Les Etats-Unis envoient des avions de chasse en Corée alors que le risque de guerre s'accroit
Par Alex Lantier
3 avril 2013
Des avions de chasse américains F-22 sont arrivés hier en Corée du Sud, mettant l’Asie de l’Est en alerte maximale alors que Washington intensifie sa confrontation avec la Corée du Nord, apparemment au sujet du programme nucléaire du pays.
Stationnés habituellement à la base aérienne Kadena au Japon, les avions de chasse ont été déployés à la base aérienne Osan en Corée du Sud, dans le contexte des manœuvres militaires « Foal Eagle » en cours et auxquelles participent les Etats-Unis et la Corée du Sud.
Le déploiement des F-22 est survenu au bout de deux semaines d’aggravation des tensions militaires et d’une démonstration de la puissance de feu américaine contre la Corée du Nord. Le 19 mars, les Etats-Unis avaient envoyé des bombardiers B-52 à capacité d’armement nucléaire en Corée du Sud et, la semaine passée, ils ont envoyé deux bombardiers furtifs B-2 pour pratiquer le largage de bombes factices au-dessus d’un champ de tir sud coréen.
Le déploiement de bombardiers lourds américains constituait une menace ouverte qu’en cas de conflit militaire en Asie de l’Est, Washington était prêt à recourir à l’arme nucléaire. Cette menace ne vise pas seulement la Corée du Nord, mais aussi la Chine, le principal objectif des opérations américaines dans la région et qui fournit au régime nord-coréen des produits alimentaires essentiels et du carburant.
Pour la Corée du Nord, un petit pays pauvre de 25 millions d’habitants, les vols des B-2 ont été le signal que Washington était disposé à annihiler le pays. Les bombardiers B-2 transportaient 16 bombes nucléaires B83 ayant chacune un rendement explosif de 1,2 mégatonnes – 75 fois la puissance des bombes atomiques que les Etats-Unis avaient larguées en 1945 sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki. Si deux bombardiers B-2 lâchaient leur cargaison sur la Corée du Nord, ils détruiraient toutes ses villes grandes et moyennes.
Samedi 30 mars, des responsables de l’armée américaine ont dit au Wall Street Journal qu’ils s’étaient engagés à préparer une série d’autres démonstrations de force contre Pyongyang. Ils ont refusé de dire quelles seraient ces démonstrations, parlant de « préoccupations de sécurité opérationnelle. »
Le Pentagone a aussi annoncé la préparation d’un « plan d’actions communes [avec la Corée du Sud] contre les provocations » de Pyongyang. Ceci vise à garantir une réponse plus agressive à toute action menée par l’armée nord-coréenne, tout comme en 2010 lorsque l’artillerie de la Corée du Nord avait déclenché des bombardements après avoir été accusée d’avoir coulé la frégate sud coréenne Cheonan. L’actuel plan des Etats-Unis et de la Corée du Sud présente le risque d’une rapide intensification des combats si un tel affrontement se reproduisait.
Ce risque est exacerbé par la politique menée par la présidente conservatrice sud-coréenne nouvellement élue, Park Geun-hye, la fille du dictateur militaire sud-coréen Park Chung-hee. Avec l’effondrement de la popularité de son gouvernement dans les sondages, elle a proposé d’élargir le programme nucléaire de la Corée du Sud. Si des combats frontaliers venaient à avoir lieu, elle subirait d’intenses pressions pour s'engager dans une escalade de l’affrontement et prouver ainsi la fermeté de sa position anti nord-coréenne.
Un récent article intitulé « Seule une réaction féroce peut empêcher les provocations nord-coréennes » et publié dans le quotidien conservateur sud-coréen Chosun Ilbo dénonçait la « réaction confuse et inefficace » à l’affrontement de 2010. Le journal décrivait aussi le « plan contre les provocations » qui implique des combats à grande échelle, dirigés par les Etats-Unis et assistés par le Japon.
Chosun Ilbo écrit: « L’armée sud-coréenne traitera la première réaction tandis que la Septième flotte américaine, dont le porte avion USS George Washington, sera mobilisée aux côtés des chasseurs F-22 japonais, puis suivra le déploiement des Marines américains pour s'occuper des missions communes. »
Les tensions provoquées par le « pivot vers l’Asie » du gouvernement Obama, qui est censé former une coalition avec des Etats alliés aux Etats-Unis en vue de contenir la Chine, viennent maintenant d’exploser en une véritable crise de guerre.
Vendredi, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov, a mis en garde que « la situation peut échapper à tout contrôle et elle s’engagera dans la spirale d’un cercle vicieux. »
Malgré les dénonciations de la Corée du Nord par les médias occidentaux, l’impérialisme américain porte la responsabilité essentielle. Tout au long de l’année dernière, Washington a annoncé son intention d’installer un bouclier antimissile visant la Chine bien que justifié comme étant une mesure contre la Corée du Nord. Les Etats-Unis ont aussi encouragé une confrontation navale entre la Chine et Japon au sujet des îles Senkaku (Diaoyu).
