Les nationalistes tamouls soutiennent un gouvernement proaméricain au Sri Lanka
Par K. Nesan
27 août 2015
Après les élections législatives du 17 août au Sri Lanka, les partis nationalistes tamouls servent de soutiens clé pour le président Maithripala Sirisena dans sa tentative d'installer un nouveau régime pro-américain à Colombo.
L'Alliance nationale tamoule (TNA) a la troisième faction au parlement, après le Parti national uni (UNP, 107 sièges) et le Parti de la liberté du Sri Lanka (SLFP, 96 sièges). Le chef de la TNA, Sampanthan, avait appelé les électeurs à élire au moins 20 députés de la TNA sur les 29 sièges de la région du Nord et de l'Est du Sri Lanka à majorité tamoule. La TNA n'a fini par gagner que 16 sièges. Quatorze avaient été élus directement, et deux accordés sur la base de la proportion du vote national du parti.
La TNA soutient activement Sirisena, qui a été installé lors d'une opération de changement de régime par Washington aux présidentielles du 8 janvier, dans sa tentative de convaincre une faction du SLFP de former un « gouvernement national » avec l'UNP. Dans une réunion, Sampanthan a dit: « Nous soutiendrons le gouvernement national qui entérinerait la révolution silencieuse du 8 janvier, le mandat du peuple pour un changement positif dans le pays ».
Sampathan a même partagé un podium avec Sirisena le 23 juin à Sampoor. Il a salué le combat de Sirisena pour « la vérité, l'intégrité et la justice », ajoutant: « Je pense qu'il est de mon devoir de lui demander sans délai de se concentrer sur la question tamoule ».
La TNA pourrait servir de clé de voûte au nouveau gouvernement pro-américain, particulièrement si Sirisena éprouve des difficultés à obtenir une coalition avec le SLFP, comme cela semble être le cas, et si l'UNP est donc obligé de gouverner avec une majorité parlementaire étroite.
L'empressement de la TNA pour travailler avec l'impérialisme américain témoigne de la faillite du nationalisme tamoul. La TNA, soutenue par divers partis nationalistes tamouls plus petits, soutient un gouvernement violemment réactionnaire à Colombo, qui alignerait entièrement le Sri Lanka sur le «pivot vers l'Asie » de Washington visant à contenir et préparer la guerre avec la Chine. Il mettrait en œuvre des mesures d'austérité exigées par le Fonds monétaire international (FMI).
Quant à l'affirmation que Sirisena résoudra la question tamoule, la vérité est que son gouvernement est composé de hauts responsables qui ont dirigé l'offensive sanglante contre les Tamouls à la fin de la guerre civile en 2009. Cette offensive s'est soldée par le massacre de dizaines de milliers de personnes, dont une grande partie des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE).
La bourgeoisie est tout à fait consciente des tensions sociales explosives qui sont près d'éclater, en particulier dans la classe ouvrière. Dans ces conditions, le rôle des nationalistes tamouls est de bloquer l'opposition à Sirisena de la classe ouvrière et des masses opprimées.
La campagne électorale de la TNA a promu le mensonge que les présidentielles du 8 janvier étaient un événement «révolutionnaire» qui a créé la démocratie au Sri Lanka.
Deux jours avant l'élection, Sampanthan avait dit à un groupe de partisans de la TNA, « La faction de Maithiripala [Sirisena, du SLFP] va rejoindre l'UNP dans un gouvernement le 18. La TNA est prête à offrir son soutien afin d’obtenir une majorité des deux tiers pour ce gouvernement. S’il y a un gouvernement avec une majorité des deux tiers, une nouvelle constitution serait rédigée avec comme grande priorité une solution politique pour le peuple tamoul. ... À travers cela, une solution immédiate y serait trouvée pour régler les 65 ans de lutte du peuple tamoul ».
