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Le Canada a aidé à espionner les sommets du G8 et du G20

Par Ed Patrick et Keith Jones
7 décembre 2013

Des notes hautement confidentielles de l'Agence de sécurité nationale américaine (NSA), divulguées par l’ancien sous-traitant du renseignement américain, Edward Snowden, révèlent que le gouvernement conservateur du Canada a permis à la NSA d’espionner les sommets du G8 à Huntsville en Ontario et du G20 à Toronto en juin 2010. De plus, la NSA a reçu le soutien technique vital de l’agence de renseignement canadienne, le Centre de la sécurité des télécommunications du Canada (CSTC).

Selon un rapport publié la semaine dernière par le radiodiffuseur public du Canada, la Société Radio-Canada, la NSA a organisé une opération de six jours ciblant les deux sommets à partir de l’ambassade américaine à Ottawa.

Les notes mentionnent que l’opération de la NSA devait être «étroitement coordonnée avec notre partenaire canadien» et «indiquent clairement», selon Radio-Canada, «que la coopération [du CSTC] serait absolument vitale pour avoir accès aux systèmes de télécommunications utilisés par les personnes visées au cours des sommets».

Les notes ne nomment pas explicitement ces «personnes visées», mais leur contenu et les révélations antérieures concernant l’espionnage mondial de représentants de gouvernement et de politiciens par la NSA, allant de la chancelière allemande Angela Merkel à la présidente brésilienne Dilma Roussef, ne laissent aucun doute que les cibles étaient les chefs de gouvernement prenant part aux deux sommets ainsi que leurs ministres et leurs assistants.

Depuis des décennies, le CSTC joue un rôle majeur dans les opérations mondiales de la NSA. Cela va bien au-delà du partage de renseignements. Le CSTC utilise les programmes de surveillance de la NSA et a accès, selon un rapport du Globe and Mail publié samedi dernier, à la plupart des données brutes que la NSA récolte grâce à sa surveillance illégale et généralisée des télécommunications mondiales. De plus, le CSTC et la NSA s’échangent systématiquement du personnel et le CSTC collabore fréquemment avec la NSA dans certaines de ses opérations d’espionnage mondial les plus sensibles sur le plan politique.

Des rapports antérieurs basés sur des documents divulgués par Snowden ont révélé que le CSTC a aidé la NSA et les services de renseignement britanniques (GCHQ) dans l’espionnage d’une rencontre du G20 à Londres en 2009.

La révélation de l’opération d’espionnage du CSTC-NSA en 2010 ciblant des dirigeants de plusieurs nations, plusieurs d’entre eux provenant de pays officiellement alliés aux États-Unis et au Canada, dément une fois de plus l’affirmation des représentants du gouvernement et des médias que ces agences existent dans le but de protéger les Américains et les Canadiens de groupes comme Al-Qaïda.

La NSA et le CST servent plutôt les objectifs prédateurs des élites dirigeantes américaine et canadienne. Ils soutiennent les interventions militaires extérieures, espionnent les gouvernements rivaux, font de l’espionnage commercial, suivent les déplacements jugés hostiles aux intérêts de la grande entreprise nord-américaine et enfin, aident à contrer l’opposition politique intérieure.

Les notes de la NSA sur la surveillance des réunions du G8 et du G20 en 2010 écartent la possibilité d'une menace sérieuse à la sécurité lors des sommets. On peut y lire qu' «il n’y a aucune information spécifique ou crédible» que des extrémistes islamiques «ciblent l’événement». Elles détaillent ensuite les questions majeures qui devaient être discutées aux sommets, toutes en lien avec des enjeux économiques.

Les notes déclarent que l’objectif de l’opération d’espionnage est de soutenir «les objectifs de la politique américaine» en «offrant un soutien aux décideurs politiques». En d’autres termes, la NSA avait pour tâche de fournir des renseignements au président américain Barack Obama et à ses assistants quant aux positions, réactions et stratégies de négociation des autres délégations présentes aux sommets.

Les notes ne font aucune mention du partage de renseignements entre la NSA et le CSTC et le gouvernement canadien, mais un tel partage est chose courante, tel que noté plus haut. En octobre, Glenn Greenwald, un journaliste qui a travaillé étroitement avec Snowden et est le co-auteur du reportage de Radio-Canada de la semaine dernière, a révélé que le CSTC a espionné le ministère brésilien des Mines. Au cours des dernières semaines, Greenwald a fait savoir à maintes reprises que les fuites de Snowden contenaient beaucoup de matériel concernant le CSTC et que les Canadiens ordinaires seraient choqués par l’étendue et la portée des opérations d’espionnage impliquant le CSTC.

