La police sri lankaise tire sur des travailleurs manifestant dans la zone de libre échange
Par W.A. Sunil et Ruwan Liyanage
7 juin 2011
Lundi, des milliers de policiers ont lancé une violente attaque contre des travailleurs de la zone de libre échange (FTZ) à Katunayake qui protestaient contre le projet de loi du gouvernement sri lankais sur les retraites dans le secteur privé. Durant les affrontements, la police a ouvert par deux fois le feu à balles réelles. En tout, plus de 200 travailleurs ont été blessés et une centaine ont été arrêtés.
Après l’affrontement qui incluait la mobilisation de plusieurs milliers de troupes, le gouvernement a fermé pendant deux jours la FTZ. Des milliers de policiers et agents de sécurité ont été déployés dans la région qui est proche de la capitale, Colombo. Tous les véhicules sont contrôlés et tous les travailleurs de la FTZ vivant en dehors de la zone ne sont pas autorisés à y entrer.
C’est la deuxième répression policière menée contre les travailleurs de la FTZ en l’espace de quelques mois. En février, la police avait agressé des travailleurs en grève à l’usine Bratex qui est la propriété de Hong-Kong, un producteur de sous-vêtements à Katunayaka, et avait arrêté plusieurs travailleurs sous de fausses accusations.
Les protestations de lundi ont eu lieu au mépris total du syndicat Free Trade Zone and General Services Workers Union (FTZGSWU) qui avait pressé les travailleurs de ne pas entamer de mouvement de grève. La manifestation était la continuation d’une lutte initiée le 23 mai par les travailleurs de la FTZ contre le projet de loi sur les retraites qui réduira dans effectivement les salaires en requérant au minimum une période de 10 ans d’emploi continu pour pouvoir bénéficier d’une retraite mensuelle s’élevant à peine à 15 pour cent du salaire.
Des travailleurs de la zone no. 1 de la FTZ de Katunayake, qui compte trois zones, ont commencé le débrayage. Vers 9 heures 30, des milliers de travailleurs avaient rallié la manifestation qui était pacifique jusqu’à l’intervention de la police.
Entre 11 heures 30 et midi, selon les travailleurs, la police est entrée dans la zone no. 1 en franchissant l’entrée principale et en commençant à attaquer les manifestants au moyen de matraques et de gaz lacrymogène. Lorsque les travailleurs se sont repliés dans l’usine pour leur sécurité, la police est entrée de force dans les locaux pour poursuivre l’attaque. Des manifestants en colère ont riposté en se servant de tout ce qui leur tombait sous la main. La police a alors tiré à balles réelles sur les travailleurs en blessant un certain nombre d’entre eux dont un gravement.
Après avoir entendu parler de l’attaque policière, vers 3 heures de l’après-midi, des milliers de travailleurs des zones no. 2 et 3 ont rejoint la manifestation en condamnant les actions de la police et en exigeant la libération de leurs collèges arrêtés. A ce stade, environ 40.000 travailleurs, pour la plupart des jeunes femmes, étaient impliqués. Elles ont envahi la rue principale traversant la FTZ, en manifestant et en scandant des slogans contre le gouvernement.
La police étant incapable de contrôler la vaste foule, le gouvernement a déployé des officiers des équipes de la police spéciale (STF) et une centaine de soldats. Les officiers de l’armée ont réclamé une reprise du travail mais les travailleurs ont exigé la libération de ceux qui avaient été interpellés. Lorsque la police a refusé, les travailleurs ont attaqué le poste de police avec des pierres.
Quelque 15 personnels de police, dont des officiers de haut rang, auraient été blessés et plusieurs véhicules de police endommagés. La police a de nouveau ouvert le feu sur quelque 500 travailleurs qui avaient pris d’assaut le poste de police et en a blessé au moins huit.
L’inspecteur général de la police, Mahinda Balasuriya, a affirmé que les travailleurs qui manifestaient avaient tenté de se saisir des armes qui se trouvaient au poste de police – une allégation que les manifestants ont niée. Balasuriya a justifié que l'on ait ouvert le feu sur les manifestants. « Lorsqu’une vaste foule s’est précipitée à l’intérieur du poste de police, les policiers ont tiré en l’air puis, plus tard, sur eux pour maîtriser le rassemblement, » a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse.
En parlant au WSWS, l’un des travailleurs à dit que certains de ceux qui avaient été arrêtés n’étaient pas en mesure de marcher en raison de leurs blessures. Leurs vêtements dégoulinaient de sang. « La police a traîné sur le sol les travailleurs capturés tout en les matraquant et en les rouant de coups de pied, » a dit un témoin.
Des résidents locaux et des travailleurs de la FTZ à Biyagma, qui est plus près de Colombo, et Koggala dans le Sud, ont également condamné l’attaque de la police.
