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L’élite dirigeante indienne redoute les conséquences des affrontements intervenus à l'usine Maruti Suzuki

Par Arun Kumar
20 août 2012

Une partie de l'élite indienne a vigoureusement exprimé sa préoccupation à propos de l'altercation sanglante intervenue le 18 juillet entre les travailleurs et le personnel de gestion de l'usine Maruti Suzuki Inde (MSI), spécialisée dans le montage automobile, à Manesar, à 40 kilomètres au sud de New Delhi.

Depuis le 21 juillet, le plus grand fabricant automobile de l'Inde a mis à pied tout le personnel de son usine de Manesar, soit 3 000 personnes. Plus d'une centaine de travailleurs ont été arrêtés, y compris tous les dirigeants du Maruti Suzuki Workers Union (MSTU transport), le syndicat des travailleurs indépendants créé l'an dernier en opposition au syndicat maison, à la botte de l’employeur.

La compagnie a allégué que les dirigeants syndicaux avaient organisé l'altercation du 18 juillet, alors que celle-ci a été une provocation délibérée de la direction. L'incident avait suivi la suspension d'un travailleur par les dirigeants de la société, après qu'il ait protesté contre les propos tenus par un responsable et dénigrant sa caste; les travailleurs ont protesté et exigé que le responsable soit sanctionné à la place. Alors que les dirigeants du MSTU discutaient du différend avec les représentants de la direction, des centaines d'hommes de main armés organisés par l'entreprise ont brutalement attaqués les travailleurs.

Un affrontement majeur s'en est ensuivi, au cours duquel les locaux de l'usine ont été incendiés, causant des dommages à une partie de l'usine et laissant un cadre supérieur mortellement brûlé. Quelques 100 personnes, y compris des travailleurs et du personnel de direction, ont été blessés dans l'incendie et les affrontements (lire, en anglais, Inde : Marutu Suzuki lance une chasse aux sorcières contre les travailleurs).

Utilisant l'incident comme prétexte, l'élite politique de l'Inde s’est maintenant ralliée à la chasse aux sorcières contre les travailleurs de MSI, lancée par la société, le gouvernement de l’État de l'Haryana dirigé par le Congrès, où se trouve Manesar, et sa police. Dans le même temps, ils ont exprimé leur inquiétude quant à l'impact du conflit sur l'image de l’Haryana en particulier et de l'Inde en général, en tant que plate-forme de travail bon marché pour le capital mondial.

La peur des milieux politiques dirigeants est que l'incident à l'usine de MSI Manesar risque d'affaiblir l'image favorable aux investisseurs de l'Inde et qu’elle n’accentue encore la baisse des taux de croissance économique déjà en cours. C’est pourquoi ils réclament des mesures sévères pour réprimer toute opposition des travailleurs à leurs conditions de travail de misère.

R.V. Kanoria, président de la Fédération des chambres de commerce et d'industrie de l'Inde (FICCI), un lobby majeur de grandes entreprises, a fait remarquer que l'incident du 18 juillet à Manesar avait envoyé des ondes de choc à travers tous les conseils d'administration, tant au pays qu'à l'étranger. Kanoria a insisté pour dire: « Le message de l'Inde doit retentir haut et clair que la vie et la propriété de ses citoyens [sont] en sécurité et que tout manquement à l'ordre public et aux relations industrielles sera traité avec la plus grande fermeté. »

Parlant à Bangalore, le président de Wipro, Azim Premji, a perçu l'incident comme « représentatif de l'agitation sociale dans cette zone en raison de problèmes divers » et l’a caractérisé comme étant « pour le moins excessif, pour le moins cruel et très regrettable » [Wipro est une société indienne, une des principales entreprises de services informatiques dans le monde et son président Azim Premji est l’un des hommes les plus riches de l’Inde, ndt].

Premji n’a pas donné de précisions sur ces « problèmes divers » conduisant à de « l'agitation sociale », qui sont en fait les conditions de travail dictatoriales pratiquées par MSI et d'autres entreprises dans la zone industrielle de Gurgaon-Manesar. Il demande plutôt que « le gouvernement agisse sans pitié » afin de soumettre les travailleurs à ces conditions de travail, et met en garde que des conflits tels que celui de l'usine de Manesar pourraient se répéter.

L'élite indienne craint par-dessus tout que la résistance de la main d’œuvre de Maruti Suzuki et son potentiel d’inspiration pour des sections plus importantes de travailleurs, ne contribue à saper les efforts désespérés de l'élite indienne pour imposer brutalement son système de main-d'œuvre bon marché dans des conditions d'aggravation de la récession mondiale.

Les principaux organes de presse ont répété les affirmations de MSI selon lesquelles les travailleurs étaient à l'origine de l'altercation pour justifier sa chasse aux sorcières et ont insisté sur la nécessité d'intensifier les mesures de répression contre les travailleurs.

