David Hyland et la lutte pour la conscience socialiste
Par Ulrich Rippert
24 janvier 2014
Nous publions ici le discours prononcé par Ulrich Rippert, le secrétaire national du Parti de l’Egalité sociale (Partei für Soziale Gleichheit, PSG), à l’occasion de la réunion commémorative qui eut lieu le 18 janvier en mémoire de Dave Hyland, l’ancien secrétaire national du SEP, qui est décédé le 8 décembre 2013. (Voir : « Meeting en mémoire de la lutte politique de Dave Hyland“)
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Camarades et amis,
Je suis très fier d’être ici et de prendre part à la commémoration de la vie et de la lutte politique du camarade Dave Hyland.
Dave incarne quelque chose qui s’avérera être d’une importance décisive dans le soulèvement à venir de la classe ouvrière internationalement – la force, la confiance, l’énergie révolutionnaire et la détermination de la classe ouvrière. Mais, pour Dave, la clé fut la compréhension que ces capacités ne peuvent être développées au sein de la classe ouvrière que sur la base d’une perspective socialiste et internationaliste et par la construction du Comité International de la Quatrième Internationale.
Lorsque j’ai rencontré Dave, quelques semaines à peine avant sa mort, sa maladie était à un stade très avancé. Néanmoins, son optimisme et sa confiance dans un avenir socialiste pour l’humanité étaient très forts. Et sa conviction était entière que notre parti mènera les luttes à venir de la classe ouvrière internationalement.
Nous avons parlé des journées mémorables et inspirantes d’octobre 1985, durant la scission du Workers Revolutionary Party, et de la grande importance du fait que Dave ait pris l’initiative et établi des relations avec le camarade David North pour l’unification de la lutte contre l’opportunisme national du WRP.
Cette lutte fut pour nous deux une renaissance politique et le début d’une collaboration politique et d’une amitié personnelle très étroites.
Une question que nous avons sans cesse discutée durant cette lutte a été : Comment est-il possible de développer une conscience socialiste au sein de la classe ouvrière ?
La direction du WRP avait mené une lutte incessante contre la position de Lénine et de Trotsky selon laquelle une conscience socialiste ne pouvait se développer automatiquement au moyen de la lutte de classe. Cette conscience doit être introduite au sein de la classe ouvrière en dehors des formes immédiates de la lutte de classe, telle le piquet de grève.
Dans son célèbre ouvrage Que faire ? Lénine explique qu’il est nécessaire d’avoir une analyse approfondie, des divulgations et une éducation politique. Pour Dave et moi-même, cette question était déterminante.
Nous étions tous deux des ouvriers d’usine et savions que lors d’une grève, les travailleurs étaient capables de développer des positions politiques très radicales. Ils sont capables d’affronter l’Etat capitaliste et parfois un sentiment d’insurrection se développe parmi les travailleurs en lutte. Dave m’a parlé de l’expérience faite durant la grève des mineurs, ici en 1984, et qui dura une année entière alors qu’il était en charge de l’organisation du parti dans le Yorkshire.
Mais, même les formes les plus radicales de combativité restent limitées dans le cadre de la conscience bourgeoise. Une compréhension socialiste, une conscience socialiste exige une information politique internationale approfondie et multilatérale et une compréhension de questions historiques très poussées. Ce n’est que sur cette base qu’un développement culturel peut avoir lieu au sein de la classe ouvrière, tellement crucial pour la révolution socialiste. Dave comprenait ces questions et nous avions de nombreuses discussions sur l’importance de l’éducation politique de la classe ouvrière.
Ceci est important parce que j’ai souvent l’impression qu’ici en Grande-Bretagne les différences de classe sont plus directes, plus prononcées et plus conscientes que dans n’importe quel autre pays. L’arrogance de la classe moyenne britannique, son outrecuidance, s’exprime ouvertement. Dans le même temps, la déclaration, « je suis un ouvrier » est exprimée ici avec une certaine fierté prolétarienne et une nuance de défi et de confrontation. Dave a représenté cette conscience de soi ouvrière et il a compris que cette position de classe était utilisée par les bureaucrates syndicaux et les intellectuels petits bourgeois pour cultiver une sorte d’ouvriérisme (« workerism ») visant à maintenir les travailleurs à l’écart d’une éducation politique en les détournant de la culture.
