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Attentat terroriste de Berlin

Certaines parties de l’appareil d’État tenteraient-elles de déstabiliser le gouvernement allemand ?

Par Johannes Stern
4 janvier 2017

Une personne soupçonnée d’être un contact d’Anis Amri, l’auteur présumé de l’attentat perpétré la semaine passée contre un marché de Noël, a été arrêté mercredi à Berlin. Le suspect est un Tunisien de 40 ans qui vit à Berlin. C’est ce que le magazine Der Spiegel aurait appris des milieux des services de sécurité.

Les circonstances de l’interpellation sont tout aussi confuses que celles de l’attentat qui eut lieu le 19 décembre. Toutes les informations fournies par les autorités et qui ont été relatées dans les médias sont extrêmement contradictoires et renforcent le soupçon selon lequel certaines parties de l’appareil d’État étaient informées de l’attentat et ont soit permis qu’il se produise, soit même l’ont soutenu indirectement.

Aux dires du Spiegel, les enquêteurs ont localisé le Tunisien qui a fait l’objet d’une arrestation grâce à l’analyse des données des communications électroniques attribuées à Amri. Les enquêteurs auraient entre autres trouvé un téléphone portable dans la cabine du camion qui avait foncé sur le marché de Noël. Selon le procureur fédéral, le numéro de téléphone de la personne interpellée était mémorisé sur le portable.

Ce téléphone n’aurait été découvert que mardi en même temps que le portefeuille d’Amri après une nouvelle fouille du camion qui avait été transporté sur le terrain de la caserne Julius Leber à Berlin. Selon la police berlinoise, la découverte tardive est due au « travail méticuleux effectué sur le lieu du crime. » Les agents de police auraient procédé selon le principe « efficacité avant rapidité. »

De qui la police de Berlin se moque-t-elle ? Du point de vue de l’enquête il est incompréhensible que la « rapidité » ne soit pas une priorité absolue dans la recherche d’un individu supposé armé et responsable d’un attentat terroriste. De plus, l’on sait depuis longtemps qu’Amri avait été placé sous surveillance dès le tout début. Il y a une semaine Zeit Online avait relaté : « Alors que l’opinion publique se demandait encore mardi si le jeune pakistanais avait commis l’attaque, les enquêteurs suivaient depuis longtemps une nouvelle piste menant à A. »

Actuellement l’on rapporte qu’avant d’avoir vraisemblablement été abattu dans la nuit du 22 au 23 décembre par un policier italien à Milan, Amri avait fui via plusieurs pays européens. « L’on suppose qu’Amri avait pris le train à la gare de Lyon à destination de l’Italie. Auparavant, il aurait aussi été aux Pays-Bas », ont dit au Spiegel des enquêteurs de la police criminelle fédérale (BKA).

Est-il pensable qu’Amri ait pu traverser une série de pays européens sans que les forces de sécurité le sachent ?

Il est clair que, suite aux informations qui ont fini par faire surface, Amri a commis l’attentat sous le nez des autorités. Au printemps de 2016, le jeune tunisien de 24 ans avait même été conduit à Berlin par un indicateur secret du service de renseignement intérieur, l’Office fédéral de protection de la constitution (BundesverfassungsschutzBfV). Il fut placé sous haute surveillance à Berlin et eut d’étroits liens avec des agents infiltrés (V-Leute) du BfV avec lesquels il a discuté d’obtenir des armes lourdes.

Au vu de l’histoire allemande et de la manière dont l’attentat est utilisé, il serait politiquement naïf d’exclure une implication d’une partie de l’appareil d’État.

Dans un article précédent (en anglais), nous remarquions que les provocations politiques ont tout spécialement en Allemagne une longue tradition. Berlin est la ville où eut lieu l’incendie du Reichstag que les nazis avaient organisé en 1933 afin d’établir leur dictature et écraser toute opposition. Les services secrets de la République fédérale furent mis en place par d’influents nazis et ils furent durant la période d’après-guerre plusieurs fois impliqués dans des complots de droite, dont la démission en 1974 du chancelier social-démocrate Willy Brandt. Les services secrets furent également mêlés à l’attentat de l’Oktoberfest (en anglais) en 1980, la pire attaque terroriste de l’histoire d’après-guerre de l’Allemagne.

Les services de sécurité ont noué ces dernières années d’étroits liens avec les milieux de l’extrême-droite et de l’extrémisme islamique dans le but de promouvoir leurs objectifs profondément réactionnaires en matière de politique intérieure et extérieure. Dans les années 1990 et durant la première décennie des années 2000, le groupe terroriste d’extrême-droite NSU a commis au moins dix meurtres sous le nez du service de renseignement intérieur.

Le soutien indirect et secret accordé par le gouvernement allemand aux milices islamiques dans la guerre pour un changement de régime en Syrie a consolidé les liens entre les services secrets allemands et ces forces qui ont été en mesure de faire par centaines des allers-retours entre l’Europe et le Moyen-Orient.

Il existe des parallèles évidents entre l’attentat de Berlin, les assassinats commis par le NSU et l’attentat contre la Fête de la bière (Oktoberfest). Dans ces trois cas, les auteurs ou les auteurs présumés ont agi dans un milieu où pullulaient des agents infiltrés et sont tous morts.

Il n’existe à ce jour pas de preuves solides selon lesquelles des sections de l’appareil sécuritaire ont laissé faire Amri, ou si elles l’ont peut-être même directement guidé pour commettre l’attentat dans le but de déstabiliser le gouvernement Merkel et provoquer un tournant prononcé vers la droite de la politique allemande. Il est toutefois clair que des sections de l’appareil de sécurité insistent depuis longtemps sur le remplacement de Merkel.

