La « génération perdue » et l'échec du capitalisme
Par Joseph Kishore
20 septembre 2013
Une manière simple de mesurer la viabilité d'un système politique et social est de regarder la position de la jeunesse. Une société qui offre à la génération la plus jeune des perspectives pires que celles offertes aux parents et grands-parents de celle-ci est une société qui a cessé de progresser et a commencé à régresser – une société qui a perdu toute prétention à la légitimité historique.
Quelle figure fait, mesuré à cette aune, le capitalisme contemporain? Cinq ans après l'effondrement économique de 2008, les jeunes ont subi un déclin global qui par bien des aspects est sans précédent dans l'Histoire. Sur tous les plans – perspective de trouver un travail, revenu, nombre de propriétaires de leur logement, endettement – les conditions sont bien pires aujourd'hui qu'à aucun moment depuis les années 1930. Et il n'y a aucune perspective de reprise.
Ce déclin a les implications les plus profondes aux Etats-Unis, le centre du capitalisme mondial. Un article paru dans le Wall Street Journal ce week-end montre l'effet de la crise de l'emploi en particulier sur ce que ce journal appelle « la nouvelle génération perdue. »
Le Journal a relevé certains indices du déclin. La proportion des 16-24 ans qui ont un emploi aux États-Unis est de 5,6 pour cent inférieure à ce qu'elle était avant la crise, et elle n'a pratiquement pas bougé depuis 2008. Le revenu hebdomadaire médian de ce groupe a baissé de plus de 5 pour cent depuis 2007, en conséquence à la fois de la baisse des salaires et de la moindre quantité d'heures de travail offertes.
« Un peu moins de la moitié [des jeunes gens] travaillent à plein temps – comparé aux près de 80 pour cent de la population dans son ensemble – et 12 pour cent gagnent le salaire minimum ou moins, » a noté le Journal.
L'expérience commune à des millions de jeunes est une insécurité économique permanente. Beaucoup sont retourné vivre avec leurs parents, n'ayant pas les ressources financières pour établir une famille ou acheter un logement.
Les diplômés qui sortent de l'université après 4 ans d'études commencent leur vie professionnelle avec une dette qui est écrasante, économiquement et psychologiquement. Les banques et les agences de recouvrement s'accaparent tout ce qu'il reste une fois payé le minimum vital pour la nourriture, le logement et les vêtements. Dans les foyers qui ont une dette étudiante à rembourser, le montant moyen de cette dette a triplé depuis 1989, il est à plus de 26 000 dollars.
Entre 2000 et 2012, les salaires des nouveaux diplômés d'université ont baissé de 8 pour cent, d'après une récente étude de l'Economic Policy Institute, et les salaires de ceux qui travaillent directement après le lycée ont baissé de 13 pour cent. Le phénomène des diplômés très qualifiés travaillant dans des emplois à bas salaire dans le secteur des services est devenu courant.
Ces conditions se répètent sous différentes formes à une échelle globale. L'Europe en particulier a vu un effondrement du niveau de vie de sa jeune génération. Le chômage des jeunes dans l'Union européenne est à plus de 23 pour cent, à 56,1 pour cent en Espagne et à 69,2 en Grèce. Il y a 26 millions de jeunes dans le « monde développé » qui sont classés comme ‘ni employés ni en formation’ (NEETS en anglais). La pauvreté et la privation de logement sont devenus des phénomènes de masse.
Les implications politiques de ces transformations vont loin et commencent à trouver une expression plus ouverte et cela non seulement en relation avec les questions économiques et sociales. La jeune génération est « perdue » non seulement dans le sens où elle n'a aucun avenir sous le capitalisme, mais également dans le sens où elle est de plus en plus « perdue » pour la classe dirigeante et son élite politique. Les formes par lesquelles la bourgeoisie cherche à maintenir le contrôle politique cessent d’être efficaces.
L'énorme opposition populaire face à la course à la guerre contre la Syrie en est une expression – une opposition qui existe parmi toutes les sections de la population, mais qui est particulièrement prononcée parmi les Américains jeunes et pauvres. La classe dirigeante a été prise au dépourvu par l'ampleur de cette opposition. Les mensonges et la propagande servis par les grands médias, et l'impérialisme version « droits de l'Homme » du Parti démocrate et de ses organisations auxiliaires ne sont pas parvenus à faire changer l'opposition populaire à une nouvelle guerre s'appuyant sur ses mensonges.
Le soutien le plus fort pour Edward Snowden, le lanceur d'alerte de la NSA, est venu des adultes les plus jeunes. Les jeunes aux États-Unis préfèrent à une large majorité des dépenses plus importantes sur les programmes sociaux, des taxes plus élevées sur les riches et un contrôle plus strict des entreprises. Il y a un pourcentage plus élevé d'opinions en faveur du socialisme que du capitalisme – un fait extraordinaire étant donné que le socialisme n'apparaît dans les grands médias que comme un gros mot.
Ces sentiments peuvent être mieux compris si l'on regarde les expériences de la jeune génération. Ceux qui sont au début de leur trentaine aujourd'hui ont terminé le lycée aux alentours de l'an 2000, l’année des élections volées, de l'arrivée au pouvoir de Bush, de l'effondrement de la bulle spéculative sur Internet, et du lancement de la « guerre contre le terrorisme. » Leur expérience politique consciente et été dominée par une crise économique sans fin, la guerre, le démantèlement des droits démocratiques, le gangstérisme politique et la corruption.
L'élection d'Obama a été une expérience clef. Ceux qui sont maintenant au début de leur vingtaine ont voté pour la première fois en 2008, soutenant Obama dans l'espoir d'inverser la trajectoire établie par le gouvernement Bush. La même année a vu l'effondrement financier de 2008.
Les cinq dernières années ont montré l'impossibilité de changer quoi que ce soit dans le cadre du système politique existant. L'inégalité a énormément augmenté. Les marchés financiers explosent, les 400 hommes les plus riches du monde, listés par le magazine Forbes, sont plus riches que jamais, et pourtant les conditions pour les jeunes et les travailleurs sont désastreuses. La guerre continue sans qu'on en voie la fin, et Obama est allé bien plus loin que Bush pour transformer en lettre morte la Déclaration des droits fondamentaux.
Les représentants les plus perspicaces de l'élite politique sont inquiets des implications de cette situation pour la stabilité sociale et la préservation de leur système. Ils cherchent un moyen de développer leur base sociale. Les politiques identitaires ont été intégrées officiellement dans la politique bourgeoise, grâce aux services de la pseudo gauche, les représentants des sections privilégiées des classes moyennes supérieures.
Mais la classe dirigeante n'a rien à offrir à la grande majorité de la population. Son système, le capitalisme, a échoué.
La banqueroute historique du capitalisme n'entraîne pas son effondrement automatique. La rupture avec la politique officielle ne produit pas par elle-même une révolution socialiste.
Il est nécessaire pour les jeunes d'étudier sérieusement les expériences par lesquelles ils sont passés et par lesquelles la classe ouvrière est passée dans son ensemble au cours du 20e siècle. La déception se change de plus en plus en opposition plus précise et déterminée. Cela doit se transformer en une lutte politique consciente.
Il est nécessaire de développer une critique complète de la société existante et de tirer les conclusions politiques qui en découlent – c'est-à-dire, le besoin de construire un parti révolutionnaire de la classe ouvrière pour lutter pour le socialisme.
(Article original paru le 18 septembre 2013)