Les raisons pour lesquelles les politiciens occidentaux soutiennent le groupe Pussy Riot
Par Clara Weiss
28 août 2012
Les trois chanteuses du groupe russe de punk rock Pussy Riot qui ont été condamnées vendredi 17 août à deux ans de colonie pénitentiaire pour « hooliganisme et incitation à la haine religieuse » ont reçu un important soutien de la part des politiciens et des médias occidentaux.
L’étudiante en philosophie, Nadejda Tolokonnikova, 22 ans, la militante de Green Peace, Maria Alekhina, 24 ans, et l’analyste en informatique Ekaterina Samusevich, 30 ans, en plus d’autres membres de Pussy Riot, un groupe féministe de musique punk, avaient chanté le 21 février dans l’église du Christ Sauveur à Moscou une courte « prière punk » critiquant le président Vladimir Poutine.
La sentence qui leur a été infligée, des mois de détention et finalement une peine draconienne, fait partie de l’intensification de l’offensive du régime Poutine à l’encontre de l’opposition libérale qui se manifeste dans le pays. L’affaire a clairement fait apparaître le caractère autoritaire de l’Etat russe. Les poursuites engagées contre le groupe sont une attaque contre les droits démocratiques fondamentaux, et doit être rejetée.
Le soutien accordé aux trois femmes par des politiciens occidentaux influents, sert toutefois un objectif différent. Leurs déclarations de soutien sont des plus cyniques. Tout prête à croire qu’un traitement identique serait réservé aux artistes qui utiliseraient des moyens comparables pour protester contre des gouvernements occidentaux, dont aucun n’est en droit de s’exprimer en tant que défenseur intègre des droits démocratiques. Ils sont tous parfaitement disposés à fouler aux pieds les principes démocratiques dès que cela sert leurs objectifs politiques réactionnaires.
Après le verdict prononcé contre Pussy Riot, le président américain Barack Obama s’est déclaré déçu des « peines disproportionnées ». Ce sont les paroles du président d’un pays qui maintient des centres de torture aux quatre coins du monde et s’arroge le droit de tuer toute personne qu’il identifie comme un « terroriste », dont ses propres citoyens, sans procès ! Un plus grand nombre de personnes sont emprisonnées aux Etats-Unis que dans n’importe quel autre pays du monde.
La ministre française de la Culture et de la Communication, Aurélie Filipetti, a exprimé sa préoccupation quant au principe de « la liberté de création des artistes » qui est « fondamental pour le bon fonctionnement d’une démocratie. » Ceci émane de la ministre d’un gouvernement qui projette de mettre en place des ghettos pour les Roms – une mesure difficilement compatible avec « le bon fonctionnement d’une démocratie. »
Le 17 août à Marseille, la police française est allée jusqu’à disperser une manifestation pacifique contre la sentence infligée à Pussy Riot parce que les manifestants portaient des masques colorés ressemblant à ceux des membres du groupe de musique punk.
La police a justifié son action en citant la loi française anti-burqa, dont une disposition interdit non seulement la burqa mais aussi le port de vêtement qui cacherait le visage de façon à dissimuler l’identité de quelqu’un. L’interpellation des manifestants pro-Pussy Riot a montré de façon évidente toutefois que cette loi n’est pas seulement une attaque contre les droits démocratiques des gens qui veulent porter une burqa. Elle est aussi un instrument juridique pour réprimer des manifestants et pour restreindre la liberté politique.
Le ministre britannique des Affaires étrangères a aussi exprimé sa « profonde préoccupation » face au verdict contre Pussy Riot. Il a oublié de mentionner qu’après les troubles sociaux d’il y a un an, l’Etat britannique avait envoyé 1.300 personnes en prison pour des infractions beaucoup moins graves. Le vol d’une bouteille d’eau ou un commentaire affiché sur internet en soutien aux protestations des rues avait suffi à envoyer des gens derrière les barreaux. Les sentences avaient été formulées lors de comparutions immédiates, en violation du principe d’un procès en bonne et due forme et étaient visiblement fondées sur des motivations politiques.
