes américaines.

Leur évolution ultérieure vers la droite a suivi celle de la classe dirigeante elle-même, et leur ligne politique s’est fermement enracinée dans les intérêts matériels des couches les plus aisées de la classe moyenne. Les fortunes personnelles de ces couches sociales ont augmenté avec les marchés boursiers et le prix de l’immobilier, le produit de la croissance du parasitisme financier, lequel était à son tour lié à l’éruption globale du militarisme américain.

Ce nouveau soutien pour l’impérialisme américain s'est traduit dans le fait que de grandes sections de ce qui se passait pour la gauche se sont mises à appuyer, sous la bannière cynique des « droits de l’homme », l’intervention impérialiste dans les Balkans et les guerres civiles provoquées par les pays occidentaux pour démembrer la Yougoslavie dans les années 1990.

L'International Socialist Organization (ISO) aux États-Unis adopte dans sa politique intérieure une sorte de réformisme de gauche, en alliance avec une section du Parti démocratique, les couches libérales de la classe moyenne supérieure, les milieux universitaires et la bureaucratie syndicale.

C'est dans sa politique étrangère, cependant, que sa nature de classe apparaît de la manière la plus crue. Dans ce domaine, l’ISO figure parmi les défenseurs les plus acharnés de la guerre et se range objectivement derrière les factions de l’État, du Pentagone et de la CIA qui exigent de manière agressive une escalade militaire.

En collaboration avec ses homologues en Europe, des organisations telles que le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) français et le Parti de gauche allemand, l'ISO a soutenu les guerres impérialistes pour un changement de régime en Libye et maintenant en Syrie sous le prétexte des droits de l’homme. L’ISO est allée jusqu'à dépeindre les opérations militaires menées par des milices islamistes soutenues par les États-Unis, l’Arabie Saoudite, la Turquie et le Qatar – certains des régimes les plus réactionnaires du Moyen-Orient – comme des « révolutions », tout en accordant le même traitement au coup d’État orchestré par Washington et mené par des voyous fascistes en Ukraine.

Cette orientation apparaît avec une netteté particulière dans le NPA français et le Parti de gauche allemand. Parlant au nom du NPA, l’universitaire Gilbert Achcar a justifié la guerre menée par les États-Unis et l’OTAN en Libye en soutenant, sans aucun fondement objectif, que l’armée libyenne était sur le point de lancer un massacre dans la ville orientale de Benghazi et que seule une guerre impérialiste pouvait l’arrêter. « On ne peut pas, au nom de principes anti-impérialistes, s’opposer à une action qui va empêcher le massacre de civils », a-t-il insisté. La guerre des États-Unis et l'OTAN qu’il a promue a coûté la vie à quelque 30.000 Libyens.

Par la suite, Achcar a rencontré des responsables du Conseil national syrien (SNC), des éléments qui travaillent étroitement avec les services de renseignement américains et français, afin de les conseiller sur la meilleure stratégie à suivre pour provoquer une intervention impérialiste directe et réprimer l’opposition populaire à laquelle elle ferait face.

Ces tendances, ainsi que des scélérats des milieux universitaires comme Juan Cole, qui a misé sur sa réputation gonflée de critique de la guerre en Irak pour promouvoir la guerre en Libye, ont joué un rôle clé pour légitimer les guerres d’agression des États-Unis.

Dans un contexte où l’administration Obama est profondément divisée sur sa politique en Syrie suite à l’intervention de la Russie, l’ISO en est venue à appuyer fortement une escalade militaire. Ce n’est pas par hasard que l’un des éléments les plus bellicistes de l’Administration est Samantha Power, l’ambassadrice américaine à l’ONU, dont le soutien pour l’agression impérialiste au nom des « droits de l’homme » la met sur la même longueur d'onde que la pseudo-gauche.

Sur son site web, Socialist Worker, l’ISO critique Obama pour ne pas être suffisamment agressif. On peut y lire ceci: « Les rebelles disent que l’aide militaire promise par les gouvernements américain et européens n’a jamais consisté en armes lourdes, telles que des batteries antiaériennes, qui les aideraient à affronter l'armée syrienne et maintenant les avions militaires russes. »

L’ISO cherche à légitimer l’agression américaine en qualifiant à tort la Russie de pays « impérialiste ». Bien que le gouvernement de Vladimir Poutine poursuive un programme réactionnaire en Syrie, basé sur les intérêts de la couche de capitalistes et d'oligarques qu’il représente, la Russie reste une économie dépendante, encerclée et dominée par l’impérialisme occidental.

Pour l’ISO, la définition de la Russie comme une puissance impérialiste ne découle pas d’un examen sérieux de l’évolution historique du pays ou de la nature de la société qui est sortie de la dissolution de l’URSS. C'est plutôt un expédient terminologique qui lui permet de soutenir les opérations militaires dirigées par les États-Unis contre la Russie. Ainsi, dans le supposé conflit inter-impérialiste opposant Washington à Moscou, l’ISO se place de façon décisive dans le camp du premier.

Dans le cas du coup d’État en Ukraine, cette organisation a dénoncé « certains éléments de la gauche américaine et européenne » pour avoir soutenu que « “l’ennemi principal”, l’impérialisme, est “à la maison” », le mot d’ordre des marxistes authentiques dans les pays impérialistes depuis plus d’un siècle. Cela revient, selon l'ISO, à « tourner le dos au soulèvement de masse » orchestré par les États-Unis pour un changement de régime aux frontières de la Russie.

Loin de promouvoir un mouvement antiguerre, ces organisations constituent une importante faction proguerre à l'échelle internationale. Financée par des fondations de l'élite dirigeante, étroitement liée à des figures de proue du Parti démocrate, et hostile à tout mouvement indépendant de la classe ouvrière, l’ISO a évolué pour devenir une extension de l’État capitaliste, un type particulier d’ONG dont la mission est de fournir une couverture de « gauche » à l’agression impérialiste.

Un véritable mouvement antiguerre ne peut émerger que dans une lutte acharnée pour démasquer de telles organisations et démolir leur influence, ce qui constitue un élément essentiel de la lutte pour mobiliser la classe ouvrière internationale comme une force indépendante sur la base d’un programme socialiste pour mettre fin au capitalisme, la source de la guerre.

(Article paru en anglais le 14 octobre 2015)