Cinq ans après le krach financier: l’économie mondiale continue de se contracter
Par Nick Beams
22 août 2013
Tout de suite après l’éclatement de la crise financière mondiale en septembre 2008, il avait été avancé que les fameux «marchés émergents», y compris la Chine, l’Inde et le Brésil, seraient en mesure de se découpler des grandes économies capitalistes et de créer une nouvelle base de croissance pour l’économie mondiale dans son ensemble.
Mais cela s’est avéré un mythe économique. Ces «marchés émergents» sont incapables de participer à la croissance et deviennent rapidement une nouvelle source d’instabilité mondiale.
La semaine dernière, le Wall Street Journal a cité un rapport de Bridgewater, le plus gros fonds spéculatif au monde, qui notait que les principales économies, dont les États-Unis, l’Europe et le Japon, participaient maintenant davantage à la croissance économique mondiale que les pays émergents.
Cette conclusion ne représente toutefois pas un regain dans les pays avancés. Elle marque plutôt un ralentissement de l’économie mondiale dans son ensemble. Les taux de croissance de toutes les principales économies demeurent bien en deçà de ce qui avait été atteint en 2007-2008 et il semble bien que l’on ne reverra plus ces taux de croissance.
Un sondage effectué auprès d’économistes et publié par la Federal Reserve Bank of Philadelphia a révélé que ces derniers prévoyaient un taux de croissance de 1,5 pour cent en 2013 pour les États-Unis, soit un taux bien inférieur à celui de 2,0 pour cent établi en mai. Selon un rapport d’un des principaux économistes de JPMorgan, la croissance ne va pas s’améliorer à long terme. En effet, le taux de croissance potentiel de l’économie américaine, qui se situait à 3,5 pour cent, a été réduit de moitié.
Ailleurs, la situation est encore pire. L’Europe continue de stagner: les économies de la zone euro n’ont crû que de 0,3 pour cent durant le trimestre de juin, ce qui correspond à un taux annualisé de 1,1 pour cent. Ce retour à une croissance positive, après six trimestres consécutifs de contraction, ne signifie en rien que l’Europe a «passé le cap». L’économie de toute la zone euro demeure à 3 pour cent sous la barre de ce qu’elle était en 2008. La plupart des analystes croient qu’un taux de croissance annuel d’au moins 2 à 3 pour cent durant les trois prochaines années serait nécessaire pour réduire le chômage, mais rien ne laisse présager un tel scénario.
Le Wall Street Journal a commenté qu’il était «difficile de voir comment l’Europe pourrait se sortir de cette situation». Ajoutant qu’«Il y a plusieurs obstacles à une reprise: le maintien de l’austérité, l’absence de prêts bancaires accessibles, la montée du chômage, les faibles revenus des ménages et les faibles investissements d’entreprises dont les opérations sont au ralenti.»
Le programme de la Banque du Japon consistant à doubler sa masse monétaire semble avoir fouetté l’économie japonaise, dont la croissance au troisième trimestre a atteint un taux annualisé de 2,6 pour cent. Mais ces résultats demeurent toutefois bien en deçà des prévisions de croissance de 3,6 pour cent.
Le principal facteur dans la réduction de la contribution des «marchés émergents» à la croissance mondiale est le ralentissement économique en Chine. Le taux de croissance officiel prévu pour cette année est de 7,5 pour cent, soit le plus bas depuis 1990. Mais certains affirment qu’il pourrait être encore plus bas.
La baisse du taux de croissance chinois a des conséquences importantes sur les économies d’Asie du Sud-Est et sur les exportateurs de matières premières comme le Brésil et l’Australie.
Deux ans plus tôt, l’économie du Brésil, qui exporte du soya et du minerai de fer vers la Chine, croissait à un taux de 7,6 pour cent. Le taux anticipé pour cette année n’est que de 2,3 pour cent.
L’Australie, un important exportateur de minerai de fer, est lourdement touchée par la contraction des investissements en Chine. Le ministère des Finances prévoit une forte baisse dans les termes de l’échange en Australie (le ratio des prix d’exportation sur les prix d’importation). Le gouvernement travailliste de Rudd a déclaré que le «boom chinois», qui a motivé d’importants investissements dans des projets d’exploitation de minerai de fer, était terminé.
Et la baisse de croissance n’est pas le seul problème. Il y a de plus en plus d’inquiétudes concernant le fait que la dette de la Chine (le résultat des plans de relance mis en place après la crise financière mondiale de 2008-2009) puisse provoquer une crise financière.
Le Financial Times a rapporté la semaine dernière que, selon l’analyste Charlene Chu de Fitch Ratings, une étude des supposées activités bancaires parallèles de la Chine a révélé que la dette totale du pays pourrait s’élever à 200 pour cent du produit intérieur brut. Chu a soutenu que l’ensemble du secteur bancaire était plus exposé aux prêts effectués dans ce réseau bancaire parallèle que la plupart des gens pouvaient croire. Elle évalue que les actifs du système bancaire chinois ont crû de 14 billions de dollars de 2008 à 2013, soit l’équivalent de tout le système bancaire américain.
Des statistiques officielles montrent que les prêts à risque détenus par les banques chinoises ont grimpé de 2 milliards de dollars au deuxième trimestre, soit une septième hausse trimestrielle consécutive.
Les problèmes financiers croissants de l’Inde (une autre économie qui était perçue comme un centre potentiel de croissance économique mondiale) pourraient bien être le signe de ce qui se développe ailleurs. Certains craignent que son ralentissement économique (on prévoit une croissance de 5 pour cent cette année, soit la moitié du taux de croissance d'il y a trois ans) vienne alourdir la dette de certaines des plus importantes sociétés industrielles du pays.
Le système financier indien subit une importante fuite de capitaux, ce qui a provoqué la semaine dernière la réimposition d’un programme de restriction des exportations de capitaux pour freiner la baisse de valeur de la roupie.
L’économie indienne est frappée par ce que le Financial Times qualifie de «mélange toxique de dévaluation de la roupie, de contraction marquée de l’économie, d’augmentation de la balance de paiements et des déficits budgétaires, et d’une forte inflation».
L’Inde n’est pas la seule économie émergente à rencontrer des problèmes financiers de plus en plus importants. Le fait qu’il soit prévu que la Réserve fédérale américaine réduise bientôt son achat d’obligations du Trésor américain (la pièce maîtresse de son programme d’«assouplissement quantitatif»), peut-être même le mois prochain, a provoqué une fuite de capitaux dans d’autres régions. À part l’Inde, l’Indonésie, que l’on a aussi qualifiée de centre de croissance, est confrontée à de graves problèmes financiers.
Craignant que la réduction de l’«assouplissement quantitatif» par la Fed, qui va entraîner une hausse des taux d’intérêt aux États-Unis, entraîne un mouvement de capitaux vers les actifs financiers américains, les marchés à travers l’Asie ont chuté la semaine dernière. La fuite de capitaux pourrait bien se transformer en déluge lors de la mise en œuvre de ces mesures par la Fed.
En 1997-1998, l’effondrement du baht thaïlandais avait provoqué l’éclatement de la bulle financière à travers l’Asie. Les conséquences économiques régionales de cet événement étaient l’équivalent de l’impact de la Grande Dépression sur les principales économies capitalistes.
Considérant à quel point l’économie mondiale est devenue de plus en plus dépendante des «marchés émergents» et combien les marchés financiers ont été intégrés les uns aux autres dans les dernières années, les conséquences d’une autre crise financière seront encore plus graves.
(Article original paru le 19 août 2013)