La crise du Parti républicain et la fracture du système bipartite américain
Par Joseph Kishore
27 octobre 2017
L’éruption d'une guerre ouverte entre l’establishment du Parti républicain et l’administration Trump marque une nouvelle étape dans la crise politique aux États-Unis.
Le conflit au sein du Parti républicain a atteint son paroxysme mardi avec le discours de Jeff Flake au Sénat qui a annoncé qu’il ne chercherait pas à être réélu et a dénoncé les actions de Trump comme «dangereuses pour une démocratie» et une menace pour «l’efficacité du leadership américain autour du monde». Le discours de Flake a suivi une série de déclarations attaquant Trump par les principaux républicains, y compris les sénateurs John McCain (président du Comité des Armées du Sénat) et Bob Corker (président du Comité des Affaires étrangères du Sénat) et l’ancien président George W. Bush.
Les principaux démocrates se sont rangés pour féliciter Flake, un faucon fiscaliste de droite et un défenseur de l’austérité. Le chef de la minorité au Sénat, Charles Schumer, a qualifié Flake de «l’un des meilleurs êtres humains que j’ai rencontrés en politique», ajoutant qu’il «nous manquera».
L'éclatement d'une guerre politique au sein du Parti républicain est le dernier épisode d’un conflit au sein de l’État américain qui a fait rage tout au long de la campagne électorale Trump et s’est intensifié au cours des dix mois de son administration. Les adversaires républicains de Trump dénoncent son ultranationalisme de «l’Amérique d’abord» comme un élément destructeur de la domination mondiale américaine, en particulier en ce qui concerne les relations avec les alliés traditionnels de Washington et l’offensive politique et militaire contre la Russie et la Chine.
Dès le début de sa campagne électorale, la stratégie de Trump était d’exploiter le mécontentement social et économique et le dégoût généralisé envers le Parti démocrate pour favoriser la croissance d’un mouvement d’extrême droite, fascisant et extraparlementaire. La promotion, peu de temps après l’élection, de Steven Bannon, rédacteur en chef de «Breitbart News», à la position de stratège en chef a signalé la poursuite de cette politique à la Maison-Blanche. Comme l'a écrit le World Socialist Web Site à l’époque, «un homme ayant des liens directs avec les organisations fascistes, racistes et suprématistes blanches sera le bras droit du président et aura un immense pouvoir pour déterminer la politique du gouvernement».
La politique fascisante de Trump et Bannon avait, et continue d’avoir, un soutien substantiel au sein de l’élite patronale et financière. Le programme de contre-révolution sociale de l’administration Trump, les réductions d’impôt pour les riches et l’augmentation des dépenses militaires ont, en outre, un large soutien à Wall Street et au Pentagone.
Au même moment, d’importantes sections de la classe dirigeante sont préoccupées par les implications de l’élection de Trump pour les intérêts stratégiques de l’impérialisme américain à l’étranger et pour la stabilité sociale et politique aux États-Unis mêmes.
Après que Trump se soit solidarisé avec des groupes fascistes qui se sont déchaînés à Charlottesville, en Virginie, Bannon, qui était entré en conflit avec le chef d’état-major de la Maison-Blanche et ancien général de marine John Kelly, a été renvoyé à Breitbart.
Le départ de Bannon, cependant, avait plus le caractère d’une libération des contraintes de la Maison-Blanche qu’une rétrogradation. Depuis sa sortie officielle de l’administration, Bannon a poursuivi une stratégie politique consistant à attaquer les hauts dirigeants du Parti républicain et à soutenir les principaux adversaires des républicains en exercice lors de nouvelles primaires, dont Flake, qui n'adhère pas au programme nationaliste et au racisme anti-immigré de l’administration Trump.
Les conflits politiques aux États-Unis reflètent les processus mondiaux. Dans un pays après l’autre, les mouvements d’extrême droite exploitent le vide politique créé par le virement à droite des partis sociaux-démocrates et travaillistes, qui ont abandonné depuis longtemps toute préoccupation envers les problèmes auxquels la classe ouvrière est confrontée.
Mardi, la fascisante Alternative pour l’Allemagne a fait ses débuts au Parlement allemand après les élections de septembre au cours desquelles elle a remporté 94 sièges, bénéficiant de l’effondrement électoral du Parti social-démocrate.
