Le Canada aide le régime de Kiev à s’armer pour combattre la guerre civile en Ukraine
Par Roger Jordan
13 mars 2015
En plus de l'équipement militaire «non létal» qu'il procure déjà au gouvernement ukrainien, le gouvernement conservateur du Canada veut procurer des armes à l'armée ukrainienne et aux forces ultranationalistes ainsi qu'aux milices fascistes qui se battent à ses côtés – directement, ainsi qu'à travers un réseau d'hommes d’affaires canado-ukrainiens et d'organisations nationalistes.
Le ministre de la Défense Rob Nicholson a dénoncé la Russie lors d'une visite en Europe la semaine dernière. Sur un ton belliqueux, il a affirmé qu’Ottawa ne reconnaîtrait jamais les «revendications» de la Russie sur le «territoire ukrainien», déclarant, «Tu n’es pas le bienvenu Poutine. Russes, sortez de l'Ukraine. Il faut stabiliser la région.»
Sans citer la moindre preuve, Nicholson a accusé Moscou d'avoir violé à plusieurs reprises l'entente de cessez-le-feu qui avait temporairement mis fin aux combats le mois dernier. «Nous avons vu toutes sortes d'exemples de violations de l’accord», a prétendu Nicholson.
Contrairement à ce que prétend la propagande du gouvernement canadien, la crise ukrainienne a été provoquée et continue d'être attisée par les États-Unis, l'Allemagne et ses alliés, incluant le Canada. Ces puissances ont aidé à orchestrer le coup d’État de février 2014 qui a renversé le président élu d'Ukraine Viktor Ianoukovitch; ont encouragé le nouveau régime de Kiev à mener une guerre civile brutale contre la population ukrainienne dans la région du Donbass; et ont proféré des menaces de guerre contre la Russie en augmentant fortement la présence de l'OTAN le long des frontières entre la Russie et l'Europe de l'Est et dans la mer Noire.
De récents reportages du Globe and Mail présentent de l'information importante concernant le rôle de première ligne que des citoyens canadiens jouent dans le transfert de matériel militaire létal et non létal à l'armée ukrainienne et aux bataillons volontaires qui combattent les séparatistes prorusses dans l'est de l'Ukraine. Bien que le Globe, le journal par excellence de l'élite patronale canadienne, n'en fait aucune mention, la conclusion que ses reportages imposent est que le gouvernement canadien appuie cette aide et la facilite.
Plusieurs députés conservateurs ont pris la parole lors d'événements de financement organisés par Army SOS, le groupe qui coordonne une large part de l'effort de ravitaillement. Le gouvernement canadien a décrété que l'initiative d’Army SOS pour recueillir des fonds et d'autres dons de la part d'Ukrainiens-Canadiens est une œuvre de bienfaisance qui lui mérite le statut privilégié de taxation qui est accordé à ce genre d’organisation. En plus, beaucoup d'individus impliqués font partie d'un réseau d'organisations canado-ukrainiennes menées par le Congrès des Ukrainiens-Canadiens (Ukrainian Canadian Congress, UCC) qui pendant plusieurs décennies, sous des gouvernements libéraux et conservateurs, a été utilisé pour s'affilier à de soi-disant groupes de la société civile en Ukraine, aidant à organiser et financer des médias et organisations politiques pro-occidentaux.
Lenna Koszarny, qui vient de London en Ontario, coordonne la livraison de matériel d’Army SOS pour l'armée ukrainienne et ses milices alliées. Elle est également la dirigeante de l’UCC et siège à son conseil consultatif.
Le Globe détaille la façon dont Army SOS a procuré aux forces ukrainiennes des vêtements et de l’équipement militaires, incluant des armes à feu et des drones de surveillance, directement sur les lignes de front. En contournant fréquemment l'armée ukrainienne, Army SOS a aidé à approvisionner plusieurs bataillons volontaires d'extrême droite parmi les plus notoires. Un membre d’Army SOS a justifié cela dans une entrevue avec le Globe en admettant que le gouvernement ukrainien et l'armée étaient profondément corrompus.
En Ukraine même, la provenance de cette aide n'est pas un secret. L'article note que «dans les quartiers généraux d’Army SOS, une organisation de volontaires qui aident les guerriers de l’Ukraine sur le terrain, la feuille d'érable est suspendue dans l’entrepôt au premier étage et l'atelier de drones à l'étage. Jusqu'à récemment, des drapeaux canadiens étaient souvent inclus avec le matériel livré par Army SOS au front – ce qui explique probablement pourquoi les couleurs du Canada sont souvent aperçues sur les lignes de front près de la capitale rebelle de Donetsk.»
Des volontaires canadiens se sont également joints au combat, apparemment très tôt. Au moins un d’entre eux aurait intégré le fameux bataillon Azov, qui utilise des symboles nazis et cherche à établir une Ukraine ethniquement pure. Cet individu, dont on ignore actuellement la situation, a été cité par des médias à Mariupol l'an dernier se proclamant un «national-socialiste» qui se bat pour défendre les Ukrainiens ethniques et leur culture.
