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Le modèle de Détroit: le règne permanent des banques

Par Jerry White
14 mai 2014

L'assemblée législative de l’Etat américain du Michigan est en train de débattre d’une série de lois visant à imposer une autorité financière permanente à Détroit et qui serait maintenue bien après que la ville aura été libérée de la faillite. Un comité financier de « surveillance » non élu, connu sous le nom d'Autorité administrative de règlement du Michigan (Michigan Settlement Administration Authority, MSAA), gérerait la ville durant deux décennies, usurpant dans les faits le gouvernement local.

Lorsque le gouverneur du Michigan avait mis en place en mars dernier l’administrateur judiciaire de la ville de Détroit, Kevyn Orr, cela avait été présenté comme une mesure temporaire d'une durée maximale de 18 mois. A présent, selon le projet de restructuration soumis par Orr, avocat spécialisé dans les faillites et entretenant des liens étroits avec Wall Street, un nouvel organisme « composé d’individus dont les compétences et l’expérience financière sont reconnues » aura l’autorité de limiter les emprunts et les dépenses de la ville et de mettre au rebut les conventions collectives.

Cette autorité sera chargée de garantir que la ville « continue d’appliquer les réformes financières et opérationnelles » stipulées dans le plan de restructuration. Ceci comprend une réduction effective de 30 pour cent des retraites et des prestations des soins de santé pour plus de 30.000 fonctionnaires actuels et à la retraite. La « structure de gouvernance robuste » définie dans le projet de Orr renforcera « à long terme la confiance du public dans la santé et la stabilité fiscale de Détroit, notamment avec les marchés financiers. »

On pourrait difficilement être plus explicite : l’organisme proposé ne devra rendre de comptes qu'à Wall Street. Il resta en place indéfiniment et ne fera l’objet d’aucun vote populaire ni révocation.

L’Etat du Michigan est à l’avant-garde de la mise en place de formes de régime antidémocratiques. Douze villes du Michigan ainsi que des districts scolaires, tous ravagés par des décennies de désindustrialisation, de réductions d’impôts sur les sociétés et de manipulation financière, sont pour l’heure sous le contrôle d'administrateurs judiciaires.

Orr, qui s’est décrit lui-même comme un « dictateur bienveillant » a élaboré un projet pour s’attaquer aux fonctionnaires, transgresser les protections constitutionnelles concernant les retraites et céder les biens municipaux, dont le Detroit Institute of Arts et l’éclairage public, le réseau électrique et le réseau d’assainissement et d’eau potable, aux intérêts privés et aux gros investisseurs.

Ce qui est en train de se produire à Détroit est un modèle pour les villes et les Etats dans tout le pays qui cherchent à se décharger des retraites pour rembourser les dettes issues de la crise financière de 2008 et des années de stagnation économique. « Si cette ville prend les bonnes décisions, cela jettera des bases solides pour que d’autres villes et d’autres municipalités aillent de l’avant, » a dit Martha Kopacz, l’« experte du redressement » engagée par le tribunal de commerce pour réviser le plan financier de Détroit.

Tandis que Détroit était poussé à la faillite, le gouvernement Obama rejetait explicitement un renflouement et s'opposait à tous les efforts entrepris pour stopper une intervention des tribunaux. La Maison Blanche a pleinement appuyé la faillite qu’elle considère comme un précédent national pour la démolition des emplois, des retraites et des prestations de santé des fonctionnaires aux quatre coins des Etats-Unis.

L’application pure et dure de la loi des banques, en se débarrassant des formes politiques susceptibles d’être influencées par la pression populaire, fait partie d’un processus international. Dans un pays après l’autre, les éditorialistes de la presse, les universitaires et autres porte-paroles de l’aristocratie financière répètent les commentaires du chroniqueur de droite, George Will, qui avait déclaré l’année passée que « l'auto-gouvernement avait échoué » à Détroit.

Au lieu de cela, ils disent que ce qu’il faut ce sont des experts financiers et des technocrates qui seront libres d’imposer des mesures d’austérité impopulaires sans crainte d’être renvoyés par les électeurs qui ne comprennent pas la nécessité de « choix durs. »

En Europe, la soi-disant « Troïka » composée de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international a fait tomber des gouvernements élus dans le cadre de ses efforts implacables pour supprimer les emplois des fonctionnaires, rallonger l’âge de départ à la retraite, supprimer les soins de santé et les retraites, abaisser le salaire minimum et introduire la « flexibilité de l’emploi ». Tout ceci va de pair avec l’interdiction des grèves et la promotion de mouvements droitiers et fascistes pour réprimer l’opposition populaire.

Les banques sont en train d’imposer un revirement historique des conditions de la classe ouvrière en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Italie, en Irlande et dans d’autres pays pour ce qui est du chômage, de la faim et de la maladie qui sont en train d'atteindre des niveaux jamais vus depuis la Grande Dépression et la Deuxième Guerre mondiale. Entre-temps, en Europe les élites, avec l’encouragement des Etats-Unis, sont en train de se réarmer et de planifier un conflit militaire catastrophique avec la Russie.

Derrière l’effondrement de la démocratie, il y a l’immense croissance de l’inégalité sociale et la concentration sans précédent de la richesse entre les mains d’une infime minorité de la population. Parfaitement consciente de la profonde hostilité de la classe ouvrière à l’égard de ses mesures antisociales et s'inquiétant de plus en plus de ce que les partis politiques discrédités et les syndicats ne seront plus en mesure de contenir plus longtemps la résistance populaire, l’élite dirigeante patronale et financière se débarrasse de tout le decorum démocratique pour recourir à des formes de régime autoritaires.

Le gouvernement Obama a supervisé une expansion massive des mesures d’Etat policier, dont l’espionnage de la NSA, l’assassinat de citoyens américains au moyen de missiles tirés par des drones et de coups montés politiques contre des dissidents. Ses cibles incluent Edward Snowden, Julian Assange et Chelsea Bradley Manning, ainsi que des manifestants anti-OTAN à Chicago et des manifestants d’« Occupy Wall Street » à New York City.

Ce qui est en train de se produire à Détroit révèle le but social de ces mesures. Des formes politiques sont en train d’être restructurées conformément à la réalité des relations sociales se caractérisant par un gouffre énorme entre la minorité des ultra-riches et la vaste majorité de la population.

La réduction des retraites et les autres mesures d’austérité qui incluent le plan d’ajustement de Orr pour Détroit ne sont que le début. Les banques de Wall Street et leurs représentants politiques planifient des attaques encore plus graves à Détroit, comme le montrent les projets de mise en place d’une dictature permanente des banquiers. Ce précédent qui a lieu à Détroit servira à accélérer la contre-révolution sociale contre la classe ouvrière partout aux Etats-Unis et internationalement.

L'unique force capable de défendre les droits démocratiques est la classe ouvrière. Ceci requiert une mobilisation politique indépendante des travailleurs et des jeunes à Détroit, de par les Etats-Unis et internationalement pour briser la mainmise de la ploutocratie financière. L'objectif d’un tel mouvement doit être la mise en place d’un gouvernement ouvrier et la réorganisation socialiste de la vie économique afin de satisfaire les besoins de la majorité et non de la riche minorité.

(Article original paru le 13 mars 2014)