Ontario: Les partis officiels n'ont que l'austérité à présenter aux électeurs
Par Keith Jones
9 mai 2014
La première ministre libérale de l'Ontario, Kathleen Wynne, a annoncé vendredi dernier aux électeurs de l'Ontario, la province la plus populeuse du Canada, qu'il y aurait une élection provinciale le 12 juin.
Cette élection était devenue inévitable plus tôt dans la journée quand la chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) ontarien, Andrea Horwath, avait annoncé que son parti retirait son appui au gouvernement minoritaire de Wynne.
À la demande des syndicats, le NPD social-démocrate a maintenu les libéraux au pouvoir depuis octobre 2011, pendant qu'ils réalisaient le programme de baisses d'impôt et de vastes coupes sociales du patronat. Le gel de deux ans des salaires des employés de la fonction publique de l'Ontario qui fut imposé par le projet de loi 115, qui venait criminaliser tout mouvement de revendication des enseignants des écoles publiques de la province, faisait partie de ce programme.
La majorité de la bureaucratie syndicale souhaitait voir le NPD continuer à appuyer les libéraux. Le président de la Fédération du travail de l'Ontario, Sid Ryan, et le dirigeant d'Unifor, le plus important syndicat industriel du Canada, Jerry Dias, ont applaudi le budget présenté par les libéraux le 1er mai et exhorté le NPD à voter pour.
Ryan l'a décrit comme un «budget néo-démocrate» et Dias a affirmé que «sous la direction de Kathleen Wynne et Andrea Horwath, l'Ontario a la possibilité de se rebâtir et d'assurer la prospérité de tous les Ontariens».
Si Horwath a décidé de rejeter les demandes des syndicats, c'est parce qu'elle craignait que l'association trop étroite du NPD avec le Parti libéral se retourne contre le NPD aux urnes, étant donné que de nombreux électeurs tireraient la conclusion, et avec raison, que ces deux partis de la grande entreprise sont très semblables.
Il faut noter que, pendant qu'elle annonçait que le NPD n'allait pas appuyer le budget libéral, Horwath a fait savoir qu'elle partageait la position des bureaucrates syndicaux et des grands médias qui qualifiaient le budget de «progressiste» et de rupture avec l'austérité.
En expliquant pourquoi son parti n'allait pas donner son appui au budget, Horwath a répété les critiques qui avaient été faites par les progressistes-conservateurs et les sections les plus à droite des médias que le budget annonçait un retour à un «gros gouvernement». «Ce budget n'est pas un plan solide pour l'avenir», a dit Horwath. «C'est une course effrénée pour éviter les scandales en promettant mer et monde.»
Le fait que le budget puisse être qualifié de progressiste, tant par ses partisans que ses détracteurs – le chroniqueur du Toronto Star Thomas Walkom l'a décrit comme le budget le plus progressiste depuis «des décennies», tandis que le National Post néoconservateur s'y est opposé en écrivant qu'il menait «une guerre de classe» contre les entreprises et les riches – montre à quel point l'ensemble de l'établissement politique évolue vers la droite.
Le budget est en réalité une autre solide dose d'austérité. Le gouvernement prévoit dépenser presque un milliard de moins en 2014-15 qu'il ne l'avait prévu l'an dernier. De plus, malgré une diminution des revenus en raison d'une faible croissance économique, les libéraux maintiennent leur engagement d'éliminer le déficit budgétaire annuel, qui dépasse les 10 milliards de dollars, d'ici 2017. Pour y arriver, ils devront sabrer les dépenses gouvernementales de plusieurs autres milliards.
Beaucoup d'importance est accordée au fait que les libéraux ont annoncé une légère hausse des prestations d'aide sociale et, pour la deuxième année consécutive, de l'imposition des riches et des super riches.
Après l'augmentation de l'aide sociale, ses prestataires vont non seulement continuer de vivre dans une pauvreté abjecte, leurs prestations vont continuer d'être inférieures, en dollars réels, à ce qu'elles étaient au milieu des années 1990, même après les coupes de plus de 20 pour cent dans les prestations imposées par le premier ministre conservateur Mike Harris.
Quant à l'augmentation du taux d'imposition, elle ne vient annuler qu'une petite partie des baisses d'impôt massives qui ont été offertes aux sections les plus privilégiées de la société au cours des 15 dernières années.
