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Les manifestations de masse contre Trump et le rôle du Parti démocrate

Par Bill Van Auken
2 février 2017

Mardi a marqué le quatrième jour de manifestations contre le décret cruel et extralégal du gouvernement Trump, qui interdit l'entrée aux États-Unis aux citoyens de sept pays musulmans ravagés par l'armée américaine, ainsi qu'aux réfugiés du monde entier.

Des centaines de milliers de personnes ont manifesté dans les aéroports et les centres villes des États-Unis et du monde entier contre cette mesure draconienne, et pour défendre les droits démocratiques et les acquis sociaux. Ces manifestations s'inscrivent dans une radicalisation politique qui se poursuit face au gouvernement le plus à droite de l'histoire américaine. Après 16 ans de la «guerre contre le terrorisme», menée sous les démocrates et les républicains, les manifestations montrent que des masses de gens rejettent le chauvinisme antimusulman et le militarisme qui ont servi à justifier l'agression et les crimes de guerre impérialistes.

Des millions de personnes sont scandalisées par la brutalité infligée aux hommes, aux femmes et aux enfants à qui l'on interdit soudain de retourner à leurs foyers, leurs familles et leurs emplois.

Des démocrates dont Barack Obama et le chef de la minorité du Sénat, Charles Schumer, s'associent aux protestations dans un effort de les rendre aussi inoffensives que possible. Cependant, un vaste fossé sépare les sentiments humains et démocratiques qui animent les protestations et les objectifs fondamentalement réactionnaires qui sous-tendent la réponse du Parti démocrate au gouvernement Trump.

Les démocrates et leur candidat présidentiel, Hillary Clinton, ont fait campagne en tant que parti de Wall Street, du Pentagone et du renseignement, concentrant leurs critiques de Trump sur sa prétendue «mollesse» envers la Russie. Leur campagne néo-MacCarthyite affirmait, sans jamais fournir de justification, que Moscou avait manipulé les élections américaines pour soutenir Trump. C'est cette thématique réactionnaire, ainsi que la promotion de la politique identitaire et à l'indifférence aux intérêts et aux préoccupations des travailleurs, qui a permis à Trump de se poser démagogiquement en adversaire de l'establishment.

Les dix premiers jours de la présidence de Trump ont attisé la colère et la révolte populaires contre la menace de rafles contre les immigrés, l'interdiction de musulmans, les menaces belliqueuses de guerre et la promotion ouverte de la torture par Trump. Toutefois, les démocrates n'ont nullement abandonné les thèmes réactionnaires de leur campagne.

Paul Krugman, l'économiste et commentateur du New York Times qui a inconditionnellement soutenu Clinton, écrit : «Nous avons vécu un peu plus d'une semaine du régime Trump-Poutine, et il est déjà difficile d’énumérer le nombre de désastres.»

Les différends entre les démocrates et Trump ne reflètent pas des intérêts de classe divergents. Tous représentent la même oligarchie. Ils ne touchent pas pas non plus aux principes démocratiques. Il s’agit plutôt de différends sur comment promouvoir les intérêts stratégiques de l'impérialisme américain. La question primordiale est de savoir comment l'interdiction des musulmans et les autres politiques menées par Trump impacteront la confrontation avec la Russie et la Chine, ainsi que les opérations militaires américaines au Moyen-Orient.

C'est le thème d'un article publié mardi dans le New York Times par David Leonhardt, intitulé : « Rendre la grandeur à la Chine ». Le ton est donné pour tout l’article par sa première phrase: "Les rivaux et les ennemis de l'Amérique ont connu une très bonne dizaine de jours."

S’exprimant ouvertement en partisan de l'impérialisme américain, il dit que si l’Etat islamique exploitera sans doute l'interdiction des musulmans, « ce n'est pas un rival sérieux des États-Unis. Le bénéficiaire final serait plutôt le principal concurrent mondial de l'Amérique, la Chine ».

En première ligne pour contre le décret de Trump, on trouve le défenseur le plus improbable des refugiés et de migrants musulmans : Michael Morell, l’ancien directeur par intérim de la CIA. Un partisan de Clinton, il a dénoncé avec véhémence l'ingérence russe présumée aux élections américaines afin de dépeindre Trump en agent de Poutine.

Morell, qui a défendu publiquement les tortures et les assassinats par drones, a participé de près à la transformation en réfugiés de millions de personnes et le massacre de centaines de milliers d’autres dans des guerres orchestrées par la CIA en Libye et en Syrie. Interrogé sur le CBS News lundi dernier, il a dénoncé le décret de Trump non pas pour son caractère antidémocratique, mais parce qu'il « renforce le récit de l’Etat islamique, » c'est-à-dire qu’il nuit aux efforts de Washington pour imposer son hégémonie au Moyen-Orient.

Morell s'inquiétait que le décret interdit l’entrée aux Etats-Unis à des Irakiens qui ont collaboré avec l'armée américaine. Cela aurait, disait-il, « un effet dissuasif sur la collaboration