Canada: Les syndicats se joignent aux libéraux et au NPD dans la campagne «Tout sauf les conservateurs»
Par Dylan Lubao et Roger Jordan
5 août 2015
Des publicités hostiles au gouvernement conservateur ont été diffusées sur les ondes canadiennes dans les dernières semaines. Parmi elles se trouvent les publicités d'Engage Canada – un groupe nouvellement créé, largement financé par les syndicats, et dirigé par des stratèges des libéraux et du Nouveau Parti démocratique (NPD).
Jusqu'à maintenant, Engage Canada a publié des publicités qui soulignent la montée de l'inégalité sociale et le démantèlement systématique des services de santé publique sous le premier ministre Stephen Harper, qui se terminent par le slogan: «Les conservateurs de Harper: Ils ne seront pas là pour vous.»
Parmi les dirigeants du groupe se trouvent d'importants acteurs associés aux précédentes campagnes électorales du NPD et des libéraux, incluant Don Guy, un ancien directeur de campagne pour l'ex-premier ministre de l'Ontario Dalton McGuinty et Kathleen Mon, l'ancienne directrice des communications pour le défunt chef du NPD, Jack Layton. L'ancien directeur de campagne nationale pour le NPD Brian Topp a également été impliqué avant de devenir chef de cabinet pour le nouveau premier ministre néo-démocrate de l'Alberta, Rachel Notley.
Engage Canada n'est que le dernier exemple de collaboration entre le NPD et les libéraux au niveau fédéral. En 2008, les libéraux et le NPD s'étaient mis d'accord pour renverser le gouvernement conservateur alors minoritaire et le remplacer par une coalition libérale-néo-démocrate dédiée à la «responsabilité fiscale», à un plan quinquennal conservateur-libéral pour réduire les impôts des entreprises de 50 milliards $ et à la guerre en Afghanistan jusqu'en 2011.
Les libéraux ont longtemps été le parti de gouvernance préféré de la bourgeoisie canadienne. Pendant les gouvernements Chrétien-Martin libéraux des années 1990 et début 2000, ils ont imposé les plus importantes coupes budgétaires dans l'histoire du Canada. Les prestations de chômage, les services publics et le financement fédéral des services de santé, l'aide sociale et l'éducation post-secondaire ont été réduits. Les «économies» ainsi générées ont été transférées aux riches et aux grandes entreprises à travers des réductions d'impôts massives.
Tandis que l'opposition à leurs attaques sauvages grandissait, les libéraux ont utilisé une variation du même argument qui est avancé maintenant par ceux qui incitent les travailleurs à se concentrer sur la défaite des conservateurs au bureau de scrutin: c'est-à-dire, le moindre mal. À plusieurs reprises, Chrétien et Martin ont utilisé leurs adversaires dans le Reform Party, alors l'Alliance canadienne et ultimement le «nouveau» Parti conservateur de Harper comme des épouvantails de droite. Ils protestaient régulièrement contre «la droite insouciante» pendant les campagnes électorales. Ensuite, une fois de retour au pouvoir, ils mettaient en œuvre les éléments clé de la plateforme de l'Alliance canadienne et du Reform Party, incluant: l'élimination du déficit budgétaire annuel à travers d'énormes réductions des dépenses sociales, la réduction des taxes sur les gains en capital et de l'impôt sur les entreprises, le réarmement des Forces armées canadiennes et l'adoption d'une nouvelle ligne dure contre le séparatisme québécois, incluant la menace, codifiée dans la «Loi sur la clarté référendaire» des libéraux, d'une partition ethnolinguistique si le Québec se séparait.
La volonté du NPD de collaborer avec les libéraux et l'affirmation selon laquelle il s'agirait d'une option «progressiste» à Harper, expose son caractère de droite pro-patronal. Comme tous les partis sociaux-démocrates dans le monde entier, le NPD a tourné le dos à son programme traditionnel social-réformiste pour défendre les politiques d'austérité et militaristes de la grande entreprise presque identiques à celles des partis de dirigeants traditionnels de l'élite canadienne.
Sept ans se sont écoulés depuis les derniers pourparlers de coalition, mais la possibilité est toujours bien vivante. Le chef du NPD Thomas Mulcair, lui-même un ancien ministre libéral du Québec, a régulièrement abordé le sujet au cours des derniers six mois. Ce faisant, il a insisté sur le fait que ce fut le NPD qui a d'abord proposé une coalition en 2008 et en a «fait une priorité», ajoutant que la «priorité» de son parti était toujours de remplacer le gouvernement Harper.
Si l'enthousiasme public de Mulcair pour la coalition anti-Harper s'est atténué durant les dernières semaines, c'est uniquement parce que le NPD tente d'exploiter une augmentation récente de ses appuis dans les sondages. Le chef libéral Justin Trudeau a affirmé qu'il y avait «d'importantes contraintes» à une coalition. Mais la vérité est que ces partis partagent tous des programmes de droite presque identiques. Les libéraux favorisent une petite augmentation d'impôts pour les riches, mais s'opposent à toute augmentation d'impôts sur les entreprises. Le NPD préconise une petite augmentation des impôts sur les entreprises, mais s'oppose à toute augmentation de l'imposition des revenus personnels, incluant le 1 pour cent le plus riche.
Si l'arithmétique parlementaire en décidait ainsi, les deux partis ne devraient avoir aucun problème à unir leurs forces, que ce soit en coalition formelle ou un arrangement de gouvernement minoritaire plus traditionnel.