En juin, le Globe and Mail rapportait que depuis 2005, le CSTC a espionné de façon systématique les métadonnées des communications électroniques des Canadiens – y compris les appels téléphoniques, les messages-textes et courriels, ainsi que l’utilisation d’internet. Mais les médias et les partis d’opposition, dont le Nouveau Parti démocratique (NPD), soutenu par les syndicats, ont refusé d’avertir la population quant à la menace que constitue cet espionnage pour leur droits démocratiques, et encore moins de dénoncer cet espionnage comme étant illégal et inconstitutionnel.

Le gouvernement américain a répondu à la divulgation de ses opérations d’espionnage des sommets de 2010 avec son refus habituel de commenter les opérations de renseignement. Mais dans une admission implicite de la véracité du reportage, il a fait savoir: «Nous avons clairement indiqué que c'est une politique établie pour les États-Unis de récolter des renseignements à l'étranger comme le font les autres nations.»

Comme dans le cas de l’espionnage du gouvernement brésilien, le bureau du premier ministre Stephen Harper a répondu au reportage de l’espionnage de 2010 en disant: «Nous ne commentons pas les questions relatives à la sécurité nationale».

Selon la Loi antiterroriste de 2001, la loi interdit supposément au CSTC d’espionner quiconque au Canada. Mais il existe d’importantes exceptions. Le CSTC est spécifiquement chargé d’aider le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et d’autres agences policières à mener des opérations de surveillance approuvées par les tribunaux dans le cadre d’enquêtes de sécurité nationale. Ils espionnent aussi les communications des Canadiens dans le cadre de la lutte contre la «menace extérieure».

Jeudi dernier, lorsque le chef du NPD Thomas Mulcair a demandé au parlement si le CSTC avait obtenu l’autorisation d’un juge «avant d’autoriser et d’aider les Américains à nous espionner au Canada lors du sommet du G20», le ministre de la Défense Rob Nicholson a évité la question. Recourant au refrain habituel du gouvernement, Nicholson a déclaré: «Il est interdit à cette organisation de cibler les Canadiens. Et le CSTC ne peut demander à ses partenaires internationaux de contourner la loi canadienne».

Il s’agit d’un mensonge éhonté. Le CSTC a récolté et examiné les métadonnées des communications électroniques des Canadiens pendant des années. Le gouvernement a approuvé cette violation flagrante de la vie privée selon des directives ministérielles secrètes qui définissent arbitrairement les métadonnées comme n’étant pas «des communications protégées par la constitution».

Toutefois, le dirigeant néo-démocrate n’a pas soulevé cette question, ni sérieusement contesté les mensonges du gouvernement à propos du CSTC. Au cours des six derniers mois de révélations constantes sur les vastes opérations illégales menées par le partenaire intime du CSTC, la NSA, le NPD a toléré et encouragé les efforts du gouvernement conservateur pour garder les activités du CSTC entourées d’un nuage de secret. Consacrant ses énergies au scandale de pacotille autour des dépenses du Sénat, il n'a posé que quelques questions au parlement sur le CSTC. De plus, comme les libéraux – qui ont largement étendu les pouvoirs et le budget du CSTC lorsqu’ils étaient au pouvoir, y compris l’autorisation au CSTC d'examiner les métadonnées des communications des Canadiens – le NPD a clairement indiqué qu’il considère le CSTC comme un pilier vital de l’État canadien. Il souhaite uniquement que ses activités soient «surveillées» par le parlement, c’est-à-dire par un petit comité de parlementaires triés sur le volet.

Le gouvernement conservateur de Harper s’est servi du sommet du G20 à Toronto pour mener une vaste provocation, la police prenant contrôle de la majeure partie du centre-ville de la plus grande ville canadienne et faisant usage de violence et d’arrestations de masses afin de réprimer les manifestants. On a appris la semaine dernière que le CSTC et la NSA menaient en même temps une opération conjointe d’espionnage hautement sensible, renforçant ainsi un partenariat réactionnaire qui a mis les communications mondiales sous une surveillance systématique qui ferait l'envie des États policiers du 20e siècle.