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Québec solidaire embrasse la lutte au déficit et offre des conseils aux Libéraux

Par Louis Girard et Richard Dufour
22 mai 2014

Malgré ses promesses ronflantes d' «occuper le champ gauche» et de mener «une lutte sans répit» contre le nouveau gouvernement libéral provincial, Québec solidaire accepte entièrement le cadre du débat officiel sur la nécessité d'éliminer le déficit, qui sert à justifier un assaut frontal sur les services publics et le niveau de vie des travailleurs.

Dans une série de points de presse tenus plus tôt ce mois-ci, ses deux principaux porte-parole réélus à l'Assemblée nationale, Françoise David et Amir Khadir, ont offert leurs conseils au premier ministre libéral Philippe Couillard sur la meilleure façon d'atteindre l'équilibre budgétaire. Ils en ont profité pour semer des illusions sur la possibilité de faire pression sur ce gouvernement de la grande entreprise pour qu'il «ouvre les yeux» et agisse «dans l'intérêt des citoyens ordinaires».

Lorsqu'on a demandé à David si elle était favorable à l'initiative gouvernementale de mettre sur pied «une commission qui va passer au crible chacun des programmes», c'est-à-dire trouver des cibles de compressions majeures dans les services publics, elle a répondu à l'affirmative: «Regarder si tous les programmes sont aujourd'hui aussi utiles qu'autrefois, il n'y a pas de problème».

Un autre journaliste est revenu à la charge. «Est-ce que vous êtes contre une révision permanente des programmes?» Et David de répondre avec empressement: «Non, non. On est d'accord avec l'idée d'être en réflexion permanente sur la fiscalité, sur les finances publiques, sur les programmes».

La porte-parole de Québec solidaire a seulement insisté pour donner un semblant de légitimité populaire à une campagne idéologique qui sert à préparer le démantèlement de ce qui reste de l'État-providence. «Si on veut un véritable débat social», a déclaré David, «on va le faire tout le monde ensemble, avec des économistes de droite, de centre, de gauche, puis on va le faire avec la population, avec les mouvements sociaux, y compris avec les chambres de commerce.»

L'autre dirigeant en vue de Québec solidaire, Amir Khadir, a embrassé la lutte au déficit, mais a conseillé aux libéraux d'agir de manière plus «professionnelle» en y mettant le temps qu'il faut. «Il faut revoir l'échéancier du retour au déficit zéro», a déclaré Khadir. «C'est agir en amateur que de tout le temps essayer de balancer le budget sur un horizon d'un an. Les problèmes de balance budgétaire, c'est des problèmes structurels. Il faut donc les voir sur une vision à plus long terme».

Khadir a cité en exemple deux des gouvernements les plus à droite de l'histoire récente du Canada, ceux de l'ex-premier ministre libéral du Québec Jean Charest et de l'actuel premier ministre ultra-conservateur du Canada, Stephen Harper. «D'autres l'ont fait, comme M. Bachand [ministre des Finances de Charest], lorsqu'il y a eu la crise, ou encore le gouvernement canadien, pourtant conservateur.»

Ces propos de Khadir montrent que Québec solidaire fait partie intégrante de l'establishment. Ce parti maintient une orientation de longue date vers le Parti québécois, dont il cherche à sauvegarder la politique réactionnaire du séparatisme québécois qui a été si massivement rejetée aux dernières élections. Et aujourd'hui, il fait tout pour bloquer l'apparition d'un mouvement politique indépendant des travailleurs contre le nouvel assaut anti-ouvrier mis en branle par le gouvernement Couillard.

Loin d'alerter les travailleurs sur le caractère brutal de l'assaut qui se prépare contre leur niveau de vie, Québec solidaire veut les endormir politiquement en cachant la véritable source objective du tournant universel vers l'austérité, à savoir la faillite du capitalisme mondial.

La catastrophe sociale causée au Canada et à l'échelle internationale par les vagues de mises-à-pied et la réduction massive des dépenses sociales est présentée comme le résultat de «mauvais choix idéologiques» par des politiciens, sur qui on peut faire pression pour qu'ils changent d'idée. C'est vers cette voie futile de la protestation que Québec solidaire, un parti des classes moyennes privilégiées, cherche à entraîner les travailleurs.

«Ce gouvernement présentera un projet de loi qui va dans le sens de l'intérêt collectif, nous l'appuierons», a déclaré David. «Ce gouvernement présentera un budget qui coupe dans la santé, l'éducation, l'aide sociale, la culture, nous le dénoncerons haut et fort», a-t-elle poursuivi, comme si le premier scénario n'était autre chose que le fruit de son imagination.

C'est à Khadir qu'est revenue la tâche d'élaborer pleinement la politique bidon de la protestation mise de l'avant par Québec solidaire. Il a commencé par accueillir comme un exemple de rupture avec l'austérité le budget déposé plus tôt ce mois-ci par le gouvernement libéral ontarien de Kathleen Wynne. Avec un milliard de dollars en dépenses sociales de moins que prévu l'an dernier, et un engagement à réduire le budget gouvernemental de dix milliards d'ici 2017, c'était en réalité un budget d'austérité, saupoudré de quelques mesures superficielles, telles qu'une faible augmentation des allocations d'aide sociale et une petite hausse des taux d'imposition sur les riches.

