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Les meurtres policiers et la criminalisation de la contestation en Amérique

Par André Damon
2 février 2015

Vendredi dernier, William J. Bratton, commissaire au New York City Police Department (service de police de la ville de New York), a annoncé la formation d'une unité paramilitaire de 350 policiers dont la spécialité est le « contrôle des désordres et le contre-terrorisme. » Bratton a précisé que la nouvelle unité serait utilisée pour réprimer plus sévèrement l'opposition politique.

Dans son annonce, Bratton a explicitement assimilé les manifestations pacifiques, protégées par le Premier Amendement de la Constitution américaine, à des actes de terrorisme et d'assassinat de masse. Il a dit en effet que la nouvelle unité serait « conçue pour faire face à des événements comme nos récentes manifestations [contre les meurtres policiers] ou à des incidents comme Bombay, ou à ce qui vient de se passer à Paris ». Il se référait aux attaques de 2008 à Bombay, en Inde, où 164 personnes avaient été tuées et à la récente attaque contre l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, où onze personnes ont trouvé la mort.

Le commissaire a précisé que les membres de cette nouvelle unité seraient lourdement armés. « Longs fusils et mitrailleuses... sont malheureusement parfois nécessaires, » a-t-il dit.

L'annonce faite par Bratton, qui parlait au nom de l'administration démocrate du maire de New York, Bill de Blasio, est claire. La réponse officielle aux manifestations pacifiques de Ferguson, Missouri, et d'autres villes, n'est pas de réfréner la violence policière, mais de l'intensifier. On poursuivra en même temps la militarisation de la police pour faire face à une agitation sociale et politique plus développée dans la prochaine période.

On est en train de criminaliser la dissidence politique en Amérique, en particulier l'opposition aux forces de répression elles-mêmes – police, armée et services de renseignements.

L'annonce de Bratton arrive au moment où la police, à New York comme au niveau national, mène une contre-offensive contre toute opposition à la violence policière. Celle-ci a coûté l’an passé la vie à des dizaines de personnes.

Les deux dernières semaines ont vu quelques-unes des attaques policières les plus effarantes de mémoire récente. Lundi dernier, un agent de police a abattu, à Denver, Jessica Hernandez, 16 ans, qui était assise dans une voiture avec ses amis.

Mercredi dernier, la police a rendu public le film, pris le 22 janvier, de la mort d'une jeune fille, Kristiana Coignard, 17 ans, tuée dans un commissariat de police du Texas. Les images montrent que les policiers n’ont fait aucun réel effort pour maîtriser la fille par des méthodes non létales et qu’ils ne lui ont pas fourni d'aide médicale après avoir tiré sur elle une demi-douzaine de fois.

Le même jour, la procureur du comté de Wayne (Michigan) a annoncé qu'elle annulait l’accusation portée contre un policier de Detroit qui avait tué une fillette de sept ans, Aiyana Stanley-Jones, en 2010. Cette décision fut prise après d'autres tirs meurtriers de la police, le mois dernier à St. Louis, Missouri et à Albuquerque, Nouveau Mexique.

L’escalade des violences policières a été la conséquence directe et préméditée de la politique menée à tous les niveaux par le gouvernement pour protéger les policiers assassins contre les poursuites. Le 21 janvier, le New York Times a rapporté que le ministère de la Justice ne retiendrait aucune charge en vertu des droits civiques contre Darren Wilson, le policier de Ferguson qui, en août dernier, avait tué Michael Brown, 18 ans, qui n’était pas armé. Le ministère attendait simplement le bon moment pour faire cette annonce, a indiqué le journal.

Cette action fait suite à la décision d'un ‘grand Jury’ de Ferguson en novembre dernier, de ne pas inculper Wilson. Elle est d'autant plus criante que le procureur de la région de St. Louis, Robert P. McCulloch, avait admis depuis, qu'il avait sciemment présenté devant ce grand jury de faux témoignages favorables à Wilson.

Après la décision de Saint-Louis, un autre « grand Jury » avait statué le 3 décembre à New York qu’il ne retiendrait aucune charge contre le policier Daniel Pantaleo, qui avait étouffé et tué Eric Garner, un habitant de Staten Island (New York), le 17 juillet 2014. Suite à cette décision, des manifestations avaient éclaté à New York et dans d'autres villes.

Moins de deux semaines plus tard, l'appareil d'Etat tout entier, du niveau local au niveau fédéral, s’est emparé du meurtre de deux policiers de New York par un homme souffrant de troubles mentaux, pour monter une défense agressive du service corrompu et haï de la police new-yorkaise. On déclara que les manifestations politiques contre la violence policière revenaient à une incitation au meurtre.

Dans un geste de solidarité avec le New York City Police Département, quasiment mutiné contre l'administration civile de la ville, le vice-président Joe Biden a assisté aux funérailles des deux policiers, tandis que le maire de New York, de Blasio, appelait à mettre fin aux manifestations contre les violences policières.

La militarisation de la police locale, soudain visible aux yeux de tous, l'an dernier à Ferguson, fait partie de l'accumulation de mesures prises depuis les attaques terroristes du 11 septembre en vue d’un Etat policier. Des mesures qui comprennent aussi le « Patriot Act », la surveillance de masse de l'Internet et des télécommunications, les tribunaux militaires, la détention de durée indéterminée sans inculpation ni procès, l'utilisation de drones, de prisons secrètes et de la torture.

Toutes ces méthodes, développées sous le couvert de la « guerre contre le terrorisme » à l'étranger, sont de plus en plus appliquées contre l'opposition politique domestique à la guerre, à l'inégalité et à la violence policière. La guerre contre le terrorisme est désormais menée aux Etats-Unis mêmes.

L’instauration de formes de plus en plus dictatoriales de gouvernement, d’un Etat policier, est la réponse de la classe dirigeante capitaliste à une crise économique, sociale et politique pour laquelle elle n'a pas de solution, en dehors de la guerre et de la répression. Ces mesures montrent clairement que l'élite dirigeante américaine répondra à toute opposition politique de quelque importance avec une énorme brutalité.

Quand cette vague de violence et d'assassinats policiers est admise par les médias américains, elle est présentée comme une question de race et de « relations communautaires. » En fait, la cible de l'appareil d'Etat policier en cours de construction aux États-Unis est la classe ouvrière, celle qui crée toute la richesse de la société, mais dont le niveau de vie s'effondre, alors même que la richesse des super riches continue de monter en flèche.

(Article original publié le 31 janvier 2015)