La majeure partie des nouvelles dépenses concerne surtout des mesures pour répondre à la crise des transports, des infrastructures et des embouteillages de la province. Cette crise est particulièrement sévère dans la région du Grand Toronto. Des porte-paroles du patronat affirment que les embouteillages ont un impact négatif sur la position concurrentielle de la cinquième plus grande agglomération urbaine d'Amérique du Nord. En utilisant davantage de revenus de taxes et d'impôt, en liquidant des biens publics et en soutirant plus de profits des sociétés d'État (c'est-à-dire en augmentant les tarifs et en accélérant la cadence du travail), le gouvernement prévoit ainsi amasser 2,9 milliards de dollars par année pour les dix prochaines années pour le transport public et la construction d'autoroutes.
De plus, un nouveau fonds de 2,5 milliards de dollars (250 millions $ par année) servira à offrir des subventions, des garanties de prêt et d'autres avantages à la grande entreprise pour décrocher des investissements en Ontario. Unifor, qui fait du lobbying auprès du gouvernement pour qu'il offre encore plus d'avantages aux constructeurs automobiles, a accueilli ce nouveau «Fonds pour l'emploi et la prospérité».
Les syndicats ont aussi applaudi le plan libéral, annoncé dans le budget, de régime de retraite ontarien. Présenté comme un filet social pour plus de trois millions d'Ontariens qui ne reçoivent pas de pension de leur employeur, ce nouveau plan ne coûtera pas un cent au gouvernement. Il sera en effet financé par les employeurs et les travailleurs. Ces derniers devront assurer la moitié du financement à travers une nouvelle taxe de 1,9 pour cent qui sera prélevée sur leur salaire.
Ainsi, le plan de libéraux qui a l'appui des syndicats entraînera une baisse du salaire net des travailleurs qui ne fait que stagner ou même diminuer depuis des années.
Les progressistes-conservateurs, l'opposition officielle, exigent un assaut encore plus brutal contre les services publics et les programmes sociaux ainsi que sur les emplois et les salaires des travailleurs qui les gèrent. Ils demandent aussi d'autres baisses d'impôt pour la grande entreprise et les riches.
Les conservateurs tenteront de présenter ces politiques comme un «programme d'emploi» pour exploiter la colère de la population face au déclin de l'économie ontarienne, surtout dans le secteur manufacturier.
Le chef conservateur Tim Hudak appelait jusqu'à tout récemment à une loi de «droit au travail» – de même type que les lois réactionnaires antisyndicales promulguées aux États-Unis – qu'il voulait placer au cœur du programme de son parti. Mais il a plutôt changé d'idée, reconnaissant que beaucoup d'employeurs ne pensaient pas qu'une telle loi fût une priorité. Au Canada, comme de par le monde, les syndicats se sont de plus en plus intégrés à l'appareil de direction des entreprises et de nombreux employeurs, y compris les Trois Grands constructeurs automobiles de Detroit, les voient comme des partenaires essentiels pour imposer les baisses de salaire et les licenciements.
Les syndicats appuient dans les faits les libéraux depuis leur arrivée au pouvoir en 2003. Ils utilisent la menace du retour d'un gouvernement conservateur pour intimider les travailleurs et les forcer à se plier aux mesures de droite «moins dures» des libéraux, y compris les mesures d'austérité brutales qui ont été imposées depuis 2011. L'opposition des syndicats au gel de salaires libéral n'était que pour la forme. Le président de la Fédération des enseignants des écoles secondaires de l'Ontario (FEESO), Ken Coran, avait soutenu être opposé à l'assaut des libéraux sur les salaires et les droits de négociation collective des enseignants. Mais aussitôt qu'il eût quitté son poste dans le syndicat, il se présenta comme candidat pour le Parti libéral dans l'élection partielle d'août 2013.
Quant au NPD, il a évolué encore plus vers la droite sous la direction d'Horwath. Il a imité les autres partis en promettant d'éliminer le déficit d'ici 2017 et de conserver l'«avantage» concurrentiel de l'Ontario (des taux d'imposition pour les entreprises plus faibles que ceux des provinces canadiennes et des États américains voisins).
Tandis qu'elle mentionne rarement les inégalités sociales et dédaigne qu'on s'en prenne à la grande entreprise, Horwath imite le maire populiste de droite de Toronto, Rob Ford, en faisant des discours qui attaquent les fonctionnaires à gros salaire du gouvernement.
Le mois dernier, le quotidien Globe and Mail écrivait que le NPD tentait de «devenir un sérieux prétendant au pouvoir» en «courtisant» le patronat. Horwath, affirme le Globe, rencontre des «leaders» de l'industrie de la finance et les dirigeants de grands manufacturiers comme Chrysler. Selon le Globe, Horwath a promis à ces principaux représentants de la grande entreprise canadienne qu'«elle est prête à faire tout ce qu'il faut pour équilibrer le budget de la province en quatre ans, y compris réduire les dépenses du gouvernement et faire preuve de fermeté envers les syndicats du secteur public».
(Article original paru le 6 mai 2014)
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