Les politiciens américains et les services de renseignement veulent couper les liens des néo-fascistes français avec la Russie
Par Alex Lantier
9 janvier 2017
En pleine lutte politique acharnée à Washington à propos de la politique étrangère du gouvernement Trump entrant, des sections de la communauté des services de renseignement américains ont agi de manière agressive pour couper les liens de la néo-fasciste française Marine Le Pen avec la Russie.
Les médias américains et l’appareil de renseignement attisent une campagne hystérique accusant Moscou d’être intervenu dans les élections présidentielles américaines pour obtenir une victoire de Donald Trump. Alors que ces mêmes forces interviennent dans le but de couper les financements au Front national de Le Pen et dénoncer les liens de Le Pen avec la Russie, les rivalités explosives géostratégiques sous-jacentes à la campagne contre la Russie aux États-Unis et en Europe font surface.
Le 18 décembre, l’hebdomadaire satirique Canard Enchaîné révélait que le représentant républicain de l’Ohio, Mike Turner, du Comité de renseignement de la Chambre de députés avait écrit une lettre le 28 novembre au directeur américain du Renseignement national, James Clapper, avertissant des liens du FN avec la Russie.
Turner a fait remarquer que le FN « a reconnu publiquement qu’il avait reçu un prêt de 9.8 millions de dollars d’une banque russe ayant des liens avec le Kremlin, prétendument arrangé par un député de la Douma russe sanctionné, selon la presse française. […] En février 2016, le FN a demandé à la Russie une somme de 30 millions de dollars pour financer la campagne de Marine Le Pen de 2017 ». Turner a également fait remarquer le soutien de Marine Le Pen au contrôle russe de la Crimée, dont la conséquence fut que Le Pen a été déclarée persona non grata par le régime soutenu par Washington en Ukraine et interdite de séjour en Ukraine.
Finalement, Turner a exhorté Clapper à trouver « plus de détails » sur « cette vaste campagne » de « guerre de l’information contre les États-Unis et d’autres pays dont les intérêts vont à l’encontre de ceux de la Russie ».
Le Pen, qui a salué l’élection de Trump et ses politiques protectionnistes comme une « victoire de la liberté », et a également loué la sélection par Trump du suprémaciste blanc Stephen Bannon en tant que conseiller principal, a d’abord réagi agressivement à la lettre de Turner.
Sans se référer aux actions des services secrets américains contre elle ni à la Russie, Le Pen a violemment attaqué l’OTAN et l’Union européenne (UE), ce qui est conforme aux critiques de longue date de la part du FN de la chancelière allemande Angela Merkel et à ses appels à un référendum sur une sortie française de l’UE et de l’euro.
S’adressant au quotidien grec Dimokratia, elle a fait écho à l’hostilité de Trump envers l’OTAN. « L’OTAN a été créée lorsque le Pacte de Varsovie constituait une menace d’expansion du communisme de l’Union soviétique », a-t-elle rappelé. « Mais l’URSS n’existe plus, le Pacte de Varsovie non plus : Washington maintient la présence de l’OTAN pour servir ses intérêts en Europe ».
Pour faire bonne mesure, elle a de nouveau dénoncé l’UE dans son interview dans Dimokratia, déclarant : « Le Frexit est dans mon programme : le peuple doit avoir l’opportunité de voter pour la libération de l’esclavage et du chantage imposé par les technocrates du Bruxelles, afin de retrouver la souveraineté de son pays ».
Le Pen a également déclaré que le FN n’est pas actuellement lié à Aube dorée, le parti pro-nazi tristement célèbre pour ses attaques dans la rue souvent meurtrières sur les immigrants, les homosexuels et les figures de gauche en Grèce.
Après l’interview de Le Pen, il est apparu que la banque russe qui avait prêté au FN son argent de campagne, la Première banque russe tchèque (FCRB), avait fait faillite et que les autorités financières russes avaient suspendu le prêt au FN. Le 31 décembre, une annonce soudaine a révélé que Le Pen avait été obligée de se tourner vers un prêt de 6 millions de dollars de Cotelec, une entreprise liée à son père, l’ancien patron du FN Jean-Marie Le Pen.
Quand le 3 janvier, Marine Le Pen est apparu sur BFM-TV pour une entrevue avec Jean-Jacques Bourdin, elle avait nettement changé de ligne. Elle s’est proclamée « non anti-européenne » et a appelé à une renégociation plutôt qu’à une sortie de l’UE. Se distanciant apparemment des appels du FN à un retour au franc français et a une rupture avec la Banque centrale européenne dirigée par l’Allemagne, elle a suggéré qu’une monnaie nationale française pourrait être compatible avec la monnaie des 19 pays de l’eurozone. Cette partie de l’entrevue s’est déroulée comme suit :
Q : Souhaitez-vous que la France quitte l’Union européenne ? que les choses soient claires, je vous pose la question directement. Oui ou non ?
