Canada : Le gouvernement conservateur se prépare à adopter une loi pour rendre illégale la grève des travailleurs d'Air Canada
Par Keith Jones
16 juin 2011
Seulement quelques heures après que 3800 agents de réservation et du service à la clientèle d’Air Canada ont débrayé pour s’opposer aux demandes patronales exigeant des concessions radicales, le gouvernement conservateur du Canada a signalé qu’il allait introduire une loi dès jeudi afin de rendre illégal et de criminaliser le mouvement de revendication.
S'adressant à la Chambre des communes mardi après-midi, la ministre du Travail Lisa Raitt a dit que le gouvernement donnerait bientôt au parlement l’avis de 48 heures requis de son intention de présenter une loi qui forcerait les travailleurs d’Air Canada à retourner au travail.
Affirmant que le mouvement de revendication à Air Canada pourrait mettre en péril la « fragile » économie canadienne, Raitt a dit que « les Canadiens nous ont donné un mandat fort, pour compléter notre reprise économique, c’est donc pour cette raison que nous allons aviser ce soir de notre intention de présenter cette loi, afin d’assurer la continuité du service aérien pour les passagers ».
Que Raitt prétende disposer d'un « mandat fort », c’est-à-dire un soutien populaire de masse, sert à intimider les travailleurs. En fait, les conservateurs ont reçu le soutien de moins du quart des Canadiens lors des dernières élections fédérales.
Mais leur action rapide contre les grévistes d’Air Canada souligne qu’ils vont utiliser leur nouvelle majorité parlementaire pour intensifier de façon significative l’assaut de la grande entreprise sur la classe ouvrière. Déjà, dans le budget fédéral présenté la semaine dernière, les conservateurs ont réaffirmé leur intention de réduire les dépenses fédérales discrétionnaires par habitant par plus de 10 pour cent d’ici l’année financière 2014-15. Puis, Postes Canada, une entreprise fédérale gouvernementale, a imposé un lock-out partiel à ses 48 000 facteurs, commis, trieurs et livreurs dans le but de réduire les salaires et les avantages sociaux des nouveaux employés, sabrer les prestations d’invalidité à court terme et imposer des suppressions de postes et un dangereux nouveau rythme de travail aux facteurs.
Air Canada, le plus important transporteur aérien du Canada, cherche à imposer d'énormes concessions à ses 3800 agents de réservation et du service à la clientèle, dont le représentant de négociation collective est le syndicat des Travailleurs canadiens de l’automobile (Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada, TCA) Local 2002, et à ses mécaniciens, bagagistes, à son personnel de bord et à ses pilotes, lesquels sont représentés par un autre syndicat.
Ces concessions s’ajouteraient aux nombreuses autres que les syndicats ont faites aux compagnies aériennes privées au cours de la dernière décennie.
Pour ce qui est des agents de réservation et du service à la clientèle, Air Canada demande que tous les employés actifs inscrits au régime de retraite à prestations déterminées de la compagnie reçoivent des prestations de retraite 35 à 40 pour cent inférieures à celle des retraités. Les nouveaux employés seraient forcés de participer à un régime de cotisation de retraite, lequel éliminerait toute obligation future de l’employeur et rendrait les revenus de retraite des travailleurs complètement dépendants des fluctuations du marché boursier. Air Canada demande aussi que l’âge et les années de service où les employés peuvent prendre leur retraite sans pénalité soient haussés de 5 ans.
Les patrons d’Air Canada reçoivent des salaires de plusieurs millions de dollars et ont des retraites bien garnies, malgré tout, le chef de l’exploitation d’Air Canada, Duncan Dee, a dit à la radio de la CBC mardi que la compagnie devait couper les prestations de retraite de ses employés afin qu’elle demeure « compétitive », c’est-à-dire une source de grands profits pour les actionnaires. Dee a affirmé, « les entreprises du secteur public dans ce pays s’orientent généralement vers des régimes de retraite à cotisations déterminées… La seule façon d'assurer la viabilité à long terme d’Air Canada… est de faire des changements adaptés à notre époque. »
Air Canada soutient aussi que les syndicats doivent accepter que les employés d'une nouvelle compagnie aérienne à bas coût en processus de création aient des salaires et des avantages sociaux moindres que ceux des autres travailleurs.
