Ukraine: ce que prépare pour les travailleurs le régime soutenu par l’Occident
Par Julie Hyland
18 mars 2014
Derrière les incessantes et creuses évocations de la « révolution démocratique », le gouvernement nouvellement mis en place en Ukraine et qui est composé d’anciens banquiers, de fascistes et d’oligarques est en train de planifier des mesures d’austérité draconiennes.
Les plans qui sont en cours d’élaboration sont ouvertement qualifiés de « modèle grec », le programme de coupes féroces imposées à la Grèce par le Fonds monétaire International (FMI) et l’Union européenne (UE), qui a causé un effondrement de 25 pour cent de l’économie grecque en cinq ans et donné lieu à une croissance massive du chômage et de la pauvreté.
Dans le cas de l’Ukraine, toutefois, cette dévastation sociale sera déchaînée contre un pays qui a déjà été assujetti à une économie de la terre brûlée dans le cadre de la restauration capitaliste. Avant même que ne surviennent ces récents événements, l’Ukraine était le 80ème pays le plus pauvre du monde en fonction de son produit intérieur brut par habitant, derrière l’Irak, les îles Tonga et la Bosnie-Herzégovine.
Plus d’un quart de sa population – 11 millions de personnes – vivent sous le seuil officiel de pauvreté qui est fixé à un maigre revenu de 1.176 UAH (Hryvnia ukrainien soit 127 dollars US) par mois. Avec un salaire mensuel moyen d’à peine 1.218 UAH (131 dollars) ou 79 cents américains de l’heure, des millions d’autres personnes survivent à la limite du seuil de subsistance.
Le taux de chômage officiel de 7,5 pour cent dissimule un grand nombre de travailleurs non-inscrits et sous-employés. Ce taux est maintenu bas par une forte émigration, des dizaines de milliers de personnes fuyant le pays en quête d’un emploi. L’équivalent de 15 pour cent de la population ukrainienne a quitté le pays et forme l’une des plus vastes diasporas du monde. Entre 1991, moment de la dissolution de l’Union soviétique, et 2010, la population ukrainienne est passée de 51,7 millions à 45.9 millions.
En plus de la migration, le déclin de la population est une conséquence de la diminution du taux de natalité, qui figure parmi le plus bas du monde. Le pays connaît aussi, de façon tragique, le taux le plus élevé de mortalité maternelle en Europe, comme conséquence d’une crise du système de santé qui a vu les cas d’infection par le VIH/sida prendre des allures d’épidémie avec 57 nouveaux cas relevés par jour en 2012.
La pauvreté a joué un rôle crucial dans la propagation du HIV/sida – notamment dans les régions anciennement fortement industrialisées de l’Est et du Sud où les conditions ressemblent déjà à celles d’une dépression.
La pauvreté a entraîné une explosion de toutes sortes de maux sociaux – allant de la toxicomanie et de l’alcoolisme à la prostitution – on estime qu’une prostituée sur six est mineure. Il s’agit là d’une sous-estimation, compte tenu du fait que l’Ukraine est une plaque tournante du trafic d’êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle et de main-d’œuvre forcée.
Ces conditions sont la conséquence directe du rôle contre-révolutionnaire joué par la bureaucratie stalinienne et sa trahison de la Révolution d’Octobre 1917, qui a connu son apogée dans la destruction de l’Union soviétique et la restauration du capitalisme.
En conséquence, l’Ukraine en a été réduite à être un pion dans les visées des impérialismes américain et européen pour ce qui est de la Russie. En plus du danger d’une guerre civile et d’une conflagration militaire mondiale, les efforts soutenus par l’Occident pour arracher l’Ukraine à la Russie ont causé une misère sociale encore plus grande pour les masses, d’abord suite à la soi-disant « Révolution orange » de 2004, puis après l’effondrement capitaliste mondial de 2008.
Entre 2008 et 2009, par exemple, le PIB de l’Ukraine a chuté de 15,1 pour cent tandis que le chômage triplait pour atteindre 9,4 pour cent. Les anciens bureaucrates staliniens et les oligarques mafieux qui se sont enrichis en dérobant les anciens biens publics ont continué tout au long à piller les actifs de l’Etat et à accumuler des fortunes personnelles de plus en plus grandes.
Le pire reste à venir. La dette totale de l’Ukraine est actuellement évaluée à quelque 80 milliards de dollars. Vu que sa monnaie s’est dépréciée de 20 pour cent par rapport au dollar depuis le début de cette année, laissant fondre les réserves en devises et accroissant la fuite des capitaux, l’endettement de l’Ukraine augmentera bien davantage.