La TNA a évité de présenter ses propres candidats dans certaines circonscriptions à population tamoule, comme Colombo, pour faciliter la victoire des forces dirigées par l'UNP. Sampanthan était confiant que l'UNP allait remporter les élections. S’ils y arrivaient, a-t-il dit, ce serait une « occasion unique » pour une solution politique pour le peuple tamoul.
C'est une fraude politique cruelle. Des décennies de combats sanglants ont démontré que la bourgeoisie sri lankaise est incapable de résoudre les divisions ethniques qui fracturent le pays. En effet, l'élite dirigeante à Colombo attise constamment le sentiment nationaliste chez les Tamouls et les Cinghalais afin de diviser la classe ouvrière.
Sirisena lui-même était un proche collaborateur de Rajapakse. Il a servi en tant que ministre de la Défense à la fin de l'offensive militaire en 2009, lorsque les pires crimes de guerre ont été commis. Quant à Wickremesinghe, il a sanctionné la rupture du « mémorandum d'entente » signé entre son gouvernement et les LTTE en 2002, ainsi relançant la guerre en 2006.
Les partis nationalistes tamouls représentent une mince couche de la bourgeoisie tamoule qui espèrent trouver un accord avec la bourgeoisie cinghalaise qui leur permettra d'exploiter leur «propre» peuple.
Les «solutions» proposées par la TNA n'offrent rien aux travailleurs et aux pauvres tamouls. Les intérêts des travailleurs tamouls ne peuvent être avancés qu'en rompant avec le nationalisme tamoul et en lançant une lutte commune contre l'impérialisme et l'austérité en solidarité avec les travailleurs cinghalais et les masses opprimées.
L'idée d'un mouvement unifié de la classe ouvrière à travers le Sri Lanka terrifie les nationalistes tamouls tout autant que l'UNP et le SLFP. Les nationalistes tamouls ont visiblement perdu de l'influence auprès des masses au cours des dernières années. Pendant la campagne électorale, la TNA n'attirait pas les foules comme par le passé. Leurs réunions m'ont été suivies par quelques centaines de personnes, et dans certains cas, moins de cent. Plus de 40.000 Tamouls étant disparus comme la conséquence de la guerre civile, l'Association des parents et tuteurs de civils arrêtés par les forces armées sri-lankaises dans le Nord avait appelé à un boycott des élections.
C’était dans ces conditions que d’autres partis qui prônent un programme nationaliste tamoul semblable – en particulier, le TNPF (le Front du peuple tamoul national) et les CD (Croisés pour la Démocratie) – sont intervenus pour tenter de bloquer l'opposition populaire à la TNA. Dans le district de Jaffna, le TNPF a reçu 15,022 voix, et le CD a reçu 1.979. Les CD n’ont présenté de candidats que dans le district de Jaffna, déclarant qu'ils ne voulaient pas diviser le vote pour la TNA ailleurs.
Le TNPF et les CD se différencient de la TNA principalement dans les tactiques de négociation qu'ils proposent d'utiliser avec la «communauté internationale» - en clair, avec l'impérialisme et la bourgeoisie indienne. Ils colportent les mêmes illusions que le peuple tamoul peut assurer ses intérêts en obtenant un « territoire traditionnel » séparé grâce à un accord avec les puissances impérialistes. Le TPNF accuse la TNA de ne pas «défendre correctement les intérêts des Tamouls » dans les négociations.
Après la défaite des LTTE en 2009, la TNA avait pris ses distances par rapport à la revendication des LTTE pour un minuscule Etat tamoul dans le nord est du Sri Lanka. Les TPNF et CD se présentent comme les successeurs des LTTE. Néanmoins, leur perspective d’un alignement sur les exigences de l'impérialisme américain et du FMI ne diffère pas essentiellement de celle de la TNA.
Après les élections, le leader du TNPF Gajendran Ponnambalam a déclaré que son parti appuierait la TNA « s’ils travaillent pour trouver une solution basée sur le fédéralisme et l'autodétermination que la TNA revendiquait dans son manifeste électoral ». Il propose donc de fournir un soutien indirect à la tentative de mettre en place un gouvernement pro-américain à Colombo.