Le premier ministre canadien Harper visite Kiev pour saluer le coup d’État et menacer la Russie
Par Keith Jones
26 mars 2014
Le premier ministre canadien Stephen Harper s’est rendu à Kiev samedi pour une visite de six heures dans le but de démontrer l’appui résolu de l’élite canadienne au coup mené par des forces fascistes qui a renversé le président élu de l’Ukraine.
Lors d’une conférence avec Arseniy Yatsenyuk, le premier ministre par intérim installé suite au coup du mois dernier, Harper a dénoncé et menacé la Russie à maintes reprises.
Il a dépeint de manière hypocrite la Russie comme étant un agresseur, alors que ce sont les États-Unis et l’Allemagne qui ont orchestré le renversement du président ukrainien. Il a ensuite encensé ceux qui détiennent maintenant le pouvoir en Ukraine pour leur «retenue». En fait, le nouveau gouvernement ukrainien a monté une provocation après l’autre, y compris en déclarant que le pays est en guerre et en créant une nouvelle Garde nationale afin de cautionner officiellement la milice fasciste qui a mené le renversement du président Viktor Ianoukovitch.
Harper a promis que les puissances impérialistes ne rétabliraient pas des relations normales avec la Russie tant qu’elle ne se retirerait pas de la Crimée – une péninsule stratégique qui faisait historiquement partie de la Russie et dont la population, majoritairement de langue russe, a récemment voté en grande majorité pour se séparer de l’Ukraine et rejoindre la Fédération de Russie.
«Je crois qu’il est important», a déclaré Harper, «que dans notre monde libre nous n’acceptions pas l’occupation de la Crimée… qu’il n’y ait pas de retour au statu quo avec le régime Poutine jusqu’à ce que cesse l’occupation de la Crimée».
Harper a aussi clairement indiqué qu’il plaidera en faveur de l’expulsion de la Russie du G-8 lors d’une réunion d’urgence des grandes puissances mondiales qui doit prendre place aujourd’hui à La Haye. Ses assistants ont attiré l’attention à maintes reprises sur le fait qu’au terme de la réunion du G-8 en juin dernier – où de nets désaccords ont émergé par rapport à l’utilisation par les États-Unis d’Al-Qaïda et d’autres islamistes comme forces par procuration dans une guerre pour un changement de régime en Syrie – Harper a dénoncé Moscou avec véhémence, appelant la réunion «G-7 plus la Russie».
En réponse à une question directe à propos de la participation de la Russie au G-8, Harper a dit: «Je ne crois qu’il ne faut pas beaucoup d’imagination pour deviner mon opinion, mais je vais certainement écouter ce que mes partenaires du G7 ont à dire avant d’en arriver à une décision finale».
En collaboration avec Washington, le Canada a déjà imposé des sanctions contre des représentants gouvernementaux russes, des hommes d’affaires et la banque Rossiya.
Des représentants canadiens ont fait savoir que Harper travaillera aux côtés du président Barack Obama à la réunion de La Haye pour faire pression sur les puissances européennes afin qu’elles prennent des mesures encore plus provocatrices contre la Russie. Elles incluront sans doute des sanctions économiques additionnelles ainsi que l’autorisation pour davantage d’exercices militaires et des déploiements dans les pays de l’OTAN en bordure de la Russie.
Par le passé, le Canada a fait pression sur l’OTAN pour l’adhésion de l’Ukraine.
Des assistants du premier ministre conservateur et les médias de la grande entreprise canadienne ont souligné que Harper est le premier dirigeant d’un pays du G-7 à visiter l’Ukraine depuis le coup du mois dernier. Il était accompagné du ministre des Affaires étrangères John Baird et du ministre de la Justice Peter MacKay.
En plus du premier ministre Yatsenyuk, Harper a rencontré le nouveau président, Oleksandr Turcchynov.
La presse n’a pas indiqué si Harper ou un de ses deux ministres ont rencontré des dirigeants de Svoboda, un parti néo-fasciste qui occupe de hauts postes au sein du nouveau gouvernement ukrainien, y compris le poste de vice-premier ministre
Dirigé par l’oligarque Yulia Tymoshenko, le parti de Yatsenyuk, le parti nationaliste de droite La Patrie, a ouvertement travaillé aux côtés de Svoboda et de la milice fasciste Secteur droite pour renverser Ianoukovitch puis a formé une alliance avec Svoboda dans le but de collaborer en vue des prochaines élections.
Le plus petit des pays du G-8, le Canada a néanmoins joué un rôle important dans la campagne menée par les États-Unis et l’Allemagne pour détacher l’Ukraine de la sphère d’influence de la Russie et subjuguer cette dernière à la domination du capital occidental et de l’OTAN afin de paralyser la Russie davantage et transformer l’Ukraine en une source de main-d’œuvre bon marché et de ressources naturelles et agricoles pour la grande entreprise allemande.