Le FMI et l’UE seraient en train d’élaborer un plan de « sauvetage » d’à peine plus de 15 milliards de dollars. Non seulement la plus grande partie de cet argent est destinée à couvrir les remboursements aux banques occidentales, mais il est encore lié à des coupes massives dans les dépenses publiques des retraites et des subventions sur le carburant. Depuis 1998, l’Ukraine est impliquée dans divers programmes de « réformes structurelles » du FMI, qui tous ont dû être abandonnés en l’espace d’un an vu que leurs conséquences ont été jugées socialement trop explosives.
C’était ce que l’ancien premier ministre Mykola Azarov avait décrit comme les « conditions extrêmement difficiles » du refinancement d’un prêt du FMI émis le 20 novembre de l’année dernière, qui avait motivé la décision du gouvernement de reporter la signature de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’UE. Cette décision est devenue à son tour le prétexte des protestations parrainées par les Etats-Unis et l’UE ainsi que du coup d’Etat qui s’ensuivit.
Les puissances occidentales envisagent maintenant de saisir l’occasion pour laquelle elles se sont tellement investies. En février, écrivant dans le Financial Times, Anders Aslund, un ancien conseiller du gouvernement ukrainien, a salué le coup d’Etat appuyé par l’occident comme une occasion d’imposer l’austérité. La crise en Ukraine signifiait selon lui qu’un « programme de réforme radical devrait être plus facile à entreprendre… que dans bon nombre d’autres pays qui ont été confrontés à une crise identique dans le passé, » a-t-il écrit.
Le New York Times, l’organe de l’impérialisme américain, fait claquer le fouet dans un éditorial publié vendredi sous le titre « Remettre en état l’économie de l’Ukraine : les dirigeants du pays doivent réformer une politique énergétique et des taux de change mal conçue. » L’éditorial y dénonce le « gaspillage qu’étaient des subventions dans l’énergie » et exige que le gouvernement fantoche installé par l’occident se mette au travail pour « relever les prix de détail du gaz pour la plupart des consommateurs. »
Depuis quinze jours, une équipe du FMI est déjà à l’œuvre, a rencontré le ministre de l’Energie et du Charbon ainsi que des représentants de la Banque nationale d’Ukraine et du distributeur de gaz Naftogaz. Elle a rapporté que ses travaux allaient « bon train » et que les nouvelles autorités étaient déterminées à entreprendre des « réformes économiques. »
Ces « réformes » comprennent une nouvelle dévaluation de la monnaie, des coupes majeures dans les dépenses publiques et les retraites et, notamment, la fin des subventions publiques au prix du gaz qui sont une question de vie et de mort dans un pays où les températures peuvent tomber très bas.
Le Financial Times fait état de ce que, « Soixante agences gouvernementales dans différents pays de l’UE ont déjà conclu des soi-disant accords de jumelage dans le but de refaçonner leurs homologues ukrainiens à leur image. »
Les économistes parlent ouvertement d’une baisse de 10 pour cent du PIB. Le premier ministre Arseniy Iastseniouk, qui a été minutieusement choisi par Washington pour remplacer le président élu déchu, Vikto Ianoukovitch, a carrément déclaré vouloir être « le premier ministre le plus impopulaire de l’histoire de [son] pays. »
Sergeï Taruta, l’oligarque qui a dernièrement été nommé gouverneur de la région de Donetsk, a donné une idée du calendrier pour la mise en œuvre de ces mesures. Se décrivant lui-même comme un « gestionnaire anti-crise », il a dit ne vouloir occuper ce poste que durant « six mois ou un an, » et ajouté, « Durant cette période, je veux que des gens forts entrent au gouvernement après quoi, je leur passerai les rênes. »
Ces commentaires jettent de la lumière sur les raisons pour lesquelles les Etats-Unis et les puissances européennes sont disposés à accepter un gouvernement constitué de fascistes et de paramilitaires d’extrême-droite. Jeudi, le parlement ukrainien a voté la mise en place d’une garde nationale forte de 60.000 hommes se composant d’« activistes » issus des protestations antirusses et des écoles militaires.
Cette force sera supervisée par le nouveau chef de la sécurité, Andriy Parubiy du parti fasciste Svoboda. Au début des années 1990, Parubiy a été un des fondateurs du Parti néo-nazi social-national d’Ukraine. Son adjoint, Dmytro Yarosh, est le dirigeant du paramilitaire Secteur droit. Il s’agit de l’équivalent ukrainien des SA de Hitler.
En plus de l’assistance qu’ils apportent aux provocations de l’Occident contre Moscou, la principale responsabilité de ces éléments sera celle d’imposer l’assaut social contre la classe ouvrière ukrainienne pour le compte du capital international.
(Article original paru le 15 mars 2014)