L'intervention des syndicats à travers Engage Canada est basée sur la campagne «Stop Hudak» qu'ils ont menée lors des élections provinciales de l'Ontario l'an dernier, qui visait à empêcher Tim Hudak et ses conservateurs progressistes de remplacer les libéraux. Les syndicats ont fait appel à un vote «intelligent» ou «stratégique» pour le candidat du NPD ou du Parti libéral le mieux placé pour vaincre les conservateurs: une politique qui en pratique signifiait un appui au retour au pouvoir des libéraux avec une majorité parlementaire.
Auparavant, le gouvernement minoritaire libéral avait aussi été appuyé par le NPD. Le NPD a assuré le passage de budgets d'austérité libéraux à deux reprises. Et les sociaux-démocrates ont continué à maintenir les libéraux au pouvoir après qu'ils aient adopté des lois qui criminalisent les grèves d'enseignants et imposaient aux enseignants de la province des contrats au rabais par décret.
La Coalition des familles ouvrières, une création des syndicats tout comme Engage Canada, a joué un rôle majeur dans le maintien au pouvoir des libéraux en Ontario depuis 2003. À chaque occasion, les syndicats ont financé à coup de dizaines et même de centaines de milliers de dollars des campagnes publicitaires «anti-conservatrices».
La «menace de la droite» est invoquée pour rattacher politiquement les travailleurs au NPD et aux libéraux, même si ces partis ne sont pas moins dédiés à la défense des intérêts de la grande entreprise que leurs rivaux conservateurs.
Chaque fois que le NPD a formé des gouvernements au niveau provincial, il est entré en conflit avec la classe ouvrière, sabrant des services sociaux vitaux et attaquant les droits des travailleurs. La seule fois où le NPD a formé un gouvernement en Ontario, il a imposé un «contrat social» de baisses de salaire et destruction d'emplois des travailleurs du secteur public et mis en oeuvre le «workfare» (obligation de travailler pour toucher des prestations) aidant à ouvrir la voie à «la révolution du bon sens» de Mike Harris inspirée de Margaret Thatcher.
La réalité est que le système des trois partis a toujours fonctionné comme un moyen de contenir le mécontentement social et enchaîner la classe ouvrière aux partis de la classe dirigeante.
L'appui des syndicats pour la campagne «Tout sauf Harper» est lié à leur désir d'assurer leurs propres intérêts privilégiés, qui entrent de plus en plus ouvertement en conflit avec ceux des travailleurs.
Les syndicats ont répondu à l'offensive grandissante de la grande entreprise contre les salaires, les emplois, et les droits des travailleurs en étouffant la lutte des classes et en entrant en collaboration tripartite toujours plus étroite avec le patronat et le gouvernement.
Représentant les sections les plus réactionnaires du capital canadien, les conservateurs détestent les privilèges accordés aux bureaucrates syndicaux et, dans le cadre de leur assaut plus général sur les droits des travailleurs, cherchent à s'en prendre aux intérêts corporatifs de l'élite syndicale.
En juin, les conservateurs ont passé la loi C-377, qui tente de noyer les syndicats dans la paperasse, ainsi que d'embarrasser la bureaucratie syndicale. Elle force les syndicats à compiler des états financiers détaillés et à les rendre publics, énumérant toutes leurs dépenses qui surpassent 5.000 $ et les noms et les salaires de tous les employés rémunérés à plus de 100.000 $ par année.
Les conservateurs ont également éliminé le statut fiscal particulier du Fonds de solidarité de la Fédération des Travailleurs du Québec d'une valeur de 9 milliard $ et d'autres fonds d'investissement gérés par les syndicats – essentiellement, des sociétés gérées par la bureaucratie syndicale.
Des figures clés du milieu conservateur, incluant Hudak pendant qu'il était le chef des conservateurs en Ontario, ont publiquement exigé des lois de «droit au travail» inspirées des États-Unis, qui enlèveraient l'obligation pour les travailleurs couverts par une convention collective de payer des cotisations syndicales. Après des décennies de trahisons de leurs membres de la base, la bureaucratie syndicale craint que les masses de travailleurs choisissent simplement de se passer de représentation syndicale.
Hudak a changé sa position suite à la pression de patrons d'entreprises importants de l'Ontario. Ils reconnaissent et apprécient les services que leur rendent les syndicats depuis plusieurs décennies en orchestrant des concessions et des défaites, comme l'introduction d'un salaire à deux paliers aux trois grands constructeurs automobiles, ainsi que leur rôle pour prévenir ou étouffer toute lutte ouvrière importante dans les dernières décennies.
Les libéraux et le NPD partagent la vision des patrons d'entreprise de l'Ontario. Les deux partis se sont engagés à servir les intérêts de la grande entreprise en réduisant les dépenses et en attaquant les droits des travailleurs, en créant un environnement accueillant pour l'élite entrepreneuriale et en intensifiant les interventions militaires à l'étranger dans l'intérêt de l'impérialisme canadien. Mais, dans les conditions d'une crise qui s'approfondit, ils pensent que ce programme réactionnaire peut être imposé en collaboration avec les syndicats, qui vont servir de police pour étouffer l'opposition de la part de la classe ouvrière qui émergera inévitablement.
La bureaucratie syndicale espère qu'en assistant la coalition NPD-libérale au pouvoir, ou potentiellement un gouvernement majoritaire NPD, beaucoup d'entre eux pourront atteindre des positions bien rémunérées en tant que conseillers politiques et elle pourra ainsi protéger l'intégrité de ses organisations. Ceci aura lieu dans le seul but d'intégrer les syndicats davantage dans la grande entreprise et l'État afin de mieux défendre la compétitivité et la position mondiales du capitalisme canadien aux dépens de la classe ouvrière.
(Article paru en anglais le 23 juillet 2015)