En Allemagne, le soutien au groupe Pussy Riot émanant des cercles officiels a été tout particulièrement marqué. Au début de juillet, 120 membres du parlement allemand (Bundestag) ont rédigé ensemble une lettre à l’ambassadeur russe à Berlin pour dénoncer le procès. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, a à maintes reprises critiqué le procès et le verdict.
Même la chancelière, Angela Merkel, s’est élevée contre « le jugement dur et disproportionné, » qui « n’est pas en harmonie avec les valeurs européennes d’Etat de droit et de démocratie. » Ceci, émanant d’un chef de gouvernement qui ne fait preuve d’aucun respect pour « l’Etat de droit et de démocratie » lorsqu’il s’agit d’appliquer des mesures d’austérité pour contrecarrer la résistance des travailleurs grecs et espagnols.
En réalité, derrière la campagne contre le régime Poutine menée au nom de la démocratie les dirigeants occidentaux expriment leur mécontentement contre la politique intérieure et extérieure de la Russie tout en cherchant à faire pression sur le régime.
D’abord, les politiciens et les hommes d’affaires occidentaux veulent une ouverture plus grande du marché russe au bénéfice des investisseurs étrangers ainsi que des attaques plus prononcées contre la classe ouvrière. C’est la raison pour laquelle ils soutiennent largement le programme d'économie libérale de l’opposition libérale en Russie qui avait dominé le mouvement de protestation de l’année dernière dirigé contre Poutine et au sein duquel Pussy Riot avait aussi été actif.
Ensuite, il existe des divergences grandissantes entre les intérêts de politique étrangère de l’Occident et du régime Poutine. Moscou rejette l’intervention occidentale en Syrie et en Iran. Aux côtés de la Chine, elle a bloqué deux résolutions de l’ONU qui cherchaient à ouvrir la voie à une intervention militaire des puissances occidentales en Syrie. Depuis des décennies, le Kremlin est étroitement lié au régime syrien que Washington vise actuellement à renverser, en même temps que l’Iran.
Les impérialismes français, britannique et allemand se sont rangés derrière les Etats-Unis dans le conflit syrien. Leur soutien militaire et financier pour les soi-disant « rebelles » – un mélange d’activistes islamiques, d’anciens responsables du gouvernement syrien et d’agents des services de renseignement occidentaux – a déclenché une guerre civile qui a déjà coûté la vie à des dizaines de milliers de gens et qui menace de plonger la région dans le chaos.
Suite à son renoncement à participer à la guerre en Libye, l’impérialisme allemand n’est plus disposé à rester sur la touche lorsqu’il est question d’une guerre au Moyen-Orient. Ballotté entre son orientation politique traditionnelle vers les Etats-Unis et sa dépendance des importations pétrolières russes, le gouvernement allemand s’est visiblement rangé du côté des Etats-Unis dans le conflit syrien. Il joue un rôle clé dans l’équipement et la formation des forces anti-Assad et maintient son propre centre pour le développement d'une politique d'économie libérale en Syrie après la chute d’Assad.
Cette orientation de la politique étrangère est la principale raison pour laquelle les politiciens et les médias allemands soutiennent la campagne Pussy Riot. Fin juillet, le journal allemand Süddeutsche Zeitung avait fait remarquer que toutes les tentatives du gouvernement allemand pour servir d’intermédiaire entre la Russie et l’Occident avaient échoué et que le « partenariat stratégique » entre Moscou et Berlin se trouve à présent enfoui « sous les décombres de la crise syrienne. »
A peine quelques semaines plus tard, le chargé au Bundestag des relations germano-russes, Andreas Schockenhoff, a annoncé qu’en raison de l’affaire Pussy Riot, Berlin n’était plus lié à Moscou par le « partenariat stratégique » de longue date mais « aspirait seulement à un partenariat. »
Schockenhoff a aussi menacé de dissoudre le « Dialogue de Saint-Petersbourg », un forum établi en 2001 par Poutine et l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder, axé sur la coopération germano-russe relative aux questions économiques et politiques.
(Article original paru le 25 août 2012)