L’hypocrisie impérialiste concernant la Crimée
Par Joseph Kishore
20 mars 2014
Le référendum de dimanche en Crimée s'est accompagné d'un déluge de critiques émanant du gouvernement Obama et des médias américains. Il sert à intensifier l’offensive impérialiste en Ukraine et en Europe de l’Est, et dont l'objectif ultime est un changement de régime ou une guerre contre la Russie.
L’exercice de la politique étrangère des Etats-Unis suit le principe établi par le propagandiste nazi Joseph Goebbels et selon lequel si un mensonge est suffisamment gros et répété suffisamment de fois, il sera accepté.
Anticipant que le vote serait en faveur d’une sécession de l’Ukraine et de l’intégration à la Fédération russe, les Etats-Unis et l’Union européenne ont déclaré à l’avance que ce vote est illégitime et « illégal. » Une déclaration publiée par la Maison Blanche dit que le vote a été « organisé sous la menace de violences et d’intimidation d’une intervention militaire russe en violation du droit international. »
Quelle hypocrisie! Les Etats-Unis ont organisé des élections dans des pays qu’ils ont bombardés jusqu’à soumission complète en les occupant militairement à l’aide de dizaines de milliers de canons, de chars, d’avions de combat ainsi que de missiles qui visaient la population locale, en Irak et en Afghanistan, et ont salué les votes comme étant des modèles de démocratie.
Après le vote samedi du Conseil de sécurité de l’ONU sur une résolution condamnant le référendum, résolution à laquelle la Russie a opposé son veto, l’ambassadrice américaine aux Nations unies, Samantha Power a déclaré, « La raison pour laquelle seul un pays [la Russie] a voté non aujourd’hui est que le monde croit que les frontières internationales sont plus que de simples suggestions. »
Il n’existe pas de pays qui viole aussi impunément les frontières internationales que les Etats-Unis. Dans ses relations avec des régimes qu’il juge être une entrave à ses objectifs géostratégiques et économiques, l’impérialisme américain considère les principes de la souveraineté nationale et l’intégrité des nations, qu’il invoque actuellement contre la Russie, non pas comme des suggestions mais comme n'ayant pas lieu d'être.
Il y a plus d’une décennie, Washington adoptait officiellement la politique de la guerre préventive, interdite par le droit international pour être une forme d’agression, en affirmant qu’au niveau de la politique nationale d’Etat il a le droit, sans autorisation préalable du gouvernement, de lancer des drones et de tuer des gens dans n’importe quel pays, une position, qui en 2013, avait été déclarée illégale par un haut représentant de l’ONU. Sous Obama, les assassinats et les meurtres de masse, perpétrés en recourant à de tels moyens, se sont considérablement accrus, coûtant la vie à des milliers de gens, dont des citoyens américains, dans plusieurs pays.
Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a déclaré au cours du week-end dans une conversation téléphonique avec son homologue russe, Sergeï Lavrov, que les « troubles » dans les villes de l’Ukraine orientale avaient été « encouragés par la Russie, et même pilotés par des agents du renseignement russe… comme un moyen pour déstabiliser le nouveau gouvernement ukrainien et probablement pour créer un prétexte à une nouvelle intervention militaire russe. »
L’impérialisme américain est passé maître dans l'art de susciter des conflits internes et de créer le prétexte d’interventions « humanitaires » dans l’intention de renverser des gouvernements et de mettre en place des régimes marionnettes, une politique poursuivie tout dernièrement en Syrie et en Libye. Après la dissolution de l’Union soviétique en 1991, Washington avait entrepris le démantèlement de la Yougoslavie comme partie intégrante de sa stratégie de faire entrer dans la sphère d’influence américaine les anciens pays du bloc de l’Est et les anciennes républiques de l’Union soviétique.
Il a soutenu, au milieu des années 1990, les guerres en Bosnie et en Croatie et lancé en 1999 une guerre aérienne de 78 jours contre la Serbie et qui tua des milliers de personnes dans le but de séparer le Kosovo de la Serbie, pour reconnaître ensuite la province de longue date serbe comme un Etat indépendant.
Kerry accuse Moscou d’encourager les « troubles » et de déstabiliser le gouvernement en Ukraine, après avoir supervisé la manipulation des manifestations à Kiev et leur prise en charge par des forces fascistes dans le but de faire chuter le gouvernement élu pro-russe de Viktor Ianoukovitch et d’installer un régime pro-américain comprenant des ministres néonazis et antisémites.
Pour ce qui est de la crise en Ukraine, ce sont les Etats-Unis et leurs alliés européens qui sont les agresseurs. Ils sont intervenus dans le but de modifier radicalement, au détriment de la Russie, l’équilibre des forces dans la région. Ils cherchent à transformer l’Ukraine en un poste avancé des forces armées des Etats-Unis et de l’OTAN et à se livrer à des provocations sans fin visant à affaiblir et finalement à démanteler la Russie.