Une travailleuse, membre du FTZGSWU, a dit au WSWS: « C’est une guerre contre les travailleurs. La police nous a attaqués comme elle aurait battu des animaux. Ils ont utilisé du bambou, des matraques et, en fin de compte, ils ont tiré sur nous. Notre syndicat nous a demandé de ne pas participer à la manifestation. Mais comment pouvons-nous faire cela lorsque la police attaque nos collègues ? La police a sérieusement endommagé les bâtiments de l’usine et aussi des véhicules. »
Elle a insisté en disant : « Nous ne permettrons pas que le gouvernement pille notre argent et les protestations se poursuivront jusqu’à ce que le projet de loi [sur les retraites] soit aboli. Nous n’avons pas peur de la mort pour défendre nos droits. »
Un vendeur ambulant à Katunayake a expliqué : « Quel crime ce gouvernement est en train de commettre ! Quel labeur douloureux ces travailleurs accomplissent pour un médiocre salaire. Regardez, comment la police les a sauvagement attaqués. Ma haine n’a pas de limite. »
Les troubles se sont propagés hier à la FTZ de Biyagama. Un travailleur d’Ansell Lanka a dit au sujet des 1.000 salariés qui ont manifesté. « Notre syndicat [le FTZGSWU] nous a dit de ne pas participer aux protestations. Mais avec notre pression, le syndicat nous a permis de rejoindre la campagne. Toutefois, il n’existe pas de véritable programme pour lutter contre le projet de loi. Bien que le gouvernement ait dit avoir suspendu la loi, nous devons la rejeter totalement. »
Cette hostilité envers les dirigeants syndicaux est fondée sur une amère expérience. La centrale syndicale commune (Joint Trade Union Alliance, JTUA), consistant en 26 syndicats dont la FTZGSWU, le syndicat des services de santé Health Services Trade Union Alliance, le syndicat des Ceylon Bank Employees Union et le syndicat United Government Workers Confederation, qui est contrôlé par le Nava Sama Samaja Parti ex-radical, avait lancé le 23 mai un appel à débrayer contre la loi sur les retraites mais l’avait annulé plus tard sans aucune explication.
Les syndicats tentent désespérément à présent de contenir la colère des travailleurs. Lors d’un point presse lundi soir, le président du syndicat Inter Company Employees Union, Wasantha Samarasinghe, a déclaré que son syndicat, qui est lié au parti d’opposition Janatha Vimukthi Peramuna (JVP), appellerait mardi à la grève dans les trois FTZ.
L’objectif de Samarasinghe est d’empêcher que les troubles ne se propagent dans l’ensemble des 12 FTZ au Sri Lanka qui emploient 120.000 salariés et qui sont cruciales pour les recettes d’exportation du pays.
Le gouvernement du président Mahinda Rajapakse a été stupéfait par le soulèvement des travailleurs des FTZ et redoute évidemment qu’elle ne devienne le point de départ d'un mouvement plus vaste de la classe ouvrière contre ses mesures d’austérité. Lundi soir, le gouvernement a dit qu’il allait suspendre le projet de loi sur les retraites pendant deux mois et en exclure les travailleurs des FTZ.
Les syndicats se sont empressés d’en célébrer l’annonce. Hier, lors d’une conférence de presse du JVP, le député Anura Kumara Dissanayake a salué la suspension comme étant « une victoire ».
Rajapakse a simplement opéré un revirement tactique pour apaiser les travailleurs de la FTZ tout en recherchant le soutien des syndicats et des partis d’opposition pour réintroduire le projet de loi à une date ultérieure. Le Fonds monétaire international a insisté sur la création d’un fonds de pension basé sur le marché comme étant l’une des conditions à respecter pour le versement en 2009 d’un prêt de 2,6 milliards de dollars US au gouvernement.
Aujourd’hui, les travailleuses peuvent retirer toutes leurs économies de la caisse de retraite quand elles se marient ou atteignent l’âge de 50 ans. Si le régime de retraite est appliqué, elles devront avoir travaillé au moins pendant dix ans et ne pourront prétendre à un versement de prestations qu’à l’âge de 60 ans. Au lieu de recevoir une somme forfaitaire, elles recevront une petite pension mensuelle évaluée à seulement 1.900 roupies (17,27 dollars US) par mois dans le cas des travailleurs à bas salaire de l’industrie du vêtement.
Rajapakse a aussi décidé de blanchir la violence policière en niant toute responsabilité gouvernementale. Il a nommé un juge à la retraite, Mahanama Thilakeratne, pour enquêter sur les affrontements de lundi. Le site Internet du Sunday Times a rapporté que l’objectif de l’enquête était de découvrir qui avait ordonné le déploiement des policiers dans la FTZ.
Le journal a affirmé qu’il avait été conseillé au ministre de la Défense, Gotabhaya Rajapakse, frère du président, de ne pas déployer de policiers. C’est une proposition absurde. Une attaque aussi sanglante n’aurait pas pu se produire sans un ordre venu de tout en haut.
Le véritable but de cette enquête est d’identifier les travailleurs combatifs dans la perspective d’une chasse aux sorcières dans l’ensemble de la zone de libre échange.
(Article original paru le 1er juin 2011)
Voir aussi:
Pour la défense des travailleurs sri lankais de la zone de libre échange LIEN ?