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Le projet de loi sur la cyberintimidation du Parti conservateur du Canada: un prétexte pour développer la surveillance policière

Par Dylan Lubao
14 décembre 2013

À l’aide d’un projet de loi qui est maintenant devant le Parlement, le gouvernement conservateur du Canada tente de développer considérablement les pouvoirs dont l'État dispose pour espionner les activités des Canadiens sur Internet, pour lui permettre, entre autres, d’enquêter sur ces activités sans avoir besoin d'un mandat.

Lorsqu’il l’a dévoilée en novembre, le projet de loi C-13, intitulé Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité, fut présenté par le ministre de la Justice Peter Mackay comme une mesure pour combattre l’intimidation en ligne (la cyberintimidation). La question de la cyberintimidation a fait l'objet d'une large couverture médiatique après les suicides tragiques des adolescentes Rehtaeh Parsons et Amanda Todd, qui ont toutes deux été victimes de harcèlement sur Internet. Le tollé médiatique entourant les décès des jeunes filles a directement alimenter la campagne de la classe dirigeante pour augmenter les pouvoirs de surveillance de l’État.

Les conservateurs ont exploité le deuil et la colère du public à propos de ces tragédies en déposant un projet de loi omnibus qui, sous prétexte de combattre la cyberintimidation, va grandement étendre les pouvoirs de la police lui permettant de chercher et saisir des informations personnelles sur Internet. Des mesures qui autorisent des perquisitions sans mandat et réduisent les critères nécessaires à l'obtention de mandats sont insérées entre des clauses qui imposent de sévères peines pour le partage d’images «intimes» d’une personne sur Internet sans l’accord de cette personne, incluant des peines de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans.

Les conservateurs utilisent régulièrement des projets de loi omnibus afin d’imposer des mesures régressives (des coupes importantes dans l’assurance-emploi, la suppression de normes environnementales et des attaques contre les retraites des travailleurs fédéraux et le droit de négocier et faire grève), en les incorporant au sein de ces vastes projets de loi.

La manière trompeuse utilisée par les conservateurs pour mener leur fameuse campagne anti-cyberintimidation est entièrement en lien avec son contenu antidémocratique.

Le projet de loi C-13 augmente les pouvoirs de la police de deux manières.

Pour commencer, elle introduit des critères moins sévères pour l'accord de mandats de perquisition permettant à la police de forcer les entreprises de télécommunications et les fournisseurs d'accès à Internet à donner des informations et données personnelles ou à conserver ces données pour consultation future par la police.

Les services de police ne devront désormais qu'avoir une «soupçon raisonnable» qu'un individu est complice de crime ou a l'intention d'en commettre un pour obtenir un mandat de perquisition. Traditionnellement, la police devait se soumettre à des critères beaucoup plus rigoureux que le soupçon; le critère «des motifs raisonnables et probables».

En réduisant le seuil pour les fouilles policières sur l'utilisation Internet, le gouvernement conservateur bafoue une récente décision de la Cour suprême qui juge que le droit de la police de faire des fouilles sur la base de «soupçons» mettait le droit à la sphère privée des citoyens en péril: «Dans la plupart des cas, l'intérêt de l'État à détecter et prévenir le crime commence à supplanter le droit de la personne à être laissée tranquille au moment où les motifs probables viennent remplacer les soupçons.»

Deuxièmement, et plus inquiétant encore, la loi C-13 va permettre à la police et à d'autres représentants de la loi de demander aux compagnies de télécommunications et aux fournisseurs d'accès Internet de leur donner, sur une base volontaire, accès aux informations et communications en ligne de citoyens canadiens et ce, même à l'extérieur du cadre d'une enquête criminelle. Le code criminel du Canada interdit actuellement de telles demandes.

De plus, la loi C-13 fournira aux compagnies qui acceptent une telle requête policière volontaire une entière immunité de peines criminelles ou civiles en échange de leur participation. En d'autres mots, ces compagnies bénéficieraient de protection pour avoir participé à la collection d'informations et à l'espionnage de la police.

L'avocat criminaliste d'Ottawa Michael Spratt explique qu'«essentiellement la police pourra demander aux entreprises de leur faire parvenir des données sur n'importe qui, n'importe quand, pour n'importe quelle raison». De plus, «cette loi ne donne pas d'incitatif légal pour que les entreprises soient prudentes dans la dissémination de données, et n'offre aucun recours pour les individus dont la vie privée est violée.

«Ces vastes pouvoirs policiers non réglementés entraîneraient plus de pêches de données... Étant donné les récentes allégations de complicité d'espionnage gouvernemental, dit Spratt, une expansion des pouvoirs de la police pour collecter des données personnelles sous C-13 doit être vue avec la plus grande méfiance.»

L'industrie des télécommunications canadienne est dominée par une poignée de grandes sociétés dont les propriétaires et directeurs partagent la vision politique de droite de l'élite canadienne: une élite qui a peur du mécontentement social et qui, par conséquent, a appuyé des attaques contre les droits démocratiques à maintes reprises, qu'il s'agisse de grèves ou de luttes sociales ou du renversement de principes juridiques démocratiques de base comme le droit d'un accusé de savoir ce dont il est accusé.

