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La démocratie américaine en décomposition

Par Tom Carter
24 mai 2013

Jeudi de la semaine dernière, le sous-secrétaire à la Défense Micheal Sheehan a dit à la Commission des services armés du Sénat américain que la guerre contre le terrorisme continuerait au moins pendant 10 ou 20 ans de plus. Faisant allusion à l’état de siège dans lequel la ville de Boston avait été plongée le mois dernier, il a dit que le président et l’armée continueraient de faire valoir des pouvoirs de «temps de guerre», non contrôlés par le Congrès ou les tribunaux, s'étendant de «Boston aux FATA [Régions tribales du Pakistan administrées sur le plan fédéral]». Ces pouvoirs affirmés incluent le pouvoir de lancer de nouvelles guerres unilatéralement et le pouvoir d'assassiner, y compris des citoyens américains.

Le même jour, Obama a donné une conférence de presse lors de laquelle il a ouvertement défendu l'espionnage anticonstitutionnel de la presse effectué par son administration, exposé par la révélation que le département de la Justice s’était secrètement emparé des enregistrements téléphoniques de rédacteurs et de journalistes de l'Associated Press. Pour justifier cet acte tout à fait illégal, Obama a dit que dans ce cas-ci, la «sécurité nationale» et d'autres intérêts gouvernementaux étaient plus importants que la Déclaration des droits (Bill of Rights).

Le fait que le Pentagone s’arroge le pouvoir, pour une durée illimitée, de déployer unilatéralement la machine à tuer des États-Unis autant que le président le juge nécessaire – également à l'intérieur des États-Unis et sans aucune forme de contrôle ou de «freins et contrepoids» – équivaut à l'annonce d'une semi-dictature aux États-Unis. Les affirmations de Sheehan sont d'autant plus remarquables qu'elles n'ont rencontré aucune opposition sérieuse à la Commission des services armés du Sénat américain ou plus généralement dans les médias ou l'establishment politique.

En vertu des règles militaires déjà en place, l’armée est autorisée à déployer ses forces à l'intérieur des États-Unis pour réprimer les «troubles civils» et «assurer le rétablissement de la loi et de l'ordre dans un État ou une localité donné». Ces règles définissent le «trouble civil» comme «des actes de violence de groupe et du désordre qui portent atteinte à la loi et l'ordre publics».

Ces règles indiquent que l’armée peut être déployée à l'intérieur des États-Unis où «les autorités fédérales, d'État ou municipales sont incapables ou refusent d'offrir la protection adéquate...» En d'autres mots, l’armée affirme expressément son pouvoir d'intervenir avec force et violence pour réprimer tout ce qui peut être défini comme étant un «trouble civil» inacceptable, et ce, en faisant fi de l'opposition d'agences civiles fédérales, d'État ou municipales. Ces règles autorisent même l'action militaire en réaction à des «troubles civils à grande échelle non prévus» quand «le président est dans l’incapacité de donner préalablement son autorisation».

Dans son témoignage au Sénat, Sheehan a cité l'Authorization for Use of Military Force (AUMF, Autorisation du recours à la force militaire), passée à la suite des attaques du 11 septembre 2001, qui permettrait d’imposer des pouvoirs présidentiels et militaires sans supervision légale. Comme le World Socialist Web Site l’avait noté auparavant, «l'AUMF, présentée alors comme une mesure temporaire et limitée d'autodéfense contre ceux qui avaient perpétré des actes il y a plus de 11 ans, est en train d'être transformée en un moyen semblable au Reichstag Fire Decree ou au Enabling Act – une justification pseudo-légale pour des mesures d'État policier et des pouvoirs exécutifs pratiquement illimités et d’une durée indéfinie.»

Tout comme l'affirmation de pouvoirs exécutifs sans supervision du Pentagone ne s’est pas butée à une réelle opposition de la part de l'établissement politique, aucune opposition sérieuse ne s'est manifestée contre l'adoption par Obama de la théorie du «compromis» des droits constitutionnels selon laquelle les droits fondamentaux peuvent être ignorés quand les «intérêts gouvernementaux» ont priorité. Cette vision, qui, il y a trois décennies, aurait encore été considérée comme une position marginalisée de l'extrême droite, est aujourd'hui acceptée pratiquement à l'unanimité par les tribunaux américains, l'établissement politique et le milieu académique.

Il vaut la peine de se rappeler que la première guerre du Golfe en février 1991 avait été précédée d’un débat et d’un vote pour savoir si les États-Unis devaient entreprendre une opération militaire en Iraq. Par contraste, le président des États-Unis s’arroge aujourd'hui le pouvoir, d’une durée illimitée, de lancer des guerres basées sur ses propres motifs secrets, sans avoir de comptes à rendre à personne et sans aucun respect pour la Constitution ou le droit international.

