Rétractation du magazine Rolling Stone dans l'histoire de viol collectif à l'Université de Virginie
Par David Walsh
10 avril 2015
Le 5 avril, dans une profonde humiliation bien méritée, le magazine Rolling Stone, un bimensuel américain consacré principalement à la culture populaire, a été contraint de revenir sur son article «A Rape on Campus: A Brutal Assault and Struggle for Justice at UVA», (Viol sur le campus : agression brutale et lutte pour la justice à l'Université de Virginie), publié le 19 novembre 2014. L'article de 9000 mots rapportait comme des faits les propos de «Jackie», une étudiante de l'Université de Virginie (UVA), à propos d'un viol collectif horrible qu'elle aurait subi en septembre 2012 dans la maison d’une fraternité sur le campus de Charlottesville en Virginie.
Cet article sensationnaliste signé par Sabrina Rubin Erdely a provoqué un tollé. Les grands quotidiens tels le New York Times, notamment son chroniqueur Nicholas Kristof, le Washington Post, ainsi que toute une foule de militants de la pseudo-gauche et féministes, se sont rués sur cette histoire, affirmant qu'elle prouvait l'existence d'une «culture du viol» aux États-Unis, et sur les campus en particulier. Plusieurs incohérences et invraisemblances manifestes dans l'«exposé» du Rolling Stone ont cependant poussé d'autres journalistes, dont certains du Post, à fouiller plus en profondeur les allégations de l'article. Celles-ci ont commencé à s'effriter quelques semaines après leur publication, les éditeurs de Rolling Stone notant alors des «divergences» et prenant leurs distances de l'histoire le 5 décembre.
Le 11 décembre, le WSWS décrivait l'article comme «une parodie de journalisme diffamatoire», ajoutant que «L'article n'est en fait qu'une masse d'allégations non fondées, d'anecdotes, de stéréotypes et de statistiques douteuses. Il n'y a presque rien dans l'article qui puisse être vu comme un fait. L'article n'est pas plus convaincant que crédible.»
En vue de limiter les dégâts, la direction de Rolling Stone a finalement demandé à Steve Coll, doyen de l'École de journalisme de Columbia, secondé par deux de ses collègues, d'enquêter sur la rédaction et la publication de «A Rape on Campus». La publication de leurs résultats dimanche soir a entrainé la rétractation de la revue. Dans une autre réaction au rapport, la branche Virginia Alpha de Phi Kappa Psi, la fraternité en question, a annoncé lundi son intention de lancer un procès contre Rolling Stone, accusant le magazine de «pratiques journalistiques irresponsables».
L'enquête de Columbia (disponible en ligne ici) montre que Rolling Stone n’a pas appliqué les normes et les procédures journalistiques les plus élémentaires.
L'enquête fait valoir que «la répudiation par la revue de l'article “A Rape on Campus” est l'histoire d'un échec journalistique qui était évitable. Cet échec englobe l'article, la rédaction, la supervision éditoriale et la vérification des faits. Le magazine a mis de coté ou rationalisé comme inutiles des pratiques journalistiques essentielles qui, si elles avaient été suivies, auraient probablement conduit les rédacteurs de la revue à reconsidérer en bonne partie la publication tant en évidence du récit de Jackie, sinon même à l'éviter tout à fait. L'article publié passait sous silence les lacunes des recherches de la revue, utilisait des pseudonymes et omettait de mentionner d'où provenait l'information importante.»
En fait, l'article long et incendiaire a été publié sur les simples ouï-dire d'une jeune femme, en l’absence de faits corroborants. Par exemple, Jackie dit qu'elle avait parlé à trois amies la nuit de l'attaque présumée du 29 septembre 2012, leur disant qu'elle avait été agressée sexuellement. Cependant, Jackie a affirmé que ses trois amies se sont par la suite retournées contre elle, et c'est pourquoi elle a découragé Erdely de tenter de communiquer avec elles.
La journaliste n'a fait aucun effort sérieux pour entrer en contact avec ces témoins clés. Quand elles ont finalement été contactées, le trio a contredit l'histoire de Jackie avec véhémence. Selon Coll et ses collègues: «Cet épisode réaffirme un truisme de l'information : la vérification des informations désobligeantes à propos des sujets est non seulement une question d'équité, mais elle peut aussi produire des faits nouveaux et surprenants.»
