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Est-ce que Bernie Sanders est un socialiste?

Par Tom Hall et Barry Grey
6 août 2015

L'augmentation de l'appui pour la campagne du «socialiste» Bernie Sanders reflète le tournant vers la gauche de larges sections de la population américaine. Le Sénateur du Vermont, qui se définit comme un indépendant, mais qui participe au caucus des Démocrates, cherche à utiliser la colère populaire contre les inégalités sociales sans cesse grandissantes en plaçant la question au centre de sa campagne pour devenir le candidat des Démocrates aux élections présidentielles.

Dans ses discours électoraux, il affirme que l'inégalité dans les revenus est «la plus grande question morale de notre temps» et attaque la cupidité de la «classe de milliardaires», tout en appelant à la restauration de la «jadis grande classe moyenne américaine».

Sanders a pris de l'avance sur Hillary Clinton, la candidate probable des Démocrates aux présidentielles, dans des États clés des primaires. En deux mois, l'avance de Clinton dans le New Hampshire a chuté de 38 points à 8. Dans l'Iowa, Sanders se trouve à 33 pour cent, 19 points sous Clinton. Le camp Clinton, qui était censé voguer vers une nomination facile, admet maintenant qu'il pourrait perdre l'Iowa aux mains de Sanders.

De façon générale, le Sénateur du Vermont a attiré des foules plus grandes que tout autre candidat présidentiel. Le 1er juillet, 13.000 personnes ont participé à un rassemblement à Madison au Wisconsin. En comparaison, le plus grand rassemblement de Clinton jusqu'à maintenant, qui s'est tenu à New York, a rassemblé seulement 5000 personnes.

Le soutien pour Sanders est d'autant plus significatif que l'anti-communisme a été le socle de la politique officielle aux États-Unis pendant plus de 70 ans. De la chasse-aux-sorcières du Maccarthysme et des listes noires d'Hollywood dans les années 1950, au triomphalisme qui a accompagné la dissolution de l'Union soviétique en 1991, le socialisme a été de facto banni du discours politique officiel aux États-Unis.

De grandes couches de la population, particulièrement parmi les jeunes, sont aliénées et hostiles devant l'establishment politique et ses deux partis de droite représentant la grande entreprise. Le taux de participation aux élections de mi-mandat de 2014 était seulement de 36,3 pour cent, le plus faible taux depuis plus de sept décennies.

De récents sondages donnent un aperçu de l'étendue de ces sentiments. Selon Pew Survey, la proportion de la population en âge de voter qui ne s'identifie à aucun des deux principaux partis a atteint un record de 39 pour cent. Dans un sondage réalisé par Gallup en juin, 47 pour cent des répondants se disaient prêts à voter pour un socialiste à la Maison Blanche.

Plusieurs personnes cherchent des alternatives à l'ordre politique et économique actuel, qui n'offre rien d'autre que des inégalités, la guerre et des attaques grandissantes contre les droits démocratiques. Ainsi, le «socialisme» de Sanders, loin d'être un handicap, a en fait contribué à sa popularité. Les jeunes, en particulier, sont intrigués par la perspective d'un candidat présidentiel socialiste.

Mais, est-ce que Bernie Sanders est un socialiste? Cette question en soulève une autre: quels sont les principes de base du socialisme?

Internationalisme: Depuis la publication du Manifeste du Parti communiste en 1848, qui a proclamé: «Travailleurs de tous les pays, unissez-vous!», le mouvement socialiste a été un mouvement international. Engels a décrit l'Association internationale des travailleurs comme étant le «premier mouvement international de la classe ouvrière».

L'orientation de base de la politique bourgeoise est le nationalisme, selon lequel les travailleurs doivent identifier leurs intérêts à ceux de la nation, qui, bien entendu, est dirigée par la classe capitaliste. Le socialisme oppose à cela la perspective et le programme de l’internationalisme de la classe ouvrière, en mettant l’accent sur l’identité des intérêts des travailleurs de tous les pays, de toutes les races, de toutes les religions, etc., qui sont objectivement unis par une lutte commune contre les capitalistes de tous les pays.