La principale base d'appui pour l'abrogation de droits démocratiques et la progression vers un État policier se trouve parmi l'aristocratie financière, c'est-à-dire la minuscule couche de multimillionnaires et multimilliardaires qui a amassé des fortunes spectaculaires à travers la spéculation, le vol, la criminalité et la corruption. Cette couche sociale est devenue encore plus riche depuis l'éruption de la crise économique mondiale de 2008, après avoir été subventionnée à coups de billions de dollars par l'État, pendant que la classe travailleuse a été dévastée par le chômage de masse et les mesures d'austérité.

Les droits démocratiques et les réformes historiques ne valent rien aux yeux de ces cleptomanes qui perçoivent les masses de la population avec une peur et une hostilité extrêmes. Protégeant jalousement ses gains amassés dans l’illégalité, cette couche sociale appuie des mesures d'État policier pour réprimer violemment toute opposition sociale.

Derrière Obama et aux côtés de l'aristocratie financière, on retrouve une section privilégiée de la classe moyenne – approximativement entre le 90 et 99 % supérieurs. Certains parmi eux ont des petits différends avec les aristocrates financiers sur des questions de style de vie, ethniques, de culture et identitaires. Ils dépendent néanmoins du statu quo pour leur statut privilégié, pour leur revenu et les positions respectables en gestion d'entreprise, dans les départements d'université, les cabinets d'avocats, l'industrie du divertissement, les syndicats, les ONG, les médias et autres. Partisane de la guerre impérialiste et de la défense du système capitaliste en général, cette couche sociale est prête à accepter un État policier si l’alternative est le renversement révolutionnaire du système par la classe ouvrière.

La vaste majorité de la population américaine – les 80 à 90 % restants – est totalement exclue de la vie politique officielle du pays. Obama ne s'adresse pas à eux. Leurs intérêts ne sont pris en compte dans aucune des décisions politiques majeures. Ils ne sont pas importants.

Demandez à un travailleur américain dans la tranche inférieure des 80 à 90 % si le Premier Amendement ne contient que de simples suggestions conditionnées par les «intérêts gouvernementaux» ou s’il garantit des droits absolus et inaliénables. Demandez si le président des États-Unis et l’armée devraient avoir des pouvoirs illimités et incontrôlés pour l'avenir indéfini, y compris celui de réprimer violemment des «troubles civils» sans devoir se soucier de la Constitution ou des droits fondamentaux. Demandez si le président devrait avoir le pouvoir d'ordonner secrètement l'assassinat de citoyens américains. Demandez, et vous aurez probablement des réponses bien différentes de celles que donneraient un juge de la Cour suprême, un membre du Congrès, un chroniqueur «libéral», ou le président (qui aurait été «maître de conférences en droit constitutionnel» à une école de droit américaine d'élite).

En analysant le vol de l'élection de l'an 2000, le World Socialist Web Site a alors observé qu'il n'y avait plus de constituante marquée pour la défense des droits démocratiques dans la classe dirigeante américaine et son établissement politique. Le WSWS a prédit un rapide tournant vers des formes de règne autoritaires et a réitéré ces avertissements dans la période qui a suivi les attaques du 11 septembre 2001.

Il est maintenant temps de lancer un nouvel avertissement. Plus d'une décennie s’est écoulée depuis le lancement de la fameuse «guerre contre le terrorisme». Le processus de désintégration de la démocratie américaine s’est fortement développé et accéléré, en particulier sous l'administration Obama. Un État policier américain point à présent à l'horizon.

La seule force sociale capable d'empêcher et de renverser l'avancée vers la dictature est la classe ouvrière – la vaste tranche inférieure de 80 à 90 % qui est exclue de ce milieu fermé qu'est la politique officielle. C'est là que réside un profond engagement envers les droits démocratiques. Mais afin de pouvoir réaliser cet engagement, la classe ouvrière doit développer ses propres organisations, programmes et dirigeants, indépendamment de l'établissement politique bourgeois, et du milieu pourri de ses défenseurs «de gauche». La classe ouvrière doit entreprendre la lutte pour un gouvernement ouvrier, la confiscation de la richesse des aristocrates financiers, la nationalisation des banques et des entreprises, et la cessation de guerres impérialistes – en un mot, la lutte pour le socialisme international.

La classe dirigeante renforce avec urgence l'appareil de répression d’État. La classe ouvrière doit tout aussi urgemment construire les partis du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article original paru le 20 mai 2013)