MLP : Je souhaite euh, non, je pense qu’il faut renégocier avec l’Union européenne, parce que je veux voir revenir en France les souverainetés…
Q : Renégociation ?
MLP : Je veux définitivement le retour des frontières, la souveraineté monétaire, économique et budgétaire
Q : Donc, plus d’euro ?
MLP : Une monnaie nationale avec un euro, monnaie commune […] ça ne pose pas de soucis. Je veux une monnaie nationale. Je ne suis pas anti-européenne, je suis contre l’Union européenne.
Q : Comment la renforcez-vous ?
MLP : Je la renforce par des relations bilatérales avec un certain nombre de pays.
Après s’être distancée des positions anti-UE les plus stridentes du FN, néanmoins, Marine Le Pen a de nouveau défendu Trump et a minimisé les accusations américaines de piratage russe lors d’une réunion jeudi avec l’Anglo-American Press Association.
Elle a dit qu’elle ne pensait pas qu’il existe de preuve sérieuse derrière ces allégations de cyberattaques et qu’on ne devait considérer que les vraies révélations. En tout cas, a-t-elle insisté, on ne peut pas dire que c’est [Moscou] qui a été à l’origine de cette cyberattaque Elle a confirmé avoir soutenu la candidature présidentielle de Donald Trump, car il lui semble que ses politiques internationales sont bonnes pour la France. La seule question qui l’intéresse, selon elle, c’est si les politiques internationales de Donald Trump nuisent à la France et jusqu’ici, il lui semble que ce n’est pas le cas, bien au contraire.
L’intervention des services de renseignement des États-Unis pour faire rentrer dans le rang le FN souligne les conflits explosifs qui sous-tendent la campagne de dénonciations non étayées du piratage russe des élections américaines. Celles-ci sont dictées non par des preuves significatives de piratage, dont aucune n’a été produite, mais par des tensions économiques et géostratégiques à l’intérieur de l’alliance de l’OTAN. Le conflit entre Trump et le Parti démocrate, la CIA et certaines sections des médias américains sur la Russie est inévitablement lié à des conflits au sein de l’UE. Trump a indiqué qu’il pourrait envisager de s’écarter d’une stratégie très agressive contre la Russie et de se concentrer plutôt sur une confrontation avec la Chine, qui s’appuierait sur la répudiation de la politique traditionnelle « une seule Chine » de Washington. Cela est devenu non seulement un sujet de commentaires des stratèges géopolitiques, mais de calculs des principaux politiciens bourgeois en Europe.
Le mois dernier, le spécialiste de l’Asie François Godement du Conseil européen des relations extérieures a fait remarquer qu’un « pivot vers l’Asie » plus agressif de la part des États-Unis pourrait avoir des conséquences drastiques en Europe. L’Europe, a-t-il affirmé, « manque d’une politique étrangère et sécuritaire cohérente et a des relations terribles avec les deux puissances régionales la Russie et la Turquie. Dans ce contexte, concevoir une alliance avec des pays comme la Russie, l’Inde et le Japon afin de limiter les ambitions de la Chine pourrait bien être plus précieux pour les États-Unis de Trump qu’imposer des sanctions pour l’éternité sur la Russie comme une faveur pour l’Europe.
Dans ce contexte, un certain alignement est en train d’émerger entre les sections de l’establishment de la politique étrangère des États-Unis appelant à écarter le « pivot » contre la Russie vers la Chine et vers la plupart des principaux candidats à l’élection présidentielle française de cette année.
Ceux-ci adoptent une orientation pro-russe, nationaliste et protectionniste, souvent sévèrement critique envers l’Allemagne, principale puissance économique de l’UE. Il s’agit notamment de Le Pen ; le candidat conservateur François Fillon, pro-russe et ami personnel de Vladimir Poutine, qui a voté contre le traité de Maastricht qui a fondé l’UE ; et de l’ancien chef de file du Front de gauche Jean-Luc Mélenchon.
Questionnée vendredi par le quotidien Paris-Normandie sur sa position vis-à-vis de Vladimir Poutine, Marine Le Pen a fait savoir qu’elle partageait « une vision géopolitique internationale » en partie avec François Fillon, précisant par ailleurs qu’il s’agissait de son « seul point commun » avec le candidat de la droite à la présidentielle. « Je n’aurais jamais permis le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, a-t-elle précisée. Pour le reste, en ce qui me concerne, je ne fais allégeance à aucune puissance étrangère, je pense uniquement aux intérêts de la France ».
(Article paru en anglais le 7 janvier 2017)