S'adressant au ministre libéral des Finances, Khadir a ensuite lancé cet appel pathétique: «M. Leitão provient du milieu bancaire, des institutions financières qui ont énormément bénéficié en 2007, lorsque M. Charest a aboli la taxe sur le capital des entreprises financières... M. Leitão pourrait dissiper toute suspicion qu'il agit dans l'intérêt des banquiers en se retournant contre eux, [en disant] aux banquiers: bien, on ne peut plus vous donner ce cadeau-là.»

«Mais, compte tenu du recours de M. Couillard aux paradis fiscaux», a noté un journaliste, «est-ce que vous pensez qu'il est en position de s'attaquer à ce type de problème là?» Nullement gêné par son déni flagrant des réalités de classe les plus élémentaires, Khadir a répondu: «J'invite M. Couillard à saisir l'opportunité pour dissiper tout doute sur son engagement réel à ne pas encourager les paradis fiscaux».

À un journaliste qui voulait savoir s’il avait déjà rencontré Leitão, Khadir a répondu: «Non, mais on compte là-dessus, comme on l'a fait à partir de 2009. Et d'ailleurs la première rencontre avec Mme Jérôme-Forget [alors ministre libérale des Finances] a été mémorable de chaleur et d'enthousiasme, de part et d'autre.»

Cette prostration devant les libéraux n'a d'égale que la tristesse exprimée par Québec solidaire devant la raclée subie aux élections du 7 avril par le Parti québécois, l'autre parti de gouvernement de l'élite dirigeante québécoise.

Se disant «abasourdie» par la victoire des Libéraux et inquiète du déclin du PQ, Françoise David a dit le soir de l'élection que les électeurs péquistes voyaient «avec stupeur le tapis se dérober sous leurs pieds», tout en ajoutant: «Je comprends leur peine et leur colère». Cherchant à positionner Québec solidaire comme le vrai parti de l’indépendance du Québec, elle a invité à «rebâtir un véritable mouvement souverainiste ancré dans des valeurs qui font honneur au Québec».

David n’avait que de bons mots pour l’ex-première ministre Pauline Marois, battue dans son propre comté. «J’aimerais saluer la contribution de Pauline Marois à la vie politique québécoise», a-t-elle déclaré. Mais David n'a rien dit sur les conséquences sociales dévastatrices des politiques appliquées par le PQ chaque fois qu'il a pris le pouvoir. Marois faisait partie du gouvernement Lévesque de 1982-83 qui a rouvert les conventions collectives des enseignants pour imposer une coupure salariale de 20%. Elle était également ministre sous le gouvernement Bouchard qui a éliminé en 1996 des dizaines de milliers d’emplois dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Et de septembre 2012 à avril 2014, elle a présidé en tant que première ministre péquiste aux plus importantes coupes budgétaires depuis une quinzaine d’années.

Cette longue histoire de féroces mesures anti-ouvrières n’a pas empêché David de déclarer quelques jours avant les élections d’avril dernier que son parti marcherait aux côtés de Marois «chaque fois qu’elle voudra faire passer un projet de loi qui ira dans le sens du progrès social, de la justice sociale et de l’écologie».

Pendant la campagne électorale, Québec solidaire a défendu la Charte de la laïcité du PQ. Cette charte anti-démocratique a été utilisée pour diviser la population sur des lignes ethniques et détourner la colère grandissante de la classe ouvrière contre les mesures d’austérité vers des «problèmes» créés de toutes pièces. Françoise David a déclaré juste avant les élections qu'elle «souhaite voir une charte de la laïcité adoptée au Québec» et qu’elle serait «la première à monter au front» si la charte était jugée illégale par une cour fédérale.

Les représentants de l'élite dirigeante voient bien que Québec solidaire ne pose aucune menace à l'ordre établi. Le chroniqueur en vue de La presse, Alain Dubuc, a accueilli la hausse du vote pour Québec solidaire aux dernières élections – de 6,03 pour cent à 7,63 pour cent – comme étant «une excellente chose pour la démocratie et pour la qualité du débat public». À la fin de son article, Dubuc a noté: «Un parti comme QS a une autre fonction: celle de révélateur de fractures sociales. L'image qui me vient, c'est celle des canaris que l'on apportait dans les mines de charbon, parce que ces petits oiseaux étaient plus sensibles aux émanations mortelles.»

Il est vrai que Québec solidaire joue un rôle de soupape de sécurité en canalisant la colère populaire sur la voie futile de la protestation. Mais plus encore, ce parti de la pseudo-gauche – à l'instar de ses confrères à travers le monde tels que SYRIZA en Grèce ou le Nouveau parti anticapitaliste en France – travaille à subordonner les travailleurs aux partis bourgeois et à la bureaucratie syndicale pro-capitaliste. Ce fut le cas, par exemple, lors de la grève étudiante québécoise de 2012 lorsque Québec solidaire a aidé les syndicats à isoler les étudiants et à canaliser leur lutte derrière l'élection d'un gouvernement péquiste.

Ce parti s'apprête à jouer un rôle similaire dans les luttes sociales à venir. Lorsque Françoise David déclare en point de presse, «Nous appelons les syndicats à mener les combats nécessaires pour que les travailleuses du secteur public soient payées à leur juste valeur», c'est dans le but de renforcer la crédibilité des syndicats, fortement entachée aujourd’hui aux yeux des travailleurs. Ces appareils bureaucratiques moribonds, qui ont systématiquement étouffé la lutte des classes et collaboré étroitement avec la grande entreprise dans l’imposition des mesures d’austérité, peuvent compter sur Québec solidaire pour leur fournir une couverture «de gauche».