Voilà qui explique nos nombreuses discussions quant à la nécessité d’étudier et de comprendre les questions théoriques les plus profondes, ce qui n’est possible que sur la base d’une étude concrète de l’histoire du mouvement trotskyste. Et c’est pourquoi la lutte engagée dans le Comité International pour la reconstruction d’une conscience socialiste est d’une importance absolument déterminante.
Derrière cette lutte au sein de notre mouvement, se cachaient de profonds changements de la situation objective. L’effondrement des syndicats et du vieux mouvement ouvrier eut des conséquences catastrophiques. Il était devenu clair que la crise de la direction prolétarienne que Trotsky avait décrite dans le Programme de transition comme étant la question centrale de l’ensemble de la situation mondiale, ne pouvait pas être simplement surmontée par des initiatives tactiques ou par la combativité. Il était nécessaire de reconstruire une conscience socialiste et une culture socialiste au sein du mouvement ouvrier. Durant les quinze dernières années, le World Socialist Web Site est devenu l’instrument central pour atteindre ce but.
Malgré sa maladie évolutive et ses terribles conséquences pour sa personne, Dave était devenu un collaborateur très assidu du World Socialist Web Site. J’ai souvent été surpris de voir à quel point il était bien informé. Lorsque j’étais venu en novembre pour avoir des discussions, il m’a salué en disant, « As-tu lu l’article sur la manifestation du SEP à Detroit pour la défense du DIA (Detroit Institute of Arts, Institut des Beaux-arts de Detroit) aux Etats-Unis ?
Il était profondément impressionné et inspiré par le fait que nos camarades américains furent capables de rassembler plusieurs centaines de travailleurs en faveur de la défense du DIA. Il a reconnu ce fait comme étant une étape importante dans le développement culturel et politique de la classe ouvrière.
La décision prise par Dave, il y a près de 30 ans pour soutenir la lutte du camarade Dave North et de la Workers League, et ce faisant la perspective socialiste internationale du Comité International, fut d’une importance historique. Toute l’histoire de la Quatrième Internationale était en jeu.
Cela fut absolument décisif pour notre travail en Allemagne. Sur cette base, nous avons développé une collaboration très, très étroite entre nos sections. Lors des nombreux séminaires communs, des universités d’été, des débats et conférences que nous avons organisés, nous avons élaboré les leçons de la scission. Et, il était devenu clair qu’il s’agissait de l’expression des changements très profonds survenus dans la situation politique objective – notamment l’effondrement des régimes staliniens – qui avaient trouvé leur plus haute expression dans la dissolution de l’Union soviétique.
Sans la scission et la lutte politique et théorique menée contre l’opportunisme du WRP, nous n’aurions pas été en mesure de survivre politiquement en Allemagne. La désintégration des régimes staliniens en 1989/1990, et la transformation qui avait débuté il y a près de 25 ans, avaient constitué le début d’une offensive massive contre la classe ouvrière internationalement. La destruction des systèmes sociaux qui a lieu actuellement n’a pas commencé avec la crise économique de 2008. En réalité, ceux qui mènent actuellement cette offensive avaient été cultivés durant la période de la désagrégation de l’Union soviétique et ils entreprirent ensuite d’éradiquer les acquis sociaux de la classe ouvrière aux quatre coins du monde.
Cette offensive n’était pas seulement organisationnelle mais aussi théorique et idéologique. Aux côtés des organisations staliniennes, des sociaux-démocrates, du parti travailliste, des syndicats, l’ensemble des organisations petites bourgeoises gauchisantes se sont transformées en agences directes de l’impérialisme.
Nous avons parlé à l’époque du phénomène maladif du renoncement tous azimuts, lorsque toutes ces organisations ont totalement changé leur orientation politique. De nos jours, leur virement droitier revêt une forme tout à fait évidente
Ces organisations de la pseudo gauche se trouvent partout au premier plan des attaques sociales, du démantèlement des droits démocratiques et de la mise en place d’Etats policiers.
