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En invitant Trump à Paris le 14 juillet, Macron se rapproche de Washington

Par Alexandre Lantier
14 juillet 2017

Donald Trump est arrivé hier à Paris sur l'invitation d'Emmanuel Macron, pour une réunion de travail et une conférence de presse conjointe, avant d'assister aujourd'hui au défilé du 14 juillet sur les Champs Elysées. C'était un signe sans ambiguïté : malgré ses différends avec Trump, Macron met la relation avec l'impérialisme américain au centre de sa diplomatie.

Devant la presse, il a applaudi le voyage « symbolique et important » de Trump, qui est détesté par les travailleurs en France, et le centenaire de l'entrée en guerre contre l'Allemagne des Etats-Unis dans la Première Guerre mondiale. Sa visite, a-t-il déclaré, devait « fêter non seulement notre fête nationale mais aussi le centenaire de l'intervention des troupes américaines aux côtés de la France. ... La présence de Donald Trump était non seulement naturelle, mais une bonne chose pour l'Histoire de nos deux pays. »

Macron a ensuite égrené des sujets sur lesquels il partage des positions de Trump : la nécessité d'encadrer le libre-échange par des mesures protectionnistes anti-dumping, la lutte pour censurer les « déclarations » jugées terroristes sur Internet, et les guerres au Moyen Orient et au Sahel.

Alors que les forces américaines, françaises et alliées viennent de pilonner Mossoul lors d'un siège qui a fait environ 10.000 victimes civiles et 700.000 déplacés, Macron a applaudi l'action des USA en Irak. Il y a quatorze ans, Washington a lancé l'invasion illégale et l'occupation de ce pays, qui ont fait plus d'un million de morts et ont suscité l'opposition du président français de droite de l'époque, Jacques Chirac. Mais Macron a dit qu'il « remercie » Trump pour ce que les troupes américaines ont fait en Irak « ces dernières années ».

L'intervention de Trump a aussi souligné le caractère réactionnaire de la présidence de Macron. Trump a applaudi les réformes lancées par Macron pour saborder le Code du Travail, qu'il a traitées de lutte contre la « bureaucratie », et les forces françaises qui occupent le Mali.

L'invitation offerte à Trump marquait un revirement de la politique étrangère de Macron et souligne la profonde instabilité des relations entre les principales puissances impérialistes de l'Otan. Après 25 ans de guerres impérialistes et de crise économique suite à la dissolution de l'URSS par la bureaucratie stalinienne, l'Otan, fondée sur l'hostilité commune envers l'URSS, est déchirée par de profondes rivalités qui risquent à tout moment d'éclater dans des conflits ouverts, voire des guerres.

Pendant la campagne présidentielle, Macron avait réagi au Brexit et à l'élection de Trump en s'associant étroitement avec l'Allemagne. Pour son premier voyage à l'extérieur de la France, la semaine de son élection, il s'était rendu à Berlin pour rencontrer la chancelière Angela Merkel et tenter de ranimer l'axe franco-allemand afin qu'il serve de moteur de l'Union européenne (UE). Ceci semblait l'aligner sur Merkel dans son conflit avec Trump, qui a dénoncé l'Allemagne et menacé carrément de bloquer les exportations allemandes vers les Etats-Unis.

Toutefois, quelques jours à peine après le sommet du G20 des 7-8 juillet à Hambourg, Trump est à nouveau en Europe cette semaine, pour fêter avec Macron le centenaire une guerre contre l'Allemagne. Hier, Trump et Macron ont tous deux fait un silence extraordinaire sur l'Allemagne. Ce silence était d'autant plus assourdissant que Macron venait d'une réunion franco-allemande des conseils des ministres des deux pays, le matin même à Paris. Après, Merkel et Macron ont aussi organisé une conférence de presse conjointe et annoncé plusieurs décisions majeures.

Alors que l'Allemagne abandonne sa politique de retenue militaire adoptée après la défaite des nazis en 1945 et tente d'émerger en tant que puissance hégémonique dans une Europe remilitarisée, Paris et Berlin scellent de nombreux accords militaires. Les deux pays construiront ensemble un avion de combat, notamment. Merkel a annoncé qu'elle pourrait envisager la création d'un budget de la zone euro et d'un ministère des Finances européen.

