Le Parti québécois recule sur l’imposition des riches
Par Laurent Lafrance et Guy Charron
10 octobre 2012
Subissant une intense pression de la part de la grande entreprise, des élites et des médias, le gouvernement du Parti québécois (PQ) nouvellement élu recule sur la question de la hausse des impôts pour les mieux nantis et abandonne la rétroactivité pour l’année 2012 ainsi que la hausse d'impôt sur les gains de capital et les revenus de dividende. Au même moment, le PQ affirme que le trou budgétaire est pire que prévu et rassure les élites qu’il n’y aura pas de déficit.
Lors de la campagne pour les élections du 4 septembre, le PQ s'était engagé à remplacer la taxe santé par l’ajout de nouveaux paliers d’imposition pour les mieux nantis. La taxe santé de 200 dollars par personne sans égard au revenu était impopulaire et, avec raison, largement considérée comme injuste.
En conséquence de décennies de réductions d’impôts pour les plus riches, tant par le PQ que par l’autre parti du gouvernement, le Parti libéral (PLQ), il n’y a plus que trois niveaux d’imposition au Québec. Le plus élevé est un taux de 24 pour cent sur les revenus imposables dépassant 80.200 dollars.
Le PQ avait annoncé lors de la campagne que les revenus imposables de plus de 130.000 dollars seraient taxés à 28 pour cent et ceux dépassant 250.000 dollars à 31 pour cent. On estime qu’environ 150.000 personnes seront touchées par les nouveaux impôts en 2012. (La moitié de la population au Québec a des revenus de moins de 25.000 dollars par année.) Le PQ prévoit aussi plus imposer les gains en capital (50 pour cent sont exempts de tout impôt actuellement) et les revenus de dividendes.
Ces mesures modestes ont suscité des réactions épidermiques des représentants du milieu des affaires et des chroniqueurs de la presse. Ils ont utilisé le fait que les changements proposés par le PQ étaient rétroactifs à janvier 2012 comme prétexte de leur colère, alors qu’en réalité, ce sont les hausses elles-mêmes qui les enragent.
Certains de « nos membres » ont vu dans les annonces du gouvernement et dans « le ton belliqueux de certains ministres », quelque chose qui s’apparentait à « un acte d’hostilité » a déclaré Françoise Bertrand, de la Fédération des chambres de commerce du Québec, un organisme représentant 150.000 entrepreneurs et 60.000 entreprises.
« Ce n’est pas seulement qu’on veuille pénaliser le succès qui dérange », a continué Bertrand. « Il faut comprendre aussi qu’il y a beaucoup d’entrepreneurs qui se payent seulement en dividendes, c’est-à-dire seulement quand leur compagnie fait des profits. » Il s’agit du « gouvernement le plus socialisant que le Québec ait connu », a-t-elle ajouté.
Ce qui enrage tant les élites québécoises, c’est que l’on ralentisse même un peu leur capacité à s’enrichir personnellement. Depuis plus de trente ans, ils ont toujours été bichonnés, peu importe le parti formant le gouvernement. Les programmes sociaux subissaient des compressions budgétaires alors que les économies réalisées étaient transférées aux plus riches en réductions d’impôts personnels ou sur les sociétés.
Les changements de la fiscalité sur les dividendes et les gains en capitaux touchent une corde sensible. Le paiement en dividendes est une des principales formes d’échappatoire fiscale dont bénéficient les dirigeants d’entreprise, en plus des exemptions sur les gains en capital. Ces procédés fiscaux ne sont pas disponibles à l’ensemble des salariés qui, eux, ne peuvent échapper à la rigueur du fisc.
La réaction des élites est sans commune mesure avec la véritable augmentation des impôts. Parce que les nouveaux paliers de taxation ne s’appliquent qu’aux revenus imposables plus importants que 130.000 dollars, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) a calculé que les personnes avec un revenu de 190.000 dollars paieraient en fait 1,26 pour cent (soit 2394 dollars) de plus et ceux ayant un revenu de 300.000 dollars ne paieraient en fait que 2,77 pour cent (soit 8310 dollars) de plus.
