Après l’attentat de Berlin : des lois plus contraignantes visent les réfugiés
Par Martin Kreikenbaum
17 janvier 2017
Moins de trois semaines après l’attaque terroriste perpétrée contre un marché de Noël à Berlin, le ministre de la justice Heiko Maas (social-démocrate, SPD) et le ministre de l’Intérieur Thomas de Maizière (chrétien-démocrate, CDU), se sont mis d’accord sur un nombre de lois plus contraignantes ciblant avant tout les réfugiés et les migrants. Une augmentation spectaculaire du nombre de rétentions administratives avant déportation est projetée tant dans le but de durcir la réglementation relative au séjour des demandeurs d’asile et l’introduction de bracelet électronique pour les « individus dangereux » (Gefährder).
« L’État de droit protecteur est la meilleure réponse à la haine des terroristes », a déclaré Maas lors de la conférence de presse à l’issue des discussions qu’il a eues avec de Maizière. Les deux ministres ont également bénéficié du soutien de la chancelière Angela Merkel (CDU), qui a annoncé lundi que le gouvernement tirerait rapidement les conclusions appropriées et « annoncera [vraiment] la couleur » en matière de sécurité intérieure. En effet, l’actuel durcissement de la réglementation implique une éviscération des principes démocratiques fondamentaux en ouvrant la voie au délit d’opinion et au concept de « droit pénal de l’ennemi » (Gesinnungs – und Feindstrafrecht) dont les origines remontent au théoricien nazi Carl Schmitt.
En tout, Maas et de Maizière se sont accordés sur neuf mesures.
La limitation du temps de mise en rétention dans l’attente de l’expulsion de personnes contraintes de quitter le pays, entre autres celles ne pouvant être déportées dans les trois mois, est annulée. En conséquence, tout demandeur d’asile débouté pourrait se retrouver derrière les barreaux pendant une période allant jusqu’à 18 mois même si aucune infraction n’a été commise.
De plus, la mise en rétention avant départ, une forme d’internement qui a lieu par ordre judiciaire afin d’assurer l’expulsion d’un réfugié, et qui dure actuellement quatre jours, doit être rallongée à 10 jours. Cette mesure, qui n’a été instaurée qu’en juillet 2015, devrait également être appliquée beaucoup plus fréquemment. C’est ainsi que, selon le souhait de De Maizière, un grand nombre de « centres de départ » doivent être mis en place à proximité immédiate des aéroports. Les réfugiés placés en « rétention avant départ » y seront rassemblés et déportés.
Ce qui est encore plus important c’est l’introduction d’une nouvelle justification légale pour la détention avant expulsion. Jusqu’à présent, la détention avant l’expulsion, appelée en droit « incarcération préventive », ne pouvait être ordonnée que si un étranger était obligé de partir et qu’il pouvait être prouvé qu’il ou elle voulait échapper à l’expulsion. Comme l’a expliqué de Maizière, pour cela le simple soupçon que quelqu’un constitue une « menace terroriste » ou « une menace importante pour la sécurité » sera dorénavant suffisant.
Cela englobe les « individus dangereux », un concept qui n’a pas de base juridique. Il s’agit en fait de personnes que la police ou les services de renseignement soupçonnent de représenter « un danger pour la sécurité publique », sans motif solide pour étayer ce soupçon. L’Office fédéral de police criminelle (BKA) fait état d’environ 550 personnes considérés être des « individus dangereux » et dont près de la moitié ne séjournent pas en Allemagne. Seuls 62 d’entre eux sont réellement tenus de quitter le pays.
C’est en septembre 2001 que le terme « individu dangereux » a été adopté dans le cadre de la loi antiterroriste mise en œuvre par le ministre de l’Intérieur Otto Schily (SPD). En droit de l’immigration, Schily a introduit le concept de « menace pour la sécurité publique » comme motif supplémentaire de l’expulsion. Depuis l’introduction de cette modification, les demandes d’asile peuvent être automatiquement rejetées sur la base d’un simple soupçon que quelqu’un puisse soutenir une organisation terroriste et poserait une menace à la sécurité.
Maas et de Maizière poussent ce règlement à l’extrême en supprimant effectivement la présomption d’innocence pour les étrangers. Ils peuvent maintenant être détenus jusqu’à 18 mois sans avoir été juridiquement condamné pour un acte criminel ou même d’être soupçonné d’un délit précis.
Cela équivaut donc à la création d’un droit pénal de l’ennemi dont la tradition remonte au juriste allemand Carl Schmitt qui l’a utilisé pour couvrir juridiquement les crimes des nazis et qui trouve actuellement son parallèle dans le camp américain de prisonniers de Guantánamo à Cuba.
L’incarcération préventive en attendant la déportation revient ainsi à ses racines historiques. Elle fut introduite pour la première fois en droit allemand en mai 1919 en Bavière suite à l’écrasement de la République soviétique de Bavière. À l’époque, l’incarcération en attendant la déportation avait servi de mesure préventive visant les activités de socialistes étrangers dans le but d’empêcher tout soulèvement révolutionnaire. En 1938, ce règlement fut repris mot pour mot par le régime de Hitler et insérée dans le décret de police des étrangers (Ausländerpolizeiverordnung) où il survécut à la fin du régime nazi en restant applicable en République fédérale jusqu’en 1965.
