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Les cours boursiers record dans le monde reflètent la croissance du parasitisme financier

Par Nick Beams
2 mars 2015

La semaine dernière a vu les cours boursiers mondiaux frôler des niveaux record dans des conditions où le gouvernement allemand prenait l’initiative sans précédent d’émettre des obligations dégageant un rendement négatif. Ces deux phénomènes interdépendants indiquent une croissance explosive du parasitisme financier.

Les marchés boursiers dans le monde frisent, selon l’indice FTSE All-World Index, leurs plus hauts niveaux historiques. Le FTSE 100, l’indice britannique des valeurs boursières de tête, a dépassé son record précédent de la fin 1999, atteint juste avant l’éclatement de la bulle dot.com; l’indice Dow Jones de Wall Street et le DAX allemand ont eux aussi atteint des records.

Il s’agit là d’un phénomène extraordinaire vu que de vastes secteurs de l’économie mondiale, principalement l’Europe et le Japon, se trouvent soit en stagnation soit en récession; la Chine et les soi-disant « marchés émergents », le centre de gravité de la croissance mondiale, sont en train de ralentir; et la croissance américaine tant vantée se situe encore en-dessous des tendances historiques.

Tous les principaux rapports sur la situation de l’économie mondiale ces derniers mois – ceux de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et de l’Organisation de Coopération et de Développement économique – ont revu à la baisse les prévisions de croissance précédentes et ont averti que l’économie se caractérisait de plus en plus par un cercle vicieux.

L’investissement a chuté à des niveaux historiquement bas faute de demande et d’opportunités de profit. Ce déclin des investissements mène à son tour à une nouvelle baisse de la demande et des perspectives de profit.

En dépit de ces fortes tendances, les marchés boursiers continuent leur montée et mettent ainsi en évidence combien l’accumulation de la richesse par les élites financières du monde se trouve détaché du véritable processus de production.

L’un des principaux facteurs à avoir stimulé Wall Street ces derniers jours a été l’attente, après le témoignage de la présidente de la Réserve fédérale américaine Janet Yellen devant le Congrès américain, que la banque centrale ne se presserait pas de relever les taux d’intérêt officiels. L’argent bon marché continuerait donc d’affluer sur les marchés financiers.

Les marchés européens se sont eux aussi réjouis des remarques de Yellen et ont été en outre stimulés par la mise en place du programme d’‘assouplissement quantitatif’ de la Banque centrale européenne, censé débuter cette semaine.

Ils furent de plus réconfortés par la nouvelle de l’abjecte capitulation du gouvernement de Syriza en Grèce, obtenue par l’Union européenne et les oligarchies financières qu’elle représente et par l’abandon des promesses électorales de ce parti de la pseudo-gauche, selon lesquelles il voulait combattre le programme d’austérité de l’UE. Cette situation, qui conduira à une plus grande paupérisation encore de la classe ouvrière grecque, fut une source de satisfaction non seulement du fait de ses implications en Grèce, mais aussi par le message envoyé à toute l’Europe, qui est que toute demande d’arrêter l’austérité subirait le même sort.

L’émergence de rendements négatifs des obligations, soulignée par l’émission par le gouvernement allemand d’obligations sur cinq ans à un taux négatif, signifie que le marché boursier se transforme en une gigantesque chaîne de Ponzi où la capacité de faire de l’argent dépend de l’injection continue de liquidités dans le système financier – principalement en provenance des banques centrales. Cela fonctionne de plus en plus selon le principe du « plus fou que moi ». Il est peut-être fou d’investir dans une obligation qui coûte cher et génère un rendement négatif, mais les spéculateurs supposent qu’il y aura un plus grand fou encore qui achètera l’obligation dès que son cours augmentera.

Lorsque les rendements négatifs étaient apparus pour la première fois, on avait pensé à un phénomène passager, une conséquence de la recherche d’un « refuge sûr » pour placer ses liquidités. Mais ils sont en train de devenir un trait permanent du paysage financier.

En plus de l’Allemagne, les bons du Trésor à cinq ans émis par le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas et l’Autriche, ainsi que les obligations d’entreprises émises par Nestlé et Shell, ont été mis sur le marché avec des rendements négatifs.