Ce commentaire assez tiède était une réaction à une pression venant de Paris. Dans une entrevue à Ouest France et aux quotidiens du groupe allemand Funke, Macron venait de vertement critiquer la gestion allemande de la politique d'austérité dévastatrice menée par l'UE depuis l'éruption de la crise grecque, en 2009.

La zone euro, selon Macron, « ne fonctionne pas bien parce qu’elle a nourri les divergences. Ceux qui étaient déjà endettés se sont retrouvés plus endettés. Ceux qui étaient compétitifs se sont retrouvés plus compétitifs. ... l’Allemagne bénéficie aussi des dysfonctionnements de la zone euro. Cette situation n’est pas saine parce qu’elle n’est pas durable. »

Macron a appelé à un gouvernement de la zone euro qui organiserait les transferts de fonds entre les pays de la zone euro, une politique longtemps rejetée par Berlin : « En France, s’il n’y avait aucun transfert entre l’Ile-de-France et les départements ruraux, l’unité nationale ne tiendrait pas longtemps. Pour cela, il faut un budget, un gouvernement qui décide de l’allocation de ce budget et un contrôle démocratique qui n’existe pas aujourd’hui. »

Ces profondes tensions au sein de l'Europe soustendent l'invitation de Macron à Trump. Le capitalisme européen est incapable de surmonter ses contradictions, qui ont deux fois au siècle dernier produit des guerres mondiales. Après 40 ans d'austérité, d'endettement et de désindustrialisation, la France ne fait pas le poids dans le « moteur » franco-allemand censé diriger l'UE. En accueillant Trump, Macron tentait d'exercer un chantage sur Berlin en rappelant que Paris pourrait s'aligner sur Washington et une politique plus anti-allemande.

Les réactions dans la presse française soulignent les divergences militaires entre Paris et Berlin. « Pour Paris, » écrivait Le Monde, « la relation avec Moscou doit rester pragmatique, guidée par les intérêts nationaux. Pour Berlin, elle s’inscrit dans la défense territoriale et l’architecture de sécurité européenne .... Ainsi, pour l’Allemagne, l’envoi de troupes en Lituanie au nom des mesures de réassurance de l’OTAN prises depuis l’annexion de la Crimée est une priorité. Ce n’est pas le cas pour la France. »

Trump et Macron se sont essayés à lisser leurs conflits précédents. Ils ont tous deux laissé entendre que Trump pourrait dans les années à venir modérer son opposition envers les accords de Paris sur le climat. Ils ont également tous deux affirmé que leur dîner sur la Tour Eiffel après la conférence de presse serait un repas entre « amis ».

Macron a aussi confirmé l'abandon de l'ancienne politique syrienne de Paris, qui visait à renverser le régime en Syrie. Traitant la coopération avec Moscou au Moyen Orient de « nécessité », il a ajouté, « Nous avons en effet changé la doctrine française sur la Syrie. (...) Nous avons un objectif principal : l'éradication de tous les groupes terroristes, quels que soient leurs sensibilités. ... Nous ne faisons pas du départ d'Assad la précondition d'une intervention française en Syrie. »

Alors que le président chinois Xi Jinping venait de rencontrer Merkel à Berlin avant le G20 à Hambourg, Macron a ajouté que Xi n'était pas son « ami », même s'il avait eu une discussion « fructueuse » avec lui.

L'amitié de Macron pour Trump souligne le caractère réactionnaire de sa présidence. Interrogé par un journaliste, Macron a défendu la volonté de Trump d'interdire l'arrivée de Musulmans aux USA et de construire un mur pour empêcher les Mexicains d'immigrer aux USA. Comme agacé par le fait que ceci soulevait sa proximité avec les positions de Trump et de la frontiste Marine Le Pen, qu'il avait battue aux présidentielles, Macron a sèchement prié le journaliste de ne pas confondre Trump et « ceux que j'ai battus dans le jeu politique français ».