Le démantèlement du système social dans des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Irlande et l’Espagne sert actuellement de modèle pour chaque pays.
On peut se demander pourquoi ils sont en mesure de faire ceci sans qu’il y ait un développement révolutionnaire? Pour y répondre, il faut examiner le rôle joué par les syndicats et toutes les organisations de la pseudo-gauche qui soutiennent la répression par les syndicats du mouvement indépendant de la classe ouvrière. Nous avons eu de nombreuses discussions où nous avons expliqué qu’une lutte politique et théorique contre ces tendances pseudo de gauche était indispensable.
Tous les problèmes non résolus du vingtième siècle, de guerre et de révolution, sont de retour.
Comme dans les années 1930, la crise se développe en direction d’une guerre. Depuis le début de l’année, une campagne politique a lieu en Allemagne au sujet du 100ème anniversaire de la Première guerre mondiale. Plusieurs livres ont été publiés, dont celui de Christopher Clark, Les Somnambules, qui fut d’abord publié au Royaume-Uni.
Il y a d’autres livres récents sur la Première guerre mondiale qui ont tous un objectif commun – attaquer la connaissance scientifique et marxiste des relations qui existent entre le capitalisme et la guerre. Ils rejettent la position selon laquelle la guerre impérialiste est ancrée dans les contradictions du capitalisme. Ils réfutent ce point de vue comme étant « déterministe » et dépassé car il aurait été contredit par de nouvelles informations ou de nouvelles découvertes.
Leur interprétation de l’histoire est totalement subjective. Ils disent que l’empereur allemand, le chancelier, les ministres, les généraux ont tous pris de mauvaises décisions, qu’ils ont considéré la situation d’un mauvais angle et qu’ils sont donc arrivés à de mauvaises conclusions.
La conclusion qu’ils ont tirée est qu’il est nécessaire d’avoir une élite instruite. Qu’il faut avoir un gouvernement d’experts. Les politiciens élus ne sont pas capables de fonctionner de la sorte, affirment-ils parce qu’ils sont trop influencés par le peuple. Et ces élites doivent avoir les pleins pouvoirs pour faire accepter leurs décisions contre la population.
La deuxième conclusion qu’ils tirent est qu’il est nécessaire d’intervenir très tôt dans les conflits régionaux – non seulement politiquement et diplomatiquement, mais militairement et qu’il est donc nécessaire de constituer des armées fortes et professionnelles.
En d’autres termes, ils exigent, au nom d’une lutte contre la guerre, la constitution de forces militaires et la préparation d’une dictature. Et encore une fois, la pseudo-gauche se trouve au premier plan de cet argument – en faveur d’un « impérialisme humanitaire » et de guerres pour les droits de l’homme.
Je soulève ceci parce que la base de la campagne idéologique concernant la Première guerre mondiale est l’attaque du matérialisme historique, du marxisme.
C’était exactement cette question qui, il y a 30 ans, était au centre de la scission de notre mouvement. La lutte qui fut engagée visait les positions idéalistes subjectives qui s’étaient développées au sein de la direction du WRP. La critique formulée par David North envers les Etudes sur la dialectique de Healy fut l’un des premiers documents que nous avions reçus à l’époque et fut absolument décisive dans la préparation de la lutte contre l’opportunisme du WRP.
Les questions débattues au sein de notre mouvement il y a 30 ans sont devenues de nos jours les questions clés de la lutte politique contre la guerre et la dictature.
Je pense qu’il est très important de comprendre l’énorme force politique objective et théorique représentée par ce parti et son histoire. Le camarade Dave Hyland avait pris la décision de rejoindre la lutte menée par les internationalistes contre la direction du WRP et de développer ici les forces pour la défense de cette perspective historique.
Si vous vous posez la question de savoir quelle est la meilleure manière de commémorer la vie et l’œuvre politique du camarade Dave Hyland, il n’y a qu’une seule réponse. Vous devez vous familiariser avec ces idées et cette perspective. Vous devez étudier l’histoire de ce mouvement et rejoindre la lutte pour la construction du parti mondial de la révolution socialiste.
(Article original paru le 22 janvier 2014)