Washington a utilisé la Corée du Nord comme un moyen de faire pression sur le régime de Beijing qui s’est avéré être un obstacle majeur à la politique belliqueuse des Etats-Unis contre la Syrie et l’Iran pour qu’il s’aligne plus directement sur la politique étrangère américaine, Il est aussi le plus important créancier étranger des Etats-Unis.
Hier, l’agence d’information publique chinoise Xinhua a publié une rubrique intitulée « Des esprits plus lucides doivent l’emporter dans la Péninsule coréenne. » Elle a déclaré : « La Chine en tant qu’acteur concerné dans la région a pendant longtemps lancé des appels au calme sur la Péninsule coréenne. A présent, tous deux, la DPRK [République populaire démocratique de Corée, c’est-à-dire la Corée du Nord] et les Etats-Unis doivent modérer leurs propos et travailler avec Beijing pour une reprise rapide des pourparlers à six qui sont bloqués depuis longtemps. »
Tout en faisant pression pour un retour à la table des négociations, Beijing est aussi en train de signaler à Pyongyang que la Chine pourrait cesser de les soutenir face à Washington. Au début du mois, elle avait voté au Conseil de sécurité de l’ONU pour imposer des sanctions à Pyongyang en raison de son programme nucléaire. Selon des dépêches publiées par WikiLeaks, certaines sections du régime chinois considèrent Pyongyang comme un « enfant gâté » gênant.
Au cours du week-end, Pyongyang a publié un communiqué déclarant qu’un « état de guerre » existait sur la péninsule. Le communiqué avait fait suite à un rassemblement militaire de masse vendredi à Pyongyang.
Cependant, au-delà du discours belliqueux de Pyongyang, des information relatent une étrange situation de calme en Corée du Nord. Des responsables de l’armée américaine ont dit que leur renseignement sur l’armée de la Corée du Nord ne révélait aucune activité inhabituelle. Quant à la situation à Pyongyang, des journalistes de l’agence AP ont rapporté qu’en dehors de la parade militaire, « partout ailleurs c’était comme à l’accoutumée dans les restaurants, les magasins, les fermes et les usines où, pour les travailleurs, c’était du réchauffé. »
Pour le communiqué de Pyongyang et sa déclaration concernant un « état de guerre » en Corée, il s’agit d’une vérité juridique : l’armistice qui a mis fin aux combats de la guerre coréenne de 1950-1953 n’a techniquement jamais mis fin à l’état de guerre en Corée. Pyongyang réclame de longue date un traité de paix qui a été refusé en 1953 par les Etats-Unis et notamment par son régime fantoche et de type fasciste en Corée du Sud dirigé par Syngman Rhee. Depuis lors, Washington rejette les demandes en faveur d’un traité de paix.
Les déclarations de Pyongyang suggèrent que des sections de la bureaucratie nord coréenne tentent d’obtenir un genre d’arrangement avec Washington.
Le comité central du parti dirigeant nord-coréen, le Parti des travailleurs de Corée du Nord, s’est réuni hier après avoir annoncé laconiquement vouloir régler une « question importante » en publiant un communiqué avant le début, aujourd’hui, de la séance d’une journée du parlement coréen. Tout en promettant de poursuivre son programme nucléaire, le communiqué dit que Pyongyang entreprendrait « des efforts positifs pour empêcher une prolifération nucléaire. »
Le communiqué a souligné la volonté de Pyongyang d’ouvrir l’économie de la Corée du Nord et en faire une économie d'exportation tributaire du capital étranger dans le but d’exploiter la main d’œuvre bon marché nord coréenne. Il a demandé un changement en faveur d’une « économie basée sur la connaissance » et pour l'« introduction à large échelle » d’investissements. Pyongyang a déjà mis en place plusieurs zones d’exportation, particulièrement avec la Corée du Sud à Kaesong.
Les tentatives de Pyongyang de régler ses différends avec Washington et de s’intégrer dans l’économie capitaliste mondiale se sont toutefois heurtées à plusieurs reprises à l’opposition américaine. Il n’est pas clair quelles assurances Washington pourrait accorder aux dirigeants de Pyongyang pour leur propre sécurité après l’ouverture de leur économie au capital étranger américain – notamment dans le contexte d’une rapide escalade des tensions entre les Etats-Unis et le principal allié régional de Pyongyang, la Chine.
En 2001, la Corée du Nord avait été désignée par le gouvernement Bush comme un membre de l’« axe du mal » et elle reste la cible d'une campagne de dénigrement constante dans la presse occidentale.
(Article original paru le 1er avril 2013)