Des navires de guerre ont été expédiés dans la région. Les pays de la région qui sont alliés aux Etats-Unis et à l’Europe, dont la Lituanie et la Pologne, où le vice-président Joseph Biden doit se rendre cette semaine, bénéficient d’une aide accrue. Les pays qui sont plus étroitement liés à la Russie, tels la Biélorussie et le Kazakhstan, sont les prochaines cibles pour un changement de régime.
Reconnaître ces faits n’implique nullement un soutien au régime de Poutine ni aux actions qu’il a menées en réponse aux provocations de l’Occident. Le gouvernement russe représente des oligarques criminels qui se sont enrichis dans le cadre de la dissolution de l’Union soviétique en s'emparant des anciens biens publics. Il est profondément hostile envers la classe ouvrière. Il compte, pour servir ses intérêts, sur la promotion du chauvinisme russe tant en Ukraine qu’en Russie. Il est incapable d’en appeler au sentiment anti-guerre largement répandu et profondément ancré au sein de la classe ouvrière en Russie, en Ukraine, en Europe, aux Etats-Unis et dans le reste du monde.
Au fur et à mesure que la crise se développe en Ukraine, il devient de plus en plus clair que l'objectif des Etats-Unis est d’infliger une défaite humiliante à la Russie en modifiant de façon permanente les relations de forces existant entre elle et l’impérialisme américain. Dans un éditorial publié dimanche, le Washington Post déclare que « l’Occident doit aussi avoir pour objectif de punir et, au fil du temps, d’affaiblir le régime de M. Poutine. »
Le sénateur américain John McCain, qui conduit actuellement une délégation bipartite de sénateurs en visite à Kiev, a exposé, dans un commentaire publié samedi dans le New York Times, la stratégie des sections dominante de la classe dirigeante américaine. « Le régime [de Poutine] peut sembler imposant, mais il est en train de pourrir de l’intérieur, » écrit McCain. « Finalement, les Russes s’opposeront à M. Poutine de la même manière et pour les mêmes raisons que les Ukrainiens l’ont fait contre Viktor F. Ianoukovitch. »
Il a poursuivi en exigeant de nouvelles et plus sévères sanctions contre la Russie, pas seulement pour ses actions en Crimée mais pour avoir violé les « droits humains » des citoyens russes, un appel ouvert à une mise en quarantaine du style de celle imposée à l'Iran. Il a par ailleurs demandé l’intégration dans l’OTAN de l’Ukraine, de la Géorgie et de la Moldavie.
McCain et d'autres sénateurs, dont Dick Durbin, secrétaire général du Parti démocrate, ont exigé un approvisionnement immédiat en armes pour le nouveau gouvernement ukrainien.
La « révolution » ukrainienne visait à éliminer l’influence de la Russie dans un pays qui lui est frontalier. Soit la classe dirigeante américaine s’attendait à ce que la Russie ne réagisse pas et a riposté furieusement à la tentative du régime Poutine de conserver le contrôle de la Crimée, soit l’action en Crimée avait été anticipée et a fourni l’occasion d’intensifier les menaces et l’intimidation.
Jusqu’où les Etats-Unis sont-ils prêts à aller ? Quelles que soient leurs intentions immédiates par rapport à l’Ukraine, les agissements de l’impérialisme ont une logique bien définie.
En Ukraine, les Etats-Unis et l’Union européenne ont promu des forces paramilitaires ultra-droitières et fascistes et qui occupent maintenant des postes de pouvoir au sein de l’Etat. Ces forces sont décidées à provoquer une guerre de l’Occident contre la Russie et à réprimer toute opposition dans le pays. Une garde nationale établie par le nouveau gouvernement va transformer les troupes de choc de la « révolution » en forces autorisées par l’Etat. L’extrême volatilité de la situation est telle que toutes sortes d'actions pourraient rapidement entraîner une guerre directe entre les grandes puissances.
La crise actuelle va-t-elle déclencher une guerre nucléaire ? C’est une possibilité réelle. Une chose est sûre : l’impérialisme, s’il n’est pas désarmé et vaincu par l’action unifiée de la classe ouvrière, créera des crises interminables, et chacune de ces crises pourrait plonger le monde dans l’horreur d’un holocauste nucléaire.
La classe dirigeante américaine ne reconnaît pas l'existence d'une opinion publique à l’exception de celle qu’elle fabrique elle-même au moyen de phrases toutes faites, loyalement reprises à la télévision et dans les journaux. Cependant, dans la mesure où, aux Etats-Unis, la classe ouvrière est consciente de ce qui se passe, elle est profondément hostile. Les guerres en Afghanistan et en Irak n’ont pas été sans marquer profondément la conscience de la population américaine.
Il faut mobiliser cette opposition et lui donner une forme politique consciente, faisant partie intégrante d’un mouvement international de la classe ouvrière contre la propagande de guerre de la classe dirigeante et de ses représentants politiques, et contre le système capitaliste qu’ils défendent.
(Article original paru le 17 mars 2014)