De plus, l’IRIS a montré qu’entre 2000 et 2009, le taux d’imposition effectif pour les personnes ayant un revenu de 100.000 dollars était passé de 16,9 pour cent à 14,7 pour cent. On ne parle pas même pas de rattrapage pour la plupart des biens nantis par rapport aux impôts payés en 2000.
Malgré ces faits, le gouvernement de Pauline Marois était prêt à abandonner ces hausses avant même de les imposer. « On a dit aux Québécois qu'on allait abolir la taxe santé. Je pense que ça, c'est clair pour tout le monde. Partant de là, je suis ouvert à la coopération et à la collaboration, et on est souple sur les moyens », disait le ministre des Finances Nicolas Marceau il y a deux semaines.
Et suite à une rencontre avec Michel Leblanc, le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Marceau a capitulé et annoncé que le gouvernement abandonnait la rétroactivité pour l’année 2012 ainsi que la hausse d'impôt sur les gains de capital et les revenus de dividende.
L’abolition de la taxe santé fait partie d’une série de mesures que le PQ s’est engagé à mettre en œuvre une fois au pouvoir lors de la campagne électorale. Le Parti québécois a aussi annulé la hausse de 82 pour cent des frais de scolarité du gouvernement libéral, qui a engendré une des plus importantes grèves étudiantes de l’histoire de la province cette année, et abrogé certaines dispositions de la loi 12 (ancien projet de loi 78), qui avait entraîné un important mouvement d’opposition populaire lors de son adoption en mai dernier.
Ces mesures, loin de représenter la réelle plate-forme du PQ, servent en fait à assurer que le feu qui a alimenté la grogne populaire au cours des derniers mois est bel et bien éteint. Pris entre un faible soutien populaire et une volonté de se tourner encore plus à droite pour satisfaire l’élite capitaliste, le PQ n’a eu d’autres choix que de promettre la mise en œuvre de ces maigres mesures pour pouvoir aller de l’avant avec son programme de droite.
Cherchant à redorer son blason, le PQ avait profité de la haine populaire envers les libéraux pour faire certaines promesses limitées lors de la campagne électorale. Parallèlement, le PQ a faussement et hypocritement « appuyé » les étudiants lors de la grève, tout en appelant au respect de la loi 78 qui criminalisait la grève et restreint considérablement le droit de manifester.
En effet, le PQ, le parti d’alternance de l’élite dirigeante depuis quatre décennies, jouissait, et jouit encore d’un faible support populaire en raison des coupes massives qu’il a effectuées lorsqu’il était au pouvoir. De 1994 à 2003, les gouvernements péquistes de Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Bernard Landry ont imposé les plus importantes coupes sociales de l’histoire du Québec. C’est entre autres ce qui a généré la crise qui dure toujours au sein du PQ et de tout le mouvement indépendantiste. Malgré sa victoire électorale, le PQ forme un gouvernement minoritaire et n’a recueilli que 31,9 pour cent des votes, soit 3 points de moins que lors de l’élection de 2008.
Les associations étudiantes et les syndicats ont joué un rôle clé dans l’élection du Parti québécois. Les syndicats, qui ont tout fait pour isoler les étudiants du reste des travailleurs, ont immédiatement accueilli l’annonce des élections et, tout comme les associations étudiantes, ont appelé la population à défaire les libéraux, laissant sous-entendre que le PQ était plus sympathique aux aspirations des travailleurs et des jeunes.
Parallèlement, Québec solidaire, un parti qui sert de couverture de gauche au PQ et à son programme pour l’indépendance du Québec s’était engagé à appuyer un éventuel gouvernement péquiste minoritaire s’il allait dans le sens du « progrès social, de l’écologie et de la souveraineté ».
La réalité est que le Parti québécois est un parti de la grande entreprise. Il l’a démontré lorsqu’il était au pouvoir au cours des dernières décennies, et continuera à le prouver maintenant qu’il l'a repris.
Pauline Marois a été claire : « le déficit zéro n’est pas négociable » et l’équilibre budgétaire sera atteint d’ici 2014. Pour ce faire, le PQ coupera massivement dans les acquis de la classe ouvrière, à l’instar du Parti libéral, du gouvernement Harper au fédéral et des précédents gouvernements péquistes.