Le Parti de la liberté d’extrême droite devrait entrer dans le gouvernement autrichien à la suite des élections du mois dernier au cours desquelles il a augmenté son vote de près de 7 points de pourcentage, arrivant en deuxième position devant les sociaux-démocrates. Le parti d’un populiste de droite milliardaire a remporté les élections législatives de la semaine dernière en République tchèque, qui a vu l’effondrement des sociaux-démocrates.
En Grande-Bretagne, le Parti de l’indépendance du Royaume-Uni, anti-immigré, est devenu la principale force politique lors du référendum sur le Brexit de l’an dernier. En France, la chef du Front national, Marine Le Pen, a remporté 34 % des voix lors des élections présidentielles en début d’année, se rendant ainsi au second tour de scrutin remporté par Emmanuel Macron. Au Japon, le militariste de droite Shinzo Abe a été réélu en tant que premier ministre par une marge substantielle.
Aux États-Unis, Trump, en alliance avec Bannon, poursuit une stratégie similaire, dans le but de prendre la direction du parti républicain ou de provoquer une fracture qui ferait éclater le système bipartite.
Parallèlement aux développements internationaux, Trump a exploité le caractère réactionnaire et militariste de l’administration Obama, du Parti démocrate et de la campagne Clinton. Clinton s’est présentée comme la candidate de Wall Street, de l’appareil de renseignement et de l'armée, en alliance avec des sections privilégiées de la classe moyenne supérieure orientées vers la politique identitaire. Elle a manifesté un mépris ouvert pour les griefs des travailleurs dévastés par les licenciements de masse et la destruction des salaires et des retraites, promouvant l’affirmation calomnieuse selon laquelle Trump devait son succès électoral au racisme au sein de la «classe ouvrière blanche».
À la suite de l’élection de Trump, les démocrates ont évolué encore plus vers la droite. Leur plus récente initiative: ils ont retiré la semaine dernière des partisans de Bernie Sanders du Comité national démocrate. Ils ont systématiquement dissimulé la signification profonde de l’élection de Trump et la nomination de figures comme Bannon.
L’objectif central des démocrates depuis l’élection de Trump a été une campagne de plus en plus frénétique sur l’intervention russe dans les élections américaines. Cela vise à la fois à combattre les conflits au sein de la classe dirigeante au détriment de la politique étrangère et, de plus en plus ouvertement, à justifier la censure sur Internet et la destruction de la liberté d’expression.
Les démocrates visent principalement à gagner le soutien de l’armée et des agences de renseignement, qui deviennent de plus en plus les arbitres de la politique américaine. L’orientation du Parti démocrate a été énoncée dans une chronique de Thomas Friedman du New York Times publiée mercredi, dans laquelle Friedman a encore une fois appelé à l’intervention de l’armée contre Trump.
Faisant appel au secrétaire à la Défense James Mattis, mieux connu pour avoir ordonné aux forces américaines de détruire Falloujah en 2004, pour qu'il «agisse», Friedman a écrit: «Je ne parle pas d’un coup d'État... Trump a besoin de savoir que c'est vous que décidez et rien d'autre – pas lui». En d’autres termes, l’armée doit prendre la direction, par un coup d’État ou autrement.
La fracture du système politique est l’expression d’une crise intraitable du capitalisme américain. Dans les conflits au sein de la classe dirigeante, il n’y a pas de côté progressiste ou démocratique. Les critiques républicains de Trump incluent un criminel de guerre et un défenseur de la torture (George W. Bush), un fanatique de guerre (McCain), un proche allié de Wall Street et de l’armée (Corker) et un défenseur radical des coupes sociales (Flake).
Rien de progressiste ne peut venir d’une résolution de la crise d’en haut à travers une forme de révolution de palais. Un tel règlement ne fera que déplacer l’ensemble du système politique vers la droite et intensifiera l’assaut contre la classe ouvrière et la poussée vers la guerre mondiale.
Une crise politique à l’échelle de celle qui submerge Washington est la marque d’une situation prérévolutionnaire. Des explosions sociales sont à l’horizon. La tâche critique pour la classe ouvrière est de faire avancer sa propre solution indépendante à la crise et de ne pas se laisser entraîner derrière une quelconque faction de l’élite dirigeante. Le combat de la classe ouvrière contre Trump et toute la classe dirigeante soulève la nécessité urgente d’un mouvement politique de masse opposé aux démocrates et aux républicains et dirigé vers le renversement du système capitaliste.
(Article paru d’abord en anglais le 26 octobre 2017)