La surveillance des « individus dangereux » au moyen d’un bracelet électronique, convenue entre Maas et de Maizière, va dans le même sens. À l’origine, le ministre de la Justice ne voulait utiliser les bracelets électroniques que dans le cas de délinquants ayant été condamnés pour crime terroriste et remis en liberté. Mais, au lieu de cela, cette attaque drastique contre la liberté individuelle sera élargie de façon à inclure le simple soupçon qu’une personne puisse constituer une menace.
Les criminologues et les juristes se demandent toutefois si cela apportera un avantage quelconque à la sécurité. L’ancien président de la Cour constitutionnelle du Land de Rhénanie-du-Nord/Westphalie, le juge Michael Bertrams, considère le bracelet électronique et le recours à l’incarcération avant déportation à l’encontre d’« individus dangereux » comme des atteintes flagrantes au droit fondamental allemand. Il a écrit dans le journal Kölner Stadtanzeiger, « L’incarcération préventive ou l’internement d’individus dangereux qui sont reconnus innocents en vertu de la loi ne peuvent être légitimés dans un État de droit. Je doute qu’une loi régissant ceci soit recevable devant la Cour constitutionnelle fédérale. »
Mais, les ministres de la Justice et de l’Intérieur, dont les tâches sont en fait de protéger la constitution ne conteste nullement cela. Au contraire. Maas avait déjà préalablement indiqué vouloir se débarrasser des droits démocratiques. Il avait déclaré que les individus dangereux faisant l’objet d’une expulsion exécutable devaient être déporté le plus rapidement possible. Pour garantir leur refoulement, il fallait incarcérer préventivement ces individus dangereux. L’incarcération préventive des individus dangereux devrait à l’avenir également être applicable dans le cas où les pays d’origine refusent de coopérer pour leur rapatriement. »
D’autres mesures légales de durcissement décidées concernent l’obligation de résidence des demandeurs d’asile qui présentent de fausses déclarations d’identité. Cela affectera principalement les réfugiés ayant fui la guerre civile et qui sont dans l’impossibilité de voyager avec des documents d’identité ou qui ont été contraints par les passeurs à les jeter.
Les États qui refusent d’accepter des demandeurs d’asile déboutés par l’Allemagne devront à l’avenir faire face à des sanctions, soit par la suppression de l’aide au développement, soit par un durcissement des conditions d’obtention de visas pour les voyageurs. Lors de la conférence de presse Maas a déclaré : « Nous devons renforcer les obligations des pays d’origine. Nous ne devrions pas exclure le retrait de l’aide financière. Il faut comprendre que quiconque ne coopère pas sera sanctionné. »
Les deux ministres ont expressément évité de traiter des projets que de Maizière avait soumis précédemment en vue d’une restructuration radicale des autorités de sécurité allemandes au moyen de leur centralisation et de l’abolition de la séparation entre la police et les agences de renseignement. Ces exigences, qui figurent dans ses lignes directrices en vue d’un État fort, visent à transformer l’Allemagne en un État policier.
C’est aussi de cette manière que fut décidé le durcissement de la loi qui supprima les droits démocratiques notamment pour les réfugiés et des immigrants. L’attentat de Berlin est systématiquement exploité pour jeter une suspicion généralisée sur les étrangers, en particulier les réfugiés et les immigrants venant d’Afrique du Nord, et pour renforcer massivement l’appareil d’État.
Le déploiement de la police la veille du Nouvel An à Cologne, lors duquel des milliers de contrôles d’identité furent effectués sur des critères de l’apparence non allemande et leur interdisant de circuler dans les environs, a été favorablement accueilli par tous les partis représentés au parlement comme une mesure très dure mais nécessaire pour venir à bout d’étrangers prétendument agressifs et prêts à recourir à la violence.
Dans le cas d’Anis Amri, la police et les services de renseignement avaient eu d’étroits contacts des mois durant avec l’auteur supposé de l’attentat de Berlin et étaient parfaitement au courant de son intention de commettre une attaque terroriste. L’attentat, qui tua 12 personnes et en blessa des dizaines d’autres, eut lieu sous le nez des services de sécurité, et incite à se poser la question : Amri a-t-il pu agir comme il l’entendait pour que l’on puisse justifier une réorganisation des autorités de sécurité et une restriction drastique des droits démocratiques ?
Mais pratiquement personne ne remet cela en question. La raison en est que tous les partis politiques s’accordent sur l’abolition des droits démocratiques, l’extension de la surveillance et des pouvoirs de la police ainsi que sur la centralisation accrue des agences de sécurité. Cela ne s’applique pas seulement aux partis au pouvoir, mais aussi au parti La Gauche (Die Linke) et aux Verts.
Après que la présidente des Verts, Simone Peter, ait été violemment réprimandée publiquement pour avoir critiqué la police de Cologne la veille du Nouvel An, tous les dirigeants des partis réclament à présent une extension de la vidéosurveillance et une accélération des déportations.
La dirigeante de Die Linke, Sahra Wagenknecht, a entre-temps repris à son compte les slogans du parti d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) en voyant dans l’afflux des réfugiés la raison de l’attentat de Berlin. Elle a dit littéralement : « En plus de l’ouverture incontrôlée des frontières [allemandes], la police a été détruite à force de faire des économies et ne dispose plus ni d’effectifs ni du matériel technique appropriés à la situation de risque. »
(Article original paru le 14 janvier 2017)