Le journal Welt am Sonntag avait déjà publié en octobre 2015 un article intitulé « Les responsables de la sécurité attendent impatiemment le départ de Merkel ». L’article fait état d’une « résistance massive » à la politique de Merkel sur les réfugiés qui est considérée comme « illégitime » par le milieu des services secrets et le renseignement. « L’inquiétude croît de jour en jour, surtout dans les rangs du service de la protection de la constitution, au sein de l’Office fédéral de la police criminelle (Bundeskriminalamt, BKA), au sein du Service fédéral de renseignement (BND) et de la police fédérale face à la perte de contrôle et à l’immigration de masse sans discernement », peut-on lire dans cet article.

L’agressive chasse aux sorcières menée contre les réfugiés et le réarmement massif de l’appareil d’État au cours de ces derniers jours montrent que des sections croissantes de la classe dirigeante sont déterminées à installer un gouvernement encore plus droitier en dépit de la volte-face opérée par Merkel sur les réfugiés. Les politiciens de droite, les journalistes et les professeurs s’expriment et écrivent comme si la dictature nationale-socialiste et l’Holocauste n’avaient jamais eu lieu en Allemagne.

Un commentaire paru dans le Berliner Morgenpost accuse la « direction politique du pays » de ne rien faire et de fêter plutôt Noël. En vertu de son pouvoir de décision, Merkel « aurait pu taper du poing sur la table » et faire preuve de « force et de leadership. » Ce qu’il faut maintenant c’est un « maximum de moyens juridiques » et de nouvelles lois telles « le bracelet électronique pour les individus dangereux. » L’auteur ajoute ensuite de manière provocante : « Attention, une thèse osée : ce n’est pas le quatrième Reich qui revient si l’on surveille, 24 heures sur 24, 550 personnes hautement dangereuses ou du moins ceux n’ayant aucun droit de séjour. »

Le chroniqueur de droite bien connu Jan Fleischhauer fulmine dans son dernier article sur Spiegel Online : « Je n’ai par exemple aucune objection à ce que des gens qui jettent leurs papiers d’identité dans le but de ne pas pouvoir être déportés soient mis en prison, au pain et à l’eau, jusqu’à ce qu’ils se souviennent d’où ils viennent. J’estime aussi que ce n’est pas très grave d’arrêter quelqu’un qui, en attendant sa déportation, s’adonne au trafic de drogue et passe son temps à se bagarrer. » Il attend de l’État « […] de réagir, sans états d’âme, avec un peu plus de dureté. »

Le professeur Jörg Baberowski de l’université Humboldt, qui apparaît de plus en plus souvent comme le mégaphone de l’extrême-droite, avait tenu le même discours quelques jours seulement après l’attentat. « Horst Seehofer, a bien sûr raison quand il dit que nous devons maintenant en raison […] de ces terribles incident, repenser la politique d’immigration », a-t-il expliqué sur la chaîne allemande ZDF. L’on devait envisager de « faire installer des caméras vidéosurveillance dans les lieux publics, de permettre aux policiers de patrouiller dans les endroits animés » et « de punir plus sévèrement et expulser les individus dangereux du pays et les auteurs de crimes violents. »

Des points de vue comme ceux de Baberowski et de Fleischhauer sont à peine discernables de ceux de l’AfD et d’autres groupes d’extrême-droite qui exigent depuis longtemps le renversement de Merkel.

Le dernier numéro paru du magazine d’extrême-droite Compact a en Une un article au titre provocateur : « Le dernier combat de Merkel : les derniers jours dans l’abri de la chancelière. » Compact a tissé des liens étroits avec l’AfD et Pegida mais également avec certaines sections de l’appareil de sécurité et de l’armée. À l’automne 2015, le magazine avait publié trois lettres ouvertes du général Gerd Schultze-Rhonhof qui avait demandé à Merkel de « démissionner de ses fonctions » et de confier jusqu’aux prochaines élections, la gestion des affaires courantes au président du troisième parti gouvernemental, M. Seehofer. »

Bien que Merkel ait opéré un brutal virage à droite lors du dernier congrès de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), la tendance en faveur d’un coup au sein de son parti prends de l’ampleur. Dans un article intitulé « Des guérillas CDU-Merkel », le journal conservateur Die Welt fait état d’une « aversion pour la dirigeante du parti Angela Merkel et sa probable candidature de favorite pour les élections au Bundestag en 2017 ». « Suite à l’accueil controversé de plusieurs centaines de réfugiés dans tout le pays », il existe des « cercles chrétien-démocrates » au sein du CDU qui considèrent les partisans de Merkel comme des « adversaires politiques » en cherchant à « effectuer un virage à droite dans leur parti. »

La responsabilité politique pour le dangereux tournant à droite en Allemagne incombe au SPD, au parti Die Linke (La Gauche) et aux Verts. Leur réaction face à l’extrême-droite a été d’adopter sa politique et de faire la promotion de davantage de police et de déportations plus rapides. Une authentique lutte contre l’extrême-droite en Allemagne – contre le militarisme, la dictature et la contre-révolution sociale – requiert le développement du Parti de l’Égalité sociale (Partei für Soziale Gleichheit), un mouvement indépendant de la classe ouvrière s’appuyant sur les principes du socialisme international.

(Article original paru le 29 décembre 2016)