Le socialisme lutte pour unir les travailleurs de tous les pays sur la base d’un programme révolutionnaire commun et met l’accent sur le fait que la lutte pour mettre un terme à l’exploitation capitaliste et établir le socialisme est, par sa propre nature, une lutte internationale. Le socialisme s’oppose à toute tentative de faire des immigrants des boucs émissaires et rejette toutes formes de politiques nationalistes ou raciales, qui servent à diviser la classe ouvrière.

Bernie Sanders n’est pas un internationaliste. C'est un nationaliste américain. Il est un défenseur cohérent du nationalisme économique et du protectionnisme, qui tentent de placer la responsabilité des congédiements et du chômage aux États-Unis sur les travailleurs des autres pays. En vertu de sa politique «America First», il cherche à placer les travailleurs américains derrière «leurs» exploiteurs américains et en opposition à leurs frères et sœurs de classe dans d’autres pays. Il a longtemps fait de l’agitation, particulièrement contre la Chine, en s’opposant aux accords commerciaux sur la base du chauvinisme.

Sanders s’oppose au Partenariat Transpacifique (TPP) sur une base nationaliste de droite. Le partenariat économique proposé est une initiative réactionnaire, qui fait partie de la tentative de l’impérialisme américain d’isoler, d’encercler militairement et, ultimement, d’attaquer la Chine. Mais, Sanders ne s’y oppose pas sur une base anti-impérialiste. Plutôt, il accuse le TPP de «saper la souveraineté des États-Unis».

Pendant des années, Sanders a attaqué les travailleurs immigrants, les accusant de voler les emplois des travailleurs américains. Il a appuyé de nombreux projets de loi qui s’opposaient au programme fédéral de visa, tout en appuyant la politique d’immigration d’Obama, qui a déporté plus d’immigrants que toutes les autres administrations dans l’histoire. Pour son travail, l’animateur de talk-show, Lou Dobbs, a décrit Sanders comme étant «un des rares à posséder un franc-parler au Congrès».

Propriété sociale des moyens de production: Le développement rationnel d’une économie globale complexe dans le but d’en faire bénéficier la population mondiale est bloqué par l’anarchie du marché capitaliste, qui subordonne toutes les décisions aux intérêts d’une petite minorité. L’économie américaine et mondiale est dominée par une poignée de banques et de fonds spéculatifs dont les opérations sont entièrement parasitaires et essentiellement criminelles. Les ressources du monde, d’abord et avant tout, le travail humain, sont subordonnés aux efforts d’une petite aristocratie financière pour accumuler des richesses toujours plus grandes. Une première étape dans le développement d’une économie planifiée soumise aux besoins humains et à la promotion de l’égalité sociale est l’expropriation des principales banques et entreprises et leur transformation en institutions de propriété publique et contrôlées de manière démocratique.

La question de la propriété sociale de l’industrie et de la finance n’est même pas mentionnée dans les discours de Sanders. Il parle de la «classe de milliardaires», mais il est assez prudent pour ne pas parler de la classe capitaliste. Son utilisation d’expressions comme la «classe de milliardaires» et la «grande classe moyenne américaine» reflète le vide intellectuel de ses politiques, qui servent à cacher plutôt qu’à révéler les racines sous-jacentes de l’inégalité sociale et des autres fléaux sociaux.

Le terme «classe de milliardaires» n’a pas validité scientifique. La classe sociale n’est pas déterminée par l’étendue de la richesse, mais par la relation des couches sociales à la structure économique essentielle de la société. Sanders cherche à détourner l’attention du système économique sur lequel des richesses personnelles sont amassées à un niveau obscène.

De façon similaire, des discours sur la «grande classe moyenne américaine», un concept nébuleux et essentiellement mythique, sert depuis longtemps à couvrir et à brouiller la division de base entre la classe ouvrière et la classe capitaliste qui domine la société.

Aucun des éléments du programme mis de l'avant par Sanders ne touche à la propriété privée et au contrôle des principaux leviers de la vie économique. Son programme n’est non seulement pas socialiste, il n’est pas particulièrement de gauche. Les plateformes présidentielles démocrates, pendant la dernière grande période de crise économique, les années 1930, étaient beaucoup plus radicales. La plateforme de 1936, par exemple, promettait d’utiliser pleinement la loi afin «d’éradiquer les pratiques monopolistes et la concentration du pouvoir économique».