L’impulsion immédiate pour une augmentation des rendements négatifs vient de la décision de la Banque centrale européenne de débuter, à partir du 1er mars, le rachat d’actifs au rythme de 60 milliards d’euros par mois, pendant les seize prochains mois au moins.

S’exprimant dans le Financial Times, Divyang Shah, stratège global à IFR Markets, a dit: « Il ne faudrait pas exclure qu’une fois le programme de AQ [Assouplissement Quantitatif] de la BCE commencé, les rendements des obligations allemandes à 10 ans passent au dessous de zéro et aillent vers des taux négatifs. » On faisait déjà commerce des obligations suisses à 14 ans à rendement négatif et donc un tel résultat ne pouvait être exclu, a-t-il dit. Il ajouta qu’« au lieu d’une demande pour des valeurs refuges nous avons une demande liée à l’AQ. »

Le rendement de l’obligation allemande sur 10 ans est tombé jeudi dernier au bas niveau record de 0,28 pour cent. Les rendements sur 10 ans en France, au Portugal et en Espagne dégringolent eux aussi à des niveaux record à la baisse.

La croissance vraiment explosive du parasitisme financier, qu’exprime le phénomène du rendement négatif, est mise en évidence par des données rassemblées par JPMorgan Chase. La banque estime qu’au cours de la seule année écoulée, la valeur des obligations à rendement négatif a augmenté de manière exponentielle – passant de 20 milliards de dollars à 2 milliers de milliards de dollars – c'est-à-dire qu’elle a centuplé. On calcule qu’au moins un tiers de toutes les obligations européennes affichent des rendements négatifs. Rien de semblable ne s’est jamais vu dans l’histoire économique.

L’un de ses effets immédiats est la destruction du mode opératoire des fonds de pension et des compagnies d’assurance. Tout au long de leur histoire, ils ont investi dans la dette gouvernementale dans le souci de s’assurer un taux de rendement constant et sûr à long terme. Souvent ils se conformaient en cela à des prescriptions légales. Cependant, cette stratégie est de moins en moins viable et, dans un effort pour respecter leurs engagements, ils sont contraints d’opérer des investissements plus risqués ou de participer à la spéculation sur le marché obligataire.

La montée du parasitisme financier a des implications économiques et politiques déterminantes. Comme le montre l’ensemble de l’histoire économique et comme l’ont une fois de plus révélé les événements de la dernière décennie, le maintien de ce château de cartes ne peut se poursuivre indéfiniment.

Une grande faillite, produite par un changement subit de la valeur de l’une ou de l’autre monnaie par exemple (comme ce fut le cas en début d’année avec l’envolée du franc suisse), l’insolvabilité d’une société, un changement d’humeur subit dû à une hausse des taux d’intérêt ou à l’un ou l’autre événement en apparence accidentel, peut déclencher une réaction en chaîne qui fera s’écrouler l’ensemble de cet édifice financier pourri.

En outre, parce que des milliers de milliards de dollars ont été injectés dans le système financier par les banques centrales au cours des six dernières années, les conséquences sont potentiellement plus graves encore que celles entraînées par l’effondrement de Lehman Brothers en septembre 2008.

Les fermetures d’entreprises, les licenciements et le chômage de masse ainsi que l’intensification des attaques contre les services sociaux qui s’ensuivront attiseront les luttes sociales et politiques et entraîneront une réaction immédiate et impitoyable de la part de l’oligarchie financière. Telle est la leçon que nous enseigne la Grèce.

Parfaitement conscientes de ce qu’elles n’ont aucune solution économique à offrir pour la crise du système de profit, les élites dirigeantes ont passé les six dernières années à renforcer la police et les forces de sécurité dans chaque pays afin de venir à bout des luttes de masse qui éclateront inévitablement.

La classe ouvrière internationale doit entreprendre ses propres préparatifs. Ceux-ci sont axés sur la lutte pour un programme socialiste et internationaliste indépendant visant le renversement de l’oligarchie financière et la construction d’un parti révolutionnaire qui dirige cette lutte.

(Article original paru le 27 février 2015)