La résurgence du militarisme japonais
Par Peter Symonds
7 août 2013
Le gouvernement de droite du premier ministre Shinzo Abe a franchi une étape de plus vers le réarmement et la relance du militarisme japonais avec la publication la semaine dernière d’un rapport du ministère de la Défense qui suggère pour la première fois que le Japon acquiert une puissance de frappe offensive.
Depuis son élection en décembre dernier, Abe a rapidement mis en œuvre sa plateforme visant à bâtir «un Japon fort» avec une «armée forte». Son gouvernement du Parti libéral-démocrate (PLD) a augmenté ses dépenses de la défense pour la première fois en une décennie et a continué d’alimenter les tensions avec la Chine par rapport aux îles Senkaku/Diaoyu dans la mer de Chine orientale. Un Livre blanc de la défense publié le mois dernier a pour la première fois indiqué que la Chine, plutôt que la Corée du Nord, était maintenant la principale «menace».
La montée du militarisme japonais a été délibérément encouragée par l’administration Obama dans le cadre de son «pivot vers l’Asie» qui vise à encercler militairement la Chine. Washington a demandé à maintes reprises à Tokyo de jouer un plus grand «rôle stratégique» et de soutenir le gouvernement du Parti démocratique du Japon précédent dans son bras de fer contre la Chine par rapport aux îles contestées l’an dernier. Abe exploite maintenant le «pivot» afin d’accroître l’armée japonaise et mettre un terme aux contraintes imposées par la soi-disant clause «pacifiste» de la Constitution d’après-Deuxième Guerre mondiale du pays.
Bien que le rapport de la semaine dernière soit toujours justifié par un besoin d’«auto-défense», il a appelé au développement de «moyens exhaustifs» pour contrer les attaques de missiles balistiques qui incluraient nécessairement une force aérienne et des missiles capables de frapper des bases de missiles ennemies. Le ministre de la Défense Itsunori Onodera a suggéré que l’armée japonaise puisse mener des attaques préventives si le Japon était menacé. Pour augmenter la «défense de l’île», le rapport propose aussi de créer un type de marine de guerre capable d’effectuer des débarquements amphibies.
Au nom de la «défense», le gouvernement PLD se prépare à créer une force d’attaque militaire afin de poursuivre agressivement les intérêts stratégiques de l’impérialisme japonais, soit de connivence avec l’impérialisme américain ou seul. Abe, qui est connu pour ses opinions nationalistes de droite, n’a pas caché sa détermination à modifier la Constitution afin d’y inclure l’expression des «valeurs traditionnelles» du Japon – un synonyme pour le régime militaire du temps de guerre des années 1930 et 1940, ses symboles et son histoire de brutalité et d’agression.
Profondément frustré par la forte opposition publique au changement constitutionnel et à la relance du militarisme japonais, le vice-premier ministre et ministre des Finances Taro Aso a déclaré au Japan Institute for National Fundamentals d’extrême droite, lundi dernier, que le gouvernement devrait apprendre du régime nazi allemand. «Nous devons procéder silencieusement. Un jour, les gens ont réalisé que la Constitution de Weimar avait changé pour la Constitution nazie. Personne n’avait remarqué. Pourquoi n’apprenons-nous pas de cette stratégie?»
Bien qu’il ait par la suite rétracté ses propos, Aso pensait sans aucun doute ce qu’il a dit. Le PLD représente les sections dominantes de la classe dirigeante japonaise, lesquelles ont toujours considéré la Constitution d’après-guerre et la démocratie parlementaire comme un obstacle à leurs intérêts. Au milieu de la plus grande crise économique depuis la Grande Dépression, le gouvernement, comme ses homologues internationalement, est en train de transférer agressivement le fardeau sur ses rivaux à l’étranger, y compris par des moyens militaires, et sur la classe ouvrière au pays.
Les commentaires d’Aso représentent un sévère avertissement sur les méthodes antidémocratiques que le gouvernement Abe va utiliser pour faire adopter son changement constitutionnel. Le PLD a publié un projet de constitution en avril qui non seulement neutralise la «clause pacifiste» actuelle, mais mine les droits démocratiques fondamentaux en supprimant des références aux «droits» constitutionnels et en imposant des «devoirs» envers l’État, créant les conditions pour la loi martiale et pour reporter l’empereur à sa position de chef d’État d’avant-guerre.
Le brusque virage à droite du gouvernement Abe est une tentative désespérée de rétablir la position du Japon comme première puissance impérialiste en Asie après deux décennies de stagnation économique et la montée de la Chine qui a dépassé le Japon comme deuxième plus importante économie au monde. Le tournant vers le militarisme est parallèle au programme économique d’Abe, ou «Abenomics», basé sur la dévaluation du yen afin de miner ses rivaux commerciaux, particulièrement la Chine et la Corée du Sud, puis sur l’imposition de mesures d’austérité brutales à la classe ouvrière
Les politiques du gouvernement Abe font écho à la réponse de la bourgeoisie japonaise au krach de Wall Street de 1929 et au début de la Grande Dépression des années 1930. Alors que les exportations japonaises s’effondraient et que la croissance économique chutait brusquement, l’armée, soutenue par l’empereur, cherchait à surmonter la crise par le réarmement, envahissant la Mandchourie en 1931 et l’ensemble de la Chine en 1937 – des actions qui se sont heurtées aux intérêts de l’impérialisme américain et qui ont mené à la guerre en 1941.
La montée du militarisme fut accompagnée d’une répression brutale de toute opposition dans la classe ouvrière. L’assassinat du premier ministre Inukai Tsuyoshi en mai 1932 par des extrémistes de droite – des officiers subalternes de la marine et des cadets de l’armée – marqua la fin d’une démocratie parlementaire déjà rachitique et l’émergence d’un régime dominé par l’armée qui abolit les droits démocratiques qui restaient et subordonna finalement tous les partis et organisations à l’État.
La restabilisation du capitalisme japonais suite à la Deuxième Guerre mondiale sous l’occupation américaine dépendait de l’écrasement de la résurgence de la classe ouvrière, à travers les trahisons du Parti communiste japonais (PCJ) par-dessous tout. La constitution d’après-guerre établie pat les occupants américains était conçue pour apaiser la forte hostilité populaire au régime militaire du temps de guerre et d’assurer que le Japon ne retourne pas en guerre contre les États-Unis. Mais le PLD, qui a dirigé le Japon presque sans interruption entre 1955 et 2009, n’a jamais rompu avec le passé militaire et nourrit depuis longtemps des ambitions pour rétablir les «traditions» du temps de guerre.
La profonde hostilité de la classe ouvrière japonaise à la guerre, au militarisme et aux méthodes autoritaires ne trouve aucune expression au sein de l’establishment politique, y compris dans le Parti communiste japonais stalinien, lequel est embourbé dans le nationalisme. Comme dans les années 1930, les gouvernements au Japon et à travers le monde cherchent à s’extirper de la crise économique mondiale par des politiques qui aboutiront à la guerre, à l’austérité et à la dictature. La nécessité urgente pour les travailleurs et jeunes japonais est de bâtir un véritable parti révolutionnaire comme section du Comité international de la Quatrième Internationale, dans le cadre de la lutte de la classe ouvrière internationale pour abolir le système capitaliste en faillite.
(Article original paru le 3 août 2013)