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La campagne mensongère sur le piratage russe

Par André Damon
3 janvier 2017

Jeudi, le président américain Barack Obama a annoncé une série de mesures visant la Russie, présentées comme des représailles pour les cyberattaques attribuées au gouvernement de Vladimir Poutine. Les mesures comprennent l’expulsion de 35 diplomates russes et l’imposition de sanctions économiques contre les services de renseignement russes et leurs responsables.

Les médias, dirigés par le New York Times, ont fait l’éloge de ces actions, le Times déclarant dans un éditorial principal que « il ne devrait pas y avoir de doute que le président Obama avait raison de décider de prendre des représailles contre la Russie pour avoir piraté des ordinateurs américains et essayé d’influencer l’élection présidentielle de 2016 ».

Les médias américains ne trouvent pas nécessaire de mentionner que le gouvernement qui fait des accusations contre la Russie dirige le plus grand programme de piratage et de cyber-espionnage au monde, dont le but, selon des documents publiés par Edward Snowden, est de collecter ou pirater toutes les données du monde, sous le slogan « Tout collecter […] Exploiter tout ».

C’est le gouvernement qui, avec Israël, a créé et lâché le ver Stuxnet pour attaquer l’Iran, et dont il fut révélé qu’il avait mis sur écoute le téléphone de la chancelière allemande Angela Merkel et les connexions Internet à l’ONU. Quant à « influencer » les élections d’autres pays, l’histoire des opérations secrètes des États-Unis et de leurs agences de renseignement afin de manipuler les événements politiques, faire basculer les élections et renverser des gouvernements élus de par le monde comprendrait plusieurs tomes.

Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour supposer que la Russie, comme n’importe quel autre pays, effectue de l’espionnage sur l’Internet. Mais dans ce cas, les allégations selon lesquelles la Russie a piraté le Comité national démocrate ne sont pas étayées.

Ni la Maison Blanche, ni les agences de renseignement américaines, ni les médias, ni aucune entreprise de sécurité privée n’a produit des informations qui permettraient à une personne impartiale ayant des connaissances de base de la technologie des communications de conclure que la Russie a mené une cyberattaque importante contre les États-Unis.

Dans sa déclaration annonçant les actions contre la Russie, Obama a déclaré : « En octobre, mon gouvernement a rendu public notre évaluation selon laquelle la Russie avait pris des mesures visant à interférer avec le processus électoral américain ».

Obama se réfère, de manière délibérément vague, à une déclaration publiée le 7 octobre par James Clapper, le directeur de l’intelligence nationale, déclarant que « la communauté du renseignement […] est confiante [confident] que le gouvernement russe a dirigé les récentes compromissions de courriels de personnes et d’institutions américaines, y compris d’organisations politiques américaines ».

Le but de la déclaration de Clapper, publiée à l’approche des élections de novembre, était de discréditer les révélations publiées par WikiLeaks selon lesquelles le Comité national démocratique a truqué le processus des primaires pour obtenir la victoire de Hillary Clinton sur son adversaire pour la nomination présidentielle du Parti démocrate, Bernie Sanders.

La déclaration de Clapper, de trois paragraphes seulement, comme toutes les allégations de la Maison Blanche sur cette question, se caractérise par sa généralité et son manque de détails précis. L’utilisation du terme « confiant » est très significative, car elle dénote un niveau de conviction inférieur à celui du mot « certain ».

Simultanément à la déclaration d’Obama jeudi, le Bureau du directeur du renseignement national, celui de Clapper, a publié un rapport sur le piratage attribué aux Russes dans l’élection de 2016.

Le document ne contient aucune allégation spécifique, et encore moins de preuves, de ces prétendues tentatives d’avoir accès aux données confidentielles. Étant donné que le contenu réel du document est si minuscule, il n’est pas surprenant que la déclaration couvre ses conclusions, déclarant : « Le gouvernement des États-Unis peut confirmer que le gouvernement russe, y compris les services de renseignement civils et militaires russes ont mené des activités, décrites généralement par un certain nombre de […] sociétés de sécurité ».

Les faits énoncés dans le document publié par Clapper sont si faibles que l’article principal du New York Times de vendredi a été obligé de souligner que les preuves dans le rapport « sont en deçà de tout ce qui lierait directement les hauts fonctionnaires du GRU ou du FSB [agences russes de renseignement] à un plan pour influencer l’élection. »

Pourquoi donc, en l’absence de toute preuve, le New York Times déclare-t-il : « Il aurait été irresponsable [de la part d’Obama] de quitter ses fonctions le mois prochain et de permettre au président Vladimir Poutine de penser pouvoir impunément essayer de miner la démocratie américaine ».

Qu’il n’y ait pas de faits justifiant de telles représailles ne gène pas le « journal de référence ». C’est parce que, comme le reste des médias américains, il ne sert ni à remettre en question ni à contrer les affirmations fausses du gouvernement américain, mais à les propager.

Il y a des échos dans la présente campagne des affirmations fausses du gouvernement Bush sur les « armes de destruction massive » utilisées pour lancer la guerre en Irak en 2003. Alors, comme aujourd’hui, le Times et d’autres publications non seulement répétaient et amplifiaient les mensonges du gouvernement, mais avaient activement développé un faux récit des événements dans le cadre de l’effort de propagande du gouvernement pour justifier la guerre.

Les dernières actions d’Obama font partie d’une longue campagne anti-russe menée par la Maison Blanche et le New York Times, qui a été accélérée par l’effondrement de l’effort pour le changement de régime en Syrie appuyé par les États-Unis.

Cette campagne se déroule dans le contexte de divisions importantes au sein de l’État américain sur la cible de l’agression militaire américaine. La faction pour laquelle le New York Times parle cherche une intervention plus directe contre la Russie, tandis que le président élu Donald Trump et la section de l’état avec laquelle il est aligné voient un conflit avec la Russie comme une distraction par rapport au véritable ennemi : la Chine.

À cette fin, le gouvernement Obama a cherché à créer de nouveaux « faits sur le terrain » avant de quitter ses fonctions qui conduiraient le gouvernement Trump dans une confrontation avec la Russie. Plus tôt ce mois, la Maison Blanche a annoncé qu’elle accélérerait le déploiement de 4 000 soldats américains et de l’OTAN à la frontière russe, ce qui signifie qu’ils seront en place au moment où le nouveau gouvernement prendra ses fonctions.

Parallèlement à ce renforcement militaire, la Maison Blanche, leTimes et la plupart des médias américains ont cherché à cultiver la campagne anti-russe la plus hystérique depuis les années 1940 et le début des années 1950, remettant ainsi au goût du jour la puanteur des chasses aux sorcières de McCarthy. La principale préoccupation du Times, telle qu’énoncée dans un éditorial publié quatre jours après l’élection de Trump, est de veiller à ce que le gouvernement entrant « ne ménage pas la Russie ».

(Article paru en anglais le 31 décembre 2016)