Les propositions réformistes de Sanders – un salaire minimum à 15$, un programme fédéral d’emplois – aussi modestes soient-elles, ne peuvent être réalisées sans une vaste mobilisation de la classe ouvrière en opposition à la classe dirigeante et à ses deux partis politiques. Le sénateur du Vermont prône l’illusion qu’elles peuvent être réalisées dans la cadre du parti démocrate et du système capitaliste.

Sa proposition la plus radicale est la dissolution des plus grandes banques, une mesure réformiste qui a été réalisée dans des cas isolés pendant la grande dépression dans le cadre du «New Deal» de Franklin Roosevelt, qui a été mis sur pied afin de sauver le capitalisme de la menace de la révolution socialiste. Sanders sait, bien sûr, que le parti démocrate d’aujourd’hui, un parti dont il cherche la nomination, ne va pas pas mettre de l’avant une telle mesure et a plutôt utilisé le krach financier de 2008 pour transférer des centaines de milliards de dollars des fonds publics vers Wall Street et renforcer l’emprise des plus grandes banques sur l’économie.

Anti-impérialisme: Nous vivons toujours à l'époque de l'impérialisme, le stade suprême du capitalisme. L'impérialisme a vu le jour vers la fin du 19e siècle et ses caractéristiques ont été définies par Lénine durant la Première Guerre mondiale: la concentration monopolistique de la production, la domination du capital financier et du parasitisme économique, la lutte des grandes puissances pour la domination géopolitique et économique de la planète, l'oppression des nations plus faibles et la tendance universelle à la réaction politique.

Lénine disait que l'impérialisme est l'époque des guerres et des révolutions. Les contradictions insolubles – celle entre une économie mondiale et la division de la planète en un ensemble d'États-nations rivaux, le cadre fondamental du capitalisme, et celle entre une production socialisée et la propriété privée des moyens de production – entraînent inévitablement des guerres de conquête coloniale et des guerres entre puissances impérialistes rivales. Elles créent aussi les conditions objectives pour le renversement du capitalisme par la classe ouvrière.

Les socialistes s'opposent à toutes les guerres menées par les puissances impérialistes comme les États-Unis et s'opposent à toute action de l'impérialisme qui vise à dominer et exploiter, économiquement, politiquement ou militairement, les pays plus pauvres et plus faibles. Les socialistes placent le développement d'un mouvement de masse international de la classe ouvrière contre la guerre au cœur de leurs activités et soutiennent qu'il n'est possible d'empêcher une troisième guerre mondiale qu'en menant une lutte révolutionnaire pour mettre un terme au capitalisme.

Sanders est un partisan de l'impérialisme américain. Même s'il se vante d'avoir voté contre le Patriot Act et la guerre en Irak, il a voté à de nombreuses reprises pour des dépenses militaires et a appuyé des interventions impérialistes qui visaient supposément à défendre les droits de l'homme, y compris le bombardement de la Serbie par l'OTAN en 1999 et la guerre menée actuellement contre le groupe État islamique.

Sanders a donné son appui à l'opération de changement de régime en Ukraine. Ce coup d'État a été dirigé par les États-Unis à l'aide de forces néonazies et a renversé le gouvernement pro-russe pour le remplacer par un gouvernement de droite, farouchement anti-russe, qui mène depuis une guerre sanglante contre les séparatistes pro-russes dans l'est du pays. Les États-Unis se servent de leur régime fantoche à Kiev pour mener une immense campagne de militarisation de l'OTAN en Europe de l'Est, risquant une guerre avec la Russie, un pays doté de l'arme nucléaire.

Sanders appuie cette politique dangereuse et réactionnaire en la présentant comme une réplique défensive à «l'agression russe». Il a déclaré, lors d'une entrevue télévisée en 2014: «Le monde entier doit résister à Poutine».

Sanders est aussi un fervent sioniste. Il a défendu la guerre barbare qu'a menée Israël contre Gaza l'an dernier. Une vidéo montre Sanders durant l'une de ses réunions publiques où il tente de faire taire et menace des protestataires qui s'opposent à son appui pour l'État d'Israël.

Il est un partisan du F-35, un chasseur de nouvelle génération qui coûte 350 millions $ et dont les coûts de développement atteignent déjà 1000 milliards de dollars. Sanders appuie la décision de baser les F-35 à Burlington au Vermont, une ville où il a été maire dans les années 1980.

