Des dizaines de milliers manifestent à Montréal contre les coupes dans l'assurance-emploi
Par nos reporters
29 avril 2013
Des dizaines de milliers de manifestants, venus du Nouveau-Brunswick et des quatre coins du Québec et représentant un large échantillon des travailleurs, sont descendus dans les rues de Montréal samedi pour dénoncer le démantèlement du programme fédéral d'aide aux chômeurs.
Dans un contexte où moins de la moitié des chômeurs reçoivent des prestations de chômage, les nouvelles mesures du gouvernement conservateur sur l'assurance-emploi vont restreindre encore plus l'accès aux prestations, pousser les sans-emploi à accepter n'importe quel poste, et créer ainsi une main-d'oeuvre bon marché qui va exercer une forte pression à la baisse sur les salaires partout au Canada.
Si de nombreux participants à la manifestation ont exprimé leur colère face à cet assaut frontal sur le niveau de vie des travailleurs, aucune perspective de lutte n'a été offerte par les organisateurs de l'événement, la Coalition québécoise contre la réforme de l'assurance-emploi, qui est dominée par les centrales syndicales.
C'était plutôt pour la bureaucratie syndicale l'occasion de laisser les travailleurs se défouler tandis qu'elle se prépare à étouffer dans l'oeuf, comme elle l'a fait à maintes reprises par le passé, toute lutte sérieuse pour la défense des emplois et des services publics.
À la fin de la manifestation, les dirigeants des centrales syndicales ont pris le micro à tour de rôle pour lancer quelques phrases toutes faites implorant les conservateurs d'ouvrir les yeux pour voir l'impact négatif de leurs mesures. Puis ils ont laissé la place à des artistes dans l'espoir de combler le vide politique de leurs interventions par de la musique entraînante.
Un signe indéniable que les chefs syndicaux n'ont aucune intention de s'opposer à l'assaut anti-ouvrier du gouvernement Harper a été le silence complet sur les mesures similaires adoptées par le gouvernement du Parti québécois. Les macarons, les slogans et les discours ont visé le premier ministre Stephen Harper, mais pas une fois le nom de Pauline Marois n'a été cité, alors que le PQ multiplie les attaques contre la classe ouvrière depuis son élection en septembre dernier.
Dans une déclaration distribuée aux manifestants, le Parti de l'égalité socialiste (Canada) a dénoncé la «campagne des syndicats visant à forger un supposé "consensus national" contre les mesures de Harper qui dépasserait les divisions de classe».
«Cette fiction nationaliste», a expliqué la déclaration, «sert à diviser les travailleurs du Québec de leurs frères et sœurs de classe du reste du Canada, et à les subordonner politiquement aux représentants capitalistes que sont les municipalités et les partis d’opposition tels que le Bloc québécois et le NPD. Elle facilite également les efforts du gouvernement péquiste de Pauline Marois visant à utiliser les coupes fédérales dans l’assurance-emploi comme un écran de fumée pour ses propres mesures anti-ouvrières.»
La déclaration a appelé la classe ouvrière à «former des comités de lutte indépendants des syndicats et prêts à mobiliser toute la puissance sociale des travailleurs en faisant de la lutte contre la "réforme" de Harper le point de départ d'une contre-offensive unifiée des travailleurs du Québec et du Canada pour la défense des emplois, des salaires et des services publics.»
Le World Socialist Web Site a interviewé plusieurs participants à la manifestation de samedi.
François, qui travaille à Métro-Richelieu, a condamné les nouvelles mesures sur l'assurance-emploi. «Ça ne m'affecte pas trop, mais je sais que ça va avoir des impacts économiques désastreux au Québec. Il y a beaucoup de travailleurs saisonniers, qui dépendent des prestations de chômage pour être capables de survivre. Avec la nouvelle réforme, ce sera de moins en moins accessible pour les travailleurs saisonniers.»
Faisant référence aux mesures anti-démocratiques adoptées en réponse à la grève étudiante de 2012, François a ajouté : «Ce qui a incité beaucoup de monde à sortir le 22 mai 2012, c'était la loi 78. Ça brimait notre droit d'expression, nos droits qu'on a acquis il y a longtemps. On devrait toujours avoir le droit de sortir dans la rue. Ce n'est pas le cas avec le règlement P6 qui a été voté dans plusieurs villes». (Il s'agit d'un règlement municipal adopté dans la foulée de la loi 78 et qui restreint drastiquement le droit de manifester.)
Édouard, étudiant en musique au cégep St-Laurent, a tenu ces propos: «La réforme va me toucher plus tard, car je vais être travailleur autonome et je pourrais être contraint d’accepter des emplois qui ne sont pas dans mon champ d’expertise».
Reconnaissant la similarité entre les politiques des conservateurs et du PQ, Édouard a fait référence à la crise en Europe et comment il craignait que cela ne survienne ici. Il a participé aux manifestations contre le règlement P-6 et a été arrêté à deux reprises.
Une travailleuse de l’hôtellerie, qui s'est jointe à la manifestation durant sa pause, a expliqué sa situation: «En haute saison, tout le monde travaille, mais l’hiver, même moi je ne fais pas toutes mes heures. Ça fait quinze ans que je travaille dans l’hôtellerie, donc imaginez pour celles qui commencent! Pour obtenir des prestations de chômage, on me donne un statut de travailleur temporaire, car il y a un manque de travail. Le chômage vient combler ce qui manque. Mais maintenant, ce ne sera plus possible, ils vont exiger que l’on trouve un emploi à temps plein.»
Sébastien a également dénoncé les changements dans l'assurance-emploi. «C'est précariser encore plus les travailleurs qui n'ont pas nécessairement de régime de protection», a-t-il déclaré. «Ça fait une main-d'oeuvre de plus en plus bon marché.»
Faisant référence au résultat de la grève étudiante de 2012, il a dit: «Souvent avec le Parti québécois, il se trouve à canaliser ces mouvements-là. C'est toujours une déception pour les gens.» Puis il a ajouté: «Le mouvement est toujours là, mais la question est de trouver un vecteur qui soit vraiment porteur.»
Il a reconnu la forte montée des inégalités sociales et la nécessité de remettre en question l'ordre social existant. «Il y a comme une espèce d'over-class qui apparaît et qui est en train de drainer l'ensemble des ressources. C'est vrai que ça prend un autre type d'organisation.»
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