Tant sous les gouvernements libéraux que conservateurs, Ottawa a développé un large réseau d’organisations canadiennes ukrainiennes droitières – plusieurs d’entre elles tirant leur source dans la Guerre froide – pour aider à organiser et financer les partis pro-occidentaux et les groupes de la «société civile».
Lorsqu’il était en Ukraine, Harper a tenté avec cynisme de présenter l’impérialisme canadien ainsi que lui-même comme des champions de la loi internationale et de la démocratie.
Il a dénoncé la Russie pour vouloir ramener le monde à la «loi de la jungle», dans un contexte où le Canada ne rate aucune occasion de soutenir Washington dans la poursuite incessante de ses objectifs prédateurs et dans la violation systématique de la loi internationale – que ce soit les attaques par drones, l’invasion de pays ou l’espionnage de la population dans tous les coins du globe.
Harper, un idéologue néo-conservateur, était partisan de la guerre illégale préventive que les États-Unis ont menée contre l’Irak à partir de 2003 – une guerre qui a fait un million de morts et qui a été justifiée par des accusations d’«armes de destruction massive» montées de toutes pièces.
Sous son gouvernement, le Canada a élargi sa participation dans la guerre anti-insurrectionnelle néocoloniale en Afghanistan. En violation de la convention de Genève, Harper a soutenu l’armée canadienne qui rendait aux forces de sécurité afghanes des soi-disant insurgés, la plupart d’entre eux étant des paysans afghans pauvres, sachant qu'ils seraient torturés. Harper était aussi un fervent défenseur du rôle dirigeant du Canada dans la guerre menée par l’OTAN, en 2011, pour un changement de régime en Libye. Il affirmait que cette guerre était légale sur la base d’une manipulation flagrante d’une résolution de l’ONU autorisant une zone d’exclusion aérienne supposément «humanitaire».
Le gouvernement Harper se targue d’être le plus «ardent» défenseur d’Israël qui, avec le soutien des États-Unis, a agi avec impunité au Moyen-Orient en bombardant des pays voisins et en dépossédant le peuple palestinien. Le gouvernement Harper a appuyé avec ferveur les sanctions économiques punitives imposées à l’Iran par les États-Unis et l’Union européenne et a clairement indiqué que dans le cas où les États-Unis attaquaient l’Iran, le Canada les appuierait, y compris par un soutien militaire.
La pose de Harper en tant que champion de la démocratie n’est pas moins orwellienne. Son gouvernement a déclaré le «droit» de l’État d’espionner les communications électroniques des Canadiens, a permis aux appareils de sécurité nationale d’utiliser l’information acquise par la torture, a fréquemment criminalisé les moyens de pression des travailleurs et a orchestré son propre coup parlementaire en 2008 en fermant le parlement afin d’éviter d’être renversé par l’opposition.
Selon un récent article paru dans le National Post, le gouvernement Harper a lancé un réexamen fondamental de la stratégie militaire et géostratégique du Canada en réponse à la confrontation entre l’Occident et la Russie sur l’Ukraine. «Il y a de plus en plus de gens qui croient que la ligne dure du gouvernement Harper en rapport aux événements en Ukraine nécessiteront une nouvelle doctrine de défense, face à une Russie expansionniste», a rapporté John Ivison du Post dans un article du 17 mars.
Ivison affirme que le gouvernement songe à accélérer la militarisation de l’Arctique, y compris la possibilité d'y jouer un important rôle en tant que membre de l’OTAN, et souhaite aussi réexaminer la décision du gouvernement libéral Martin de ne pas participer au plan hautement déstabilisateur des États-Unis visant à déployer un bouclier antimissile.
En d’autres termes, le gouvernement Harper complote dans le but d’exploiter la crise ukrainienne afin de surmonter l’opposition populaire aux plans de l’élite dirigeante de militariser la société canadienne et de renforcer la collaboration stratégique avec Washington.
Les partis d’opposition ont fortement appuyé le gouvernement Harper dans le soutien au coup orchestré par les États-Unis et l’Allemagne en Ukraine et la préparation d'une confrontation avec la Russie qui pourrait dégénérer en un conflit aux conséquences incalculables pour le monde entier. En fait, le NPD, soutenu par les syndicats, a félicité le gouvernement conservateur à maintes reprises pour ses politiques en relation à l’Ukraine et le chef du parti Thomas Mulcair rencontre régulièrement Harper en privé afin de discuter du rôle du Canada dans la crise.