Erdely n'a jamais fourni à Phi Kappa Psi les détails de l'agression alléguée, y compris même la date. L'enquête de Columbia note que si Rolling Stone «avait donné à la Fraternité l'occasion d'examiner les allégations en détail, les écarts de fait que la Fraternité aurait probablement rapportés auraient pu conduire Erdely et ses rédacteurs à tenter de vérifier le compte-rendu de Jackie de façon plus approfondie.»
De la même façon, tout aussi incroyable que cela puisse paraître, Erdely et Rolling Stone ont accepté le refus de Jackie de leur fournir le nom du meneur supposé de l'agression, un sauveteur au centre aquatique de l'université selon elle qui l'aurait invitée à sortir avec lui ce soir-là.
«En fait, il y avait bien un sauveteur au centre aquatique qui travaillait à la piscine en même temps que Jackie et qui portait le même prénom qu'elle a mentionné librement à Erdely, mais ce n'était pas un membre de Phi Kappa Psi. La police a interrogé l'homme et examiné son dossier personnel, mais n'a trouvé aucune preuve pouvant le relier à l'agression contre Jackie.
«Si Rolling Stone l'avait retracé et écouté sa réponse aux allégations de Jackie... cela aurait pu conduire Erdely à reconsidérer sa décision de se concentrer sur cette affaire. Quoi qu'il en soit, Rolling Stone a cessé de tenter de le retracer.»
Ce manque criant d'établir les faits de base de l'affaire, même si un meneur présumé avait réellement existé – est si flagrant qu'il ne permet guère d'explication innocente. Soit Rolling Stone, qui est publié depuis près de cinq décennies et rejoint un lectorat de 1,5 million de personnes par numéro, est géré par des amateurs achevés ou incompétents, ou, plus vraisemblablement, quelque chose d'autre se trame ici. Ce «quelque chose d'autre», dans ce cas-ci, est l’influence des politiques identitaires et des cercles de la classe moyenne privilégiée obsédés par les questions de sexualité, des sexes et de la race. La prise en compte rationnelle et objective des faits est mise totalement de côté dès que ces couches obnubilées perçoivent que leurs intérêts sont en jeu.
L'enquête de Columbia mentionne des notes prises par Erdely lors d'une conversation en juillet 2014 avec un membre du personnel de l'UVA. Ces notes révèlent qu'«elle était à la recherche d'une affaire de viol dans une université, unique et emblématique qui montrerait “ce que c'est que de vivre sur un campus maintenant... où non seulement le viol est si répandu, mais aussi où il y a cette culture omniprésente de harcèlement sexuel et de viol”.»
L'enquête de Columbia est extrêmement restreinte, se limitant aux faits immédiats de l'affaire. Elle ne pose jamais la question évidente: comment un tel «échec journalistique» a-t-il été possible? En fait, les auteurs du rapport acceptent le cadre idéologique essentiel dans lequel l'article de Rolling Stone a été produit. Ils se plient en quatre pour excuser Erdely et ses cohortes: «Les sociologues, les psychologues et les spécialistes en traumatologie qui soutiennent les victimes de viol ont fait comprendre aux journalistes la nécessité de respecter la vie privée des victimes, pour éviter de les traumatiser à nouveau, et que les témoignages de celles-ci sont aussi fiables que ceux des autres victimes d'actes criminels. Ces idées ont clairement influencé Erdely, [et les rédacteurs Sean] Woods et [Will] Dana.»
C'est pour le moins absurde. La question n'est pas de savoir si le viol est un crime terrible. Nous sommes loin d'assister à une effusion soudaine de sympathie de la part du gouvernement, des médias et des responsables universitaires pour les victimes d'agression sexuelle, faisant face à une quelconque épidémie de viol. Ce qui se passe plutôt, c'est qu'une couche de canailles politiques droitistes du Parti démocrate ou qui gravitent autour récupère de façon cynique une question sensible et douloureuse afin de promouvoir son propre programme.