Par contre, si une entreprise protestait contre les requêtes policières pour des divulgations «volontaires» d'informations de la clientèle, surtout en provenance du puissant appareil de sécurité national qui grossit rapidement, l'État et le gouvernement pourraient forcer la coopération à l'aide de lois et de règlements sur l'industrie.

La volonté et la capacité technique de divulguer les données des clients aux agences policières gouvernementales sont un prérequis pour l'industrie des télécommunications canadienne depuis presque deux décennies. Un article publié dans le Globe and Mail en septembre présente les Normes d’application du Solliciteur général sur l’interception licite des télécommunications (SGES), un accord qui ordonne explicitement à toutes les entreprises qui offrent un services sans fil de coopérer avec les requêtes policières, incluant le déchiffrage de communications cryptées. Le SGES oblige également les entreprises d'avoir la capacité technique de récupérer les communications d'individus qui intéressent la police et de transmettre aux autorités presque instantanément leurs communications présentes.

Jusqu'à l'article du Globe, les SGES étaient complètement inconnues du public canadien. Des entrevues avec des représentants des grandes sociétés de télécommunications montrent clairement que leur seule inquiétude par rapport à un élargissement des SGES pour inclure les communications en ligne est liée à la hausse des coûts qui en résulterait.

La loi C-13 ressuscite les éléments les plus flagrants de la loi C-30, une tentative passée des conservateurs d'élargir les pouvoirs policiers sur l'Internet et qui a été présenté comme un instrument pour combattre la pornographie pédophile.

Cette loi aurait modifié le code criminel afin de donner le pouvoir à la police de forcer, sans mandat, les fournisseurs d'accès à divulguer les données personnelles de clients. Elle a été largement opposée par le public ainsi que par des ONG pour les droits civiques et silencieusement retirée par les conservateurs en février dernier.

La loi C-13 autorise plutôt la divulgation volontaire d'informations personnelles de la part des fournisseurs d'accès, qui, lorsque combiné avec une immunité légale totale pour ceux qui acceptent de divulguer, a pour effet de ressusciter le pouvoir policier qui consiste à obtenir des données sans recours à un mandat de perquisition.

À cause de l'importance de l'Internet dans la vie quotidienne, l'accès aux données sur l'usage personnel de l'Internet donnerait aux services policiers un grand nombre de renseignements sur les lieux de travail, les réseaux personnels et sociaux, les finances et les opinions et activités politiques d'individus. Ceci permettrait à l'État d'avoir un portrait détaillé de mouvements des travailleurs ou dissidents.

Face aux critiques contre la nouvelle loi conservatrice, le ministre de la justice MacKay a ouvertement menti, affirmant que la police «doit encore avoir un mandat de perquisition. Il n'y a aucun accès sans mandat.»

L'affirmation de MacKay fait allusion à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (PIPEDA), une loi sur la protection de la vie privée pour le secteur privé qui permet aux entreprises de donner les données et informations privées de leurs clients volontairement à des représentants de la loi «légalement autorisés» à faire de telles requêtes. Par contre, l'«autorité» citée dans PIPEDA n'est pas définie comme un mandat de perquisition, l'autorisation d'un juge, ou un quelconque document de tribunal légalement reconnu, et ainsi cautionne la requête de données personnelles sans mandat.

Le mensonge et la dissimulation sont monnaie courante pour les conservateurs ainsi que pour l'establishment politique en entier d'ailleurs, surtout quand il s'agit de programmes de surveillance et d'espionnage de masse d'agences de renseignement du gouvernement.

Quand la révélation parue en juin dernier selon laquelle le Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CSTC) (l'équivalent canadien et le partenaire de l'Agence de sécurité nationale (NSA) des États-Unis) effectuait la collecte des métadonnées des communications électroniques de la population, MacKay, alors ministre de la Défense, a à plusieurs reprises soutenu que les activités du CSTC ne visaient pas la population canadienne et ne violait aucun droit constitutionnel.

Ces affirmations sont basées sur une définition trompeuse de ce que signifie un échange privé protégé par la constitution. Le CSTC et le gouvernement canadien, d'abord sous le gouvernement libéral et maintenant sous le gouvernement conservateur, prétendent que les métadonnées ne font pas partie des communications des citoyens (ce ne serait rien de plus qu'une «enveloppe») et que la surveillance de ces données serait donc entièrement légitime.

Le NPD et les libéraux ont soumis une motion afin de trancher la loi C-13 en deux, pour séparer les clauses sur la cyberintimidation et la surveillance électronique. Pendant ce temps, tous deux partis de la grande entreprise maintiennent leur silence total sur les activités du CSTC; son rôle dans les activités illégales de la NSA dans le monde entier et son espionnage des communications électroniques de citoyens canadiens (appels téléphoniques, messages textes, courriels, activités en ligne, etc.) Au lieu de cela, ils se consacrent depuis des mois à sermonner les conservateurs sur l'insignifiant scandale de dépenses au sénat.

(Article original paru le 10 décembre 2013)