Déclarant qu'il existait des « preuves », avant même la publication d'un rapport d'enquête officiel, « que la violence était préméditée », un éditorial du Times of India a demandé que « Toute la rigueur de la loi soit appliquée à ses auteurs. » L'éditorial poursuit en disant : « Néanmoins, le mauvais climat social dans l’industrie pourrait porter tort à Haryana et même au statut de l'Inde comme destination pour l’investissement.... Les entreprises ont la possibilité de partir vers des États plus accueillants pour l'industrie, voir de quitter complètement le pays. »

Le journal se plaint: « Des lois du travail rigides créent un système à deux vitesses, avec une aristocratie de travail privilégiée d'une part et une grande masse de travailleurs non syndiqués, ayant peu de droits, de l'autre. Cela alimente l'inégalité et un état de guerre industrielle, comme l'utilisation croissante du travail sous contrat qui crée une dichotomie sur le lieu de travail. Cela est évident aussi dans le cas de Maruti. » Cela fait référence à l'utilisation de travailleurs intérimaires à l'usine de Manesar, qui représentent 40 % de l'effectif complet et sont payés la moitié du salaire des travailleurs permanents.

Le Times insiste sur ce que : « Le gouvernement doit réviser les lois du travail avec des dispositions qui permettent à l'industrie d'adapter librement l’emploi selon ses besoins, tandis que les travailleurs seront dûment indemnisés pour ces ajustements. » Cette proposition de changer le « système à deux vitesses » ne vise pas à accorder des conditions de vie décentes à la grande majorité des travailleurs non syndiqués, mais à laisser les mains libres aux investisseurs pour soumettre la totalité de la main d’œuvre aux conditions, même les plus pénibles, qui seront jugées nécessaires pour assurer leurs profits.

C'est exactement ce que le premier ministre Manmohan Singh a demandé à plusieurs reprises : la création d'une « force de travail flexible » pour rendre l'Inde plus compétitive. Depuis le lancement des réformes économiques dictées par le capital financier international, chaque crise économique et sociale aiguë a été utilisée par l'élite indienne et les grands médias comme prétexte pour exiger des changements rapides et drastiques des lois existantes qui sont considérées comme des obstacles indésirables face aux pressions des sociétés pour plus de profits et de richesses.

Un éditorial du journal Hindu souligne le rôle crucial joué par les syndicats dans la prévention des troubles ouvriers. Le journal libéral bourgeois a assuré de longue date la promotion du Parti communiste de l'Inde, stalinien (le CPI), et du Parti communiste de l'Inde (marxiste), le CPM, comme étant des alliés sûrs de l'élite dirigeante dans le maintien de l'ordre dans la classe ouvrière et de par leur capacité à soutenir « l'intérêt national ».

Hindu écrit que : « La tentative par certaines compagnies, surtout les multinationales, de décourager la syndicalisation a ajouté à la volatilité des relations industrielles et leur tactique préférée et d'employer des ouvriers sous contrat afin de pouvoir faire pression sur eux… les représentants des corps d'industrie, comme les chambres d'affaires, les syndicats ouvriers et le gouvernemental doivent réfléchir ensemble pour évaluer ce qui est sans doute une tendance inquiétante et examiner comment inverser cette tendance. »

L'insistance de l'éditorial sur le rôle des syndicats est importante pour l'expérience des ouvriers à MSI et dans d'autres usines partout en Inde. Le All India Trade Union Congress (AITUC), affilié au CPI et le Centre of Indian Trade Unions (CITU), l'union fédérative liée au CPM, ont permis la propagation du travail intérimaire à travers l'Inde, pendant des décennies, en réprimant l'opposition des ouvriers et en assurant le soutien du CPI et du CPM aux gouvernements nationaux et à ceux des Etats de l'Inde. Ceux-ci ont poursuivi le programme des “réformes” de la bourgeoisie pour faire de l'Inde un producteur à la main-d'œuvre bon marché pour le capitalisme mondial.

En dépit de tous leurs discours démagogiques contre le travail sous contrat, l'AITUC et le CITU ont cherché à maintenir les ouvriers de Maruti Suzuki isolés face à l'assaut féroce dirigé contre eux. Pendant la longue lutte de quatre mois des ouvriers de MSI l'année dernière, l'AITUC et le CITU leur ont conseillé de ne pas se tourner vers leurs frères de classe, mais de faire confiance au gouvernement de l'Etat d'Haryana, à ses fonctionnaires chargés de la main-d'œuvre et à ses tribunaux, alors que ces forces travaillaient main dans la main avec la compagnie.

Cependant, les sections les plus puissantes des grandes entreprises indiennes sont fortement soutenues par des sections de l'élite politique comme Narendra Modi, le ministre en chef de l'Etat de Gujarat (du parti suprémaciste hindou Bharatiya Janata), et par Mamata Banerjee, la ministre en chef du Bengale-Occidental, (du parti Trinamool Congress), qui défendent une répression impitoyable de toute manifestation de la lutte des classes et s'opposent au moindre empiètement sur les prérogatives des directions d'entreprises. Ainsi, ils « découragent la syndicalisation » dans les usines et refusent de parler aux syndicats « extérieurs » qu'ils disent être « politiquement motivés ».

A la suite de la fermeture de Maruti Suzuki Manesar le mois dernier, tant Modi que Banerjee ont rivalisé pour que MSI investisse dans leurs Etats respectifs. Pour ne pas être surpassé dans cette compétition, le ministre en chef du Haryana, Bhupinder Hooda, du parti du Congrès, a déclaré : « L'indice de criminalité général au Haryana et la perte de jours-homme est le plus bas de tous les Etats. L'épisode de Maruti est un incident 'malencontreux'. » Hooda s'est alors vanté de ce que Haryana était devenu un centre industriel automobile majeur, une voiture et une motocyclette sur deux produites en Inde étant fabriquées dans cet Etat.

(Article original publié le 10 août 2012)