Égalité sociale: Le capitalisme, qui est fondé sur l'exploitation de la classe ouvrière, est incapable d'offrir la sécurité économique et des conditions de vie décentes aux travailleurs. Même à son apogée, durant le boom économique d'après-guerre, le capitalisme américain était caractérisé par d'immenses inégalités de richesse et de revenus et par une pauvreté largement répandue.

Durant les 40 dernières années, la position économique mondiale du capitalisme américain s'est grandement affaiblie. Cela a entraîné une hausse marquée des inégalités sociales, le résultat d'attaques incessantes sur les conditions de vie de la classe ouvrière. Ce processus est lié au démantèlement de vastes sections de l'infrastructure industrielle du pays et à l'émergence d'une nouvelle aristocratie financière qui accumule sa richesse à travers des activités non productives, parasitaires et semi-criminelles.

L'inégalité sociale n'est pas une aberration du capitalisme, c'est sa caractéristique fondamentale.

En dépit de sa rhétorique populiste, Sanders défend le capitalisme et s’oppose à la mobilisation de masse de la classe ouvrière. Sur une foule de questions, des soins de santé publics aux congés payés, Sanders présente les pays européens comme un modèle à suivre, alors que ces pays imposent de dures mesures d’austérité et démantèlent les programmes d’État providence établis après la Deuxième Guerre mondiale. Tout ce qui est nécessaire, comme le souligne une récente déclaration sur son site web, est que nous fassions «de meilleurs choix».

Sanders évite toute explication concrète de la dynamique sociale et politique derrière la montée des inégalités sociales et l’assaut de longue date sur la classe ouvrière. Il passe sous silence le rôle joué par le Parti démocrate dans ce processus.

Sur son site internet, il déclare que «l’économie aujourd’hui se porte bien mieux que lorsque le président Georges W. Bush a quitté le pouvoir». En réalité, l’administration Obama a présidé au plus important transfert de richesse des pauvres vers les riches dans l’histoire américaine. Une étude d’Harvard a révélé que, de 2009 à 2012, 95 pour cent de tous les gains en revenus sont allés au 1 pour cent le plus riche du pays.

Indépendance politique de la classe ouvrière: Le socialisme soutient que les luttes des travailleurs pour des emplois et des salaires décents, des soins de santé, l’éducation, le logement, etc. sont essentiellement politiques. La classe dirigeante capitaliste, en vertu de son contrôle des moyens de production, contrôle le système politique. Pour que la classe ouvrière se libère de l’exploitation économique, elle doit mener une lutte politique consciente visant la prise du pouvoir et la mise en place d’un gouvernement ouvrier.

La question la plus importante est l’indépendance politique de la classe ouvrière envers tous les partis et politiciens de la classe capitaliste. La classe ouvrière doit mettre de l’avant sa propre solution à la crise et, pour ce faire, doit avoir son propre parti socialiste de masse.

C’est pour cette raison qu’aux États-Unis, les socialistes se sont toujours opposés à la subordination du mouvement ouvrier au Parti démocrate. La soumission du mouvement ouvrier américain aux Démocrates par les syndicats a été le principal moyen de maintenir la domination politique de la classe dirigeante. Dans un pays qui a été témoin d’âpres, violentes et héroïques luttes ouvrières, la subordination des travailleurs aux Démocrates a représenté le talon d’Achille du mouvement ouvrier.

La fonction politique principale de la campagne de Sanders est de canaliser la colère sociale et l’hostilité grandissante envers le système actuel derrière le Parti démocrate, afin de la contenir et de la dissiper. Sa campagne supposément «socialiste» est une tentative d’empêcher et de bloquer l’émergence d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière. Ceci est démontré par sa décision de mener sa campagne dans le cadre du Parti démocrate. En fait, Sanders a annoncé dès le début de sa campagne qu’il appuierait le prochain candidat présidentiel démocrate, quel qu’il soit.

La comparaison des positions de Sanders à ces conceptions fondamentales du socialisme démontre clairement que son «socialisme» n’est rien d’autre qu’une supercherie visant à empêcher l’émergence du véritable socialisme.

(Article paru en anglais le 16 juillet 2015)