L'enquête de Columbia note le rôle de la Maison-Blanche dans ce processus: «L'administration Obama a repris la cause [du harcèlement sexuel sur les campus]. Elle a fait pression sur les universités pour qu’elles adoptent des systèmes plus rigoureux et elle a demandé que l'on fixe un seuil inférieur de culpabilité à partir duquel on puisse condamner un étudiant devant les tribunaux de l'école.»
Comme nous l'avons noté en novembre dernier dans un article sur la nouvelle politique antidémocratique en cas d'inconduite sexuelle de l'Université Harvard : « le coup de publicité d'Obama en ce qui a trait à la question des agressions sexuelles vise en particulier à renforcer le soutien aux démocrates parmi les couches libérales et “de gauche” de la classe moyenne supérieure hypnotisée par les questions d'identité personnelle».
Le «programme progressiste» de la gauche aisée d'aujourd'hui comprend et va à peine plus loin que le soutien au mariage homosexuel, l'opposition à la «culture du viol» et l'obsession de la race. Le tout est destiné à détourner l'attention des crimes de la Maison-Blanche et des attaques incessantes contre la classe ouvrière aux États-Unis. L'hystérie à propos de la culture du viol prétendument répandue aux États-Unis et ailleurs fait partie de l'effort pour tromper certaines personnes et intimider les autres.
Pour certaines couches égoïstes, l'initiative d'Obama dans la question des agressions sexuelles sur les campus est bien plus importante que son rôle dans le meurtre de milliers de personnes par des attaques de drones, l'espionnage de la NSA et le déclenchement de guerres non déclarées dans diverses parties du globe.
L'affaire de l'article «A Rape on Campus» est un fiasco pour le magazine Rolling Stone. Toutefois, la publication a clairement fait savoir qu'elle n'envisageait pas de se passer des services de Erdely ou de qui que ce soit d'autre, et qu'elle était tout à fait satisfaite avec les «garanties» en place. Tout continuera comme avant, y compris la dévotion des rédacteurs envers les politiques identitaires.
Après s'être excusée de manière superficielle «à tous ceux qui ont été affectés par notre article et les retombées qui ont suivi, notamment les membres de la fraternité Phi Kappa Psi, les administrateurs et les étudiants de l'UVA», la revue s'inquiète de l'impact que son article pourrait avoir sur des allégations similaires à l'avenir: «Il est important que les victimes de viol soient à l'aise de se manifester. Il nous attriste de penser que leur volonté de le faire pourrait être diminuée par nos erreurs.»
Dans la même veine, les auteurs de l'enquête de Columbia écrivent: «Il serait regrettable que l'erreur de Rolling Stone dissuade les journalistes de s'intéresser à des enquêtes de viol risquées où des individus influents ou de puissantes institutions pourraient vouloir éviter un examen et où des faits pourraient être peu développés.»
Les défenseurs de la thèse de la «culture du viol» comme Jessica Valenti du Guardian, qui était autrefois au Nation, ne seront certainement pas dissuadés. Après que le service de police de Charlottesville ait publié un rapport le 23 mars indiquant qu'il avait «épuisé toutes les pistes d'enquête» et était arrivé à la conclusion «qu'il n'y a aucune base concrète pour soutenir les allégations mentionnées dans l'article de Rolling Stone», Valenti a commenté avec «perspicacité» : «L'absence de preuves d'un viol ne veut pas dire que le viol n'a pas eu lieu» et a simplement mentionné que la police avait trouvé des «incohérences» dans l'histoire de Jackie. En fait, la police n'a pas trouvé la moindre raison que ce soit, non seulement pour alléguer qu'un crime a été commis en 2012, mais également pour d'autres incidents que la jeune femme avait également rapportés.
L'incident de l'UVA doit être vu dans le contexte de l'attaque en cours contre les droits démocratiques et constitutionnels aux États-Unis qui est menée par l'administration Obama et à laquelle se soumet la pseudo-gauche. Pas une seule fois les questions essentielles des droits démocratiques, notamment la présomption d'innocence et le droit à une procédure judiciaire régulière, ne sont mentionnées, tant dans les excuses de Rolling Stone que dans l'enquête de Columbia. Les allégations d'inconduite sexuelle sont traitées comme des faits, sauf lorsqu’une débâcle comme celle-ci fait qu'elles deviennent intenables. Les implications sont profondes.
(Article paru d’abord en anglais le 7 avril 2015)