Selon le syndicat des TCA, ses membres à Air Canada ont subi des coupes de 10 pour cent de leurs salaires réels au cours de la dernière décennie. Néanmoins, la compagnie aérienne a sèchement rejeté les demandes des travailleurs pour une hausse salariale considérable.
Le week-end dernier, Air Canada dépensé des dizaines de milliers de dollars en publicités pleine page dans les principaux quotidiens du pays afin de clamer sur un ton provocateur que la compagnie avait des plans de « contingence » pour maintenir la totalité de ses opérations durant une grève. Mardi, ces plans ont été mis en oeuvre quand Air Canada a déployé ses cadres et des centaines de briseurs de grève – certains d'entre eux proviendraient de Garda World Security (une multinationale active en Irak) – pour faire le travail des grévistes.
Mardi matin, certains pilotes et agents de bord d'Air Canada ont refusé de franchir les piquets de grève établis par les agents en grève du service à la clientèle à l'aéroport Trudeau de Montréal. Mais ils ont finalement traversé, après que des cadres sont venus les escorter jusqu'à leur lieu de travail.
Bien qu'on exige de tous les travailleurs d'Air Canada des concessions semblables, aucun des syndicats censés les représenter n'a exigé que les piquets de grève des agents de réservation et du service à la clientèle soient respectés. Et ils n'ont certainement rien fait pour organiser une grève commune contre les concessions.
Ce refus évident d'adhérer aux principes les plus élémentaires de la solidarité ouvrière vient mettre en évidence le fait que les syndicats sont opposés à toute lutte sérieuse contre Air Canada, parce qu'ils savent qu'une telle lutte entraînerait une véritable confrontation avec le gouvernement Harper et l'ensemble de l'élite dirigeante du Canada. Comme les patrons de la compagnie aérienne, les syndicats acceptent que le gagne-pain des travailleurs soit subordonné aux profits et à la valeur des actions.
Les TCA ont réagi à l'attaque flagrante du gouvernement conservateur contre les agents de réservation et du service à la clientèle en indiquant qu'ils étaient impatients d'en arriver à une entente avec la compagnie aux dépens des travailleurs d'Air Canada.
Le président des TCA Ken Lewenza a fait un commentaire qui allait de soi en indiquant que la rapidité avec laquelle le gouvernement agit pour rendre la grève des travailleurs d'Air Canada illégale montre que les propriétaires de la plus grande compagnie aérienne canadienne et le gouvernement agissent de concert pour imposer des concessions. « La rapidité avec laquelle ce projet de loi a été présenté, a dit Lewenza, indique qu'il y a une véritable collusion entre le gouvernement fédéral conservateur et Air Canada, visant à arracher les droits des travailleurs. »
Mais plutôt que de s'opposer à cette collusion en appelant à une action revendicative de la part de tous les travailleurs d'Air Canada et à la mobilisation de toute la classe ouvrière contre le gouvernement Harper, Lewenza a annoncé que les TCA étaient déterminés à en arriver à un accord avec Air Canada dans les 48 prochaines heures – et ce, dans des conditions où l'employeur bénéficie de la menace d'une loi qui forcerait le retour au travail, ce qui lui permet d'intimider davantage les travailleurs. Selon une déclaration des TCA rendue publique mardi soir, « Lewenza a affirmé qu'il était possible de conclure une entente avec Air Canada dans les 48 prochaines heures, avant que la loi ne devienne effective. »
Le syndicat prend donc lui-même la responsabilité de réprimer la lutte des travailleurs d'Air Canada. Tout en déplorant publiquement la collusion entre la compagnie et le gouvernement, il se sert de la menace d'une loi antigrève pour défendre qu'il n'a d'autre choix que d'abandonner les demandes légitimes des travailleurs.
Pour que les travailleurs d'Air Canada ne subissent pas un autre recul amer, ils doivent s'emparer de la direction de leur lutte en la soutirant aux TCA. Par le développement de comités ouvriers de la base, organisés indépendamment de l'appareil syndical et en opposition à lui, les travailleurs doivent faire de cette grève le fer de lance d'une offensive politique et industrielle de la classe ouvrière contre toutes les suppressions d'emplois et baisses de salaire et en défense des droits des travailleurs et des services publics.
(Article original paru le 15 juin 2011)