Un autre combattant volontaire, qui s'est battu pour un bataillon qui a été accusé par Amnistie Internationle de kidnappage et de possibles exécutions, est de retour au Canada où il participe aux événements d’Army SOS pour recueillir des fonds et encourager des Canadiens volontaires à rejoindre les combats. Lors d'un récent événement à Toronto, auquel ont participé deux députés conservateurs, Army SOS a amassé 52.000 dollars.
Même le Globe s'est vu forcé de remarquer le contraste frappant entre le traitement par le gouvernement de ceux qui sont allés à la guerre avec des milices fascistes en Ukraine et ceux qui vont en Syrie et en Irak pour se joindre aux rangs du groupe État islamique.
Le caractère ultra-réactionnaire des «volontaires» alignés sur le gouvernement Ukrainien a été admis par Mychailo Wynnyckyj, un professeur ukrainien-canadien qui enseigne à Kiev et est impliqué dans Army SOS. En parlant des forces qu’Army SOS aide à ravitailler avec de l'argent et de l’équipement militaire, il a dit: «Est-ce que j’aimerais que ces combattants soient mes voisins? Probablement pas. Mais dans une guerre, l'ennemi de mon ennemi est mon ami.»
Le reportage du Globe lui-même souligne que les milices soutenues par Army SOS – avec au moins l'appui tacite du gouvernement Canadien – sont loin d'être sous le contrôle du gouvernement à Kiev et pourraient très bien vouloir le renverser dans le futur. «S'il y a une énorme défaite militaire, les bataillons pourraient venir à Kiev et organiser un coup d'État», rapporte un conseiller du gouvernement ukrainien au Globe.
Ces dernières révélations sont tout à fait conformes au rôle du Canada en Ukraine dans le dernier quart de siècle. Le premier pays à reconnaître l'indépendance de l'Ukraine en 1991, le Canada, travaillant de concert avec Washington et à travers des organisations ukrainiennes-canadiennes, a fortement investi dans des groupes pro-occidentaux, aidant à organiser la Révolution orange de 2004 et les manifestations du Maïdan qui ont entraîné le renversement de Ianoukovitch.
Le gouvernement Harper a également été parmi les promoteurs les plus belliqueux du régime à Kiev, faisant maintes fois appel à plus de sanctions et menaçant la Russie d’interventions militaires.
Le mois dernier, tandis que l'administration Obama augmentait la pression sur Moscou avec sa menace de considérer l'armement de l'Ukraine avec de l'équipement militaire létal, Harper a signalé que son gouvernement serait prêt à faire de même. Lors d’une visite de la chancelière allemande Angela Merkel à Ottawa, il a refusé d'exclure toute mesure, pourvu qu'il y ait consensus entre les alliés du Canada dans l’OTAN.
L’UCC, pour sa part, a des liens au mouvement nationaliste ukrainien qui, sous la direction de Stepan Bandera, a collaboré avec l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Certaines de ses organisations constituantes ont été fondées par des vétérans des forces nationalistes de Bandera, qui a participé aux massacres de Juifs et de Polonais durant l'occupation nazie de l'Ukraine.
À travers ces canaux, le gouvernement canadien a forgé des liens avec les oligarques et hommes d’affaires droitiers ukrainiens avec qui il est avide de faire des affaires. Des négociations ont présentement lieu pour un accord de libre-échange entre les deux pays et l'Ukraine est sur la liste vingt pays les plus «dignes d’intérêt» du ministère des Affaires étrangères du Canada.
Quand on considère les individus impliqués dans le financement et l'approvisionnement des bataillons volontaires au nom de l'impérialisme canadien, le lien direct entre ces intérêts et les buts militaires plus immédiats est manifeste aux yeux de tous. Koszarny de l’UCC travaille à la fois à l'approvisionnement du front avec des armes d’Army SOS et en tant que spécialiste en placements. Bohdan Kupych est un Canadien-Ukrainien qui a mené une équipe de programmeurs de logiciels pour produire un système de ciblage d'artillerie qui a été procuré aux bataillons pour assister au bombardement de zones occupées par les séparatistes, attaques qui tué des centaines de civils.
Lors d'une récente visite au Canada, Andriy Parubiy, qui a mené les forces de sécurité volontaires lors des manifestations du Maïdan et a cofinancé dans les années 1990 le Parti social national d'extrême droite de l'Ukraine avec le présent dirigeant du parti néo-fasciste Svoboda, a dit que le Canada a été l'allié le plus fiable de Kiev. Servant maintenant en tant que vice-premier ministre dans le régime de Poroshenko, Parubiy a remarqué que, «le Canada a été en quelque sorte un leader mondial sur la question de l'Ukraine».
Pendant son voyage, Parubiy a rencontré le ministre des Affaires étrangères Nicholson, le secrétaire parlementaire au ministre de la Défense James Bezan et le président de la Chambre des communes Andrew Scheer. Il a dit au Globe qu'il espérait que le Canada utilise son influence à Washington pour convaincre l'administration Obama de fournir des armes à Kiev.
(Article paru d’abord en anglais le 11 mars 2015)