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La dictature du capital financier: la Grèce et l'Ukraine

Par Alex Lantier
16 juin 2015

Au moment où la Grèce vacille au bord de la faillite, les responsables de l’Union européenne serrent la vis à ce pays endetté.

Ils exigent que la Grèce rembourse ses dettes et fasse plus de coupes dans les retraites comme condition préalable à de nouveaux prêts. Ils ont répondu au bref retard de Syriza à rembourser 300 millions d’euros en menaçant de couper les crédits à la Grèce et ainsi de pousser l’État et son système financier à la faillite. Cela pourrait forcer la Grèce à réintroduire sa propre monnaie nationale pour éviter un effondrement de ses banques ce qui pourrait mettre en mouvement la dissolution de l’euro et de l’UE elle-même.

Berlin adopte « une ligne dure : une approche “à prendre ou à laisser” », écrivait le Financial Times hier, il citait un responsable de la zone euro disant : « La seule réponse qu’ils attendent des Grecs c'est “oui.” »

Au moment où le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne ont quitté les négociations avec les responsables grecs, Donald Tusk, l’ancien Premier ministre polonais et actuel président du Conseil européen, a déclaré : « Nous avons besoin de décisions, et non de négociations, maintenant. »

Il est instructif de comparer le traitement de la Grèce avec celui d’un autre pays en faillite, l’Ukraine. Dans la même édition que l’article citant des responsables européens sur la Grèce, le Financial Times a une chronique demandant une politique diamétralement opposée en Ukraine, où il appelle les créanciers à remettre une grande partie de sa dette.

Les créanciers de l’Ukraine, d'après le Financial Times, ont une « obligation morale d’accepter une restructuration qui réduise la dette de l’Ukraine à des niveaux soutenables. » Si les créanciers de l’Ukraine refusent de conclure un accord, déclare ce journal, « L’Ukraine a raison de soulever la possibilité de déclarer un moratoire sur le service de la dette. » Autrement dit, le gouvernement de Kiev serait justifié à retarder les paiements à ses créanciers, ce que la Grèce a fait brièvement envers le FMI, ou même de les annuler purement et simplement.

Pourquoi la voix médiatique du capital financier européen parle-t-elle avec exaltation d'une « obligation morale » d'aider le régime de Kiev tout en exigeant l’étranglement financier sans répit de la Grèce ?

« Éviter l’effondrement grec est vital pour la stabilité de la zone euro, mais son importance stratégique est éclipsée par celle de l’Ukraine », explique le Financial Times. Attirant l’attention sur le rôle du régime de Kiev contre la « guerre par procuration » de la Russie voisine dans l’est de l’Ukraine, le journal ajoute : « Sur une question d’une telle ampleur géopolitique, les intérêts financiers privés ne peuvent pas être autorisés à dicter la politique publique. »

Derrière cette apparente contradiction dans le traitement de la Grèce et de l’Ukraine se trouvent les intérêts de classe réactionnaires du capital financier dans les principales puissances impérialistes, qui sont poursuivis avec une détermination impitoyable.

Le régime d’extrême-droite de l’Ukraine est un rouage clé de la campagne de Washington et de l’OTAN pour un vaste renforcement militaire dans toute l’Europe, au risque d'une guerre contre la Russie. Il a été installé au cours d'un putsch parrainé par l’UE et les États-Unis, et mené par les milices fascistes, pour servir la campagne impérialiste qui veut contraindre Moscou à accepter un statut de semi-colonie.

Pendant qu'il mène une guerre civile sanglante contre les forces pro-russes en Ukraine orientale, le gouvernement de Kiev sabre dans les emplois et les budgets des services publics, réhabilite l’héritage des forces qui ont collaborées avec les nazis en Ukraine durant la Deuxième Guerre mondiale, et interdit de mentionner publiquement la Révolution d’octobre et le communisme. Les gouvernements impérialistes sont bien conscients que si des milliards d’euros sont remis à Kiev, la totalité de la somme sera consacrée à la guerre. Pas un sou n’ira aux travailleurs ukrainiens.

Il n’y a pas de telles considérations géostratégiques au sujet du régime Grec. Les fonctionnaires de l’UE connaissent trop bien les dirigeants du parti au pouvoir en Grèce, Syriza (La Coalition de la gauche radicale), pour les voir comme une menace révolutionnaire. Cependant, Syriza a été élu sur la base d’une large opposition populaire à l'austérité imposées pendant six ans par l’UE et aux partis de gouvernement traditionnels du pays qui l'avaient mis en œuvre.

Concernant la Grèce, les banques européennes cherchent à faire comprendre qu’elles ne toléreront aucune concession à l’opposition populaire à l’austérité. Le pillage de milliards d’euros pris aux travailleurs continuera, quoi qu’il arrive.

L’expérience des cinq mois qui ont suivi l’élection de Syriza en janvier contient des leçons essentielles pour la classe ouvrière grecque et internationale. Elle a confirmé l’avertissement lancé par le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) : seule la lutte pour unifier la classe ouvrière internationale et la mobiliser dans la lutte révolutionnaire contre le capitalisme offre un moyen d’avancer.

Syriza a pris le pouvoir en affirmant qu’un accord pourrait être conclu avec l’UE, et que les problèmes des travailleurs grecs pourraient être résolus dans le cadre du capitalisme, de l’impérialisme et de l’Union européenne. Pour autant que Syriza ait eu un plan pour modifier quelque peu le programme d’austérité de l’UE, il consistait à exploiter les tensions entre Berlin, la principale puissance à vouloir la politique d’austérité de l’UE, et d’autres capitales européennes qui, avec Washington, favorisent une politique monétaire plus incitative.

Syriza n’a lancé aucun appel à la colère explosive qui s’accroît dans la classe ouvrière d'Allemagne, de Grande-Bretagne, de France, à travers toute l’Europe et les États-Unis contre l’austérité. À la place, Syriza a souscrit à la politique étrangère de l’impérialisme, ce parti a refusé d’opposer son veto à des sanctions de l’UE contre la Russie, il a cyniquement abandonné sa promesse électorale d’inverser l’austérité, et il a signé dans les semaines suivant sa prise de fonction un engagement à respecter les accords d’austérité précédents entre l’UE et la Grèce.

Il n'a fallu qu'un rien de temps à Syriza pour démontrer la faillite de son point de vue anti-marxiste, enraciné dans les sections les plus privilégiées de la classe moyenne supérieure. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France ne lèvent pas le petit doigt pour aider la Grèce. Syriza a rapidement été exposée comme un instrument politique servant à soumettre la classe ouvrière à un ordre social en faillite.

Les attaques continuent à pleuvoir sur la classe ouvrière grecque, dont le niveau de vie a reculé de plusieurs dizaines d'années. Visitant Berlin jeudi dernier, le ministre grec des finances, Yanis Varoufakis, a indiqué clairement l’engagement de son gouvernement à faire encore de nouvelles concessions aux banques européennes. Il a appelé à une « chirurgie » pour réduire les retraites grecques, en précisant : « Nous devons trouver des moyens d’éliminer les retraites anticipées, de fusionner les fonds de pension, de réduire leurs coûts d’exploitation, de passer rationnellement et graduellement d’un système insoutenable à un système durable. »

Parallèlement, la course à la guerre impérialiste contre la Russie se poursuit, les responsables des États-Unis et de l’OTAN organisent des exercices militaires à travers l’Europe de l’Est et menacent la Russie de frappes de missiles préventives. La guerre mondiale est de plus en plus nettement à l'ordre du jour.

L'enjeu c'est l’avenir non seulement de la Grèce, mais de toute l’Europe et du monde entier. La survie du capitalisme et de l’ordre mondial impérialiste qu'il fait naître font courir des risques imminents à la classe ouvrière et à la civilisation humaine elle-même.

Cette perspective sous-tends toute la lutte du CIQI pour construire des sections qui se battront dans tous les pays d'Europe pour mobiliser la classe ouvrière pour renverser le capitalisme et établir les États socialistes unis d’Europe.

(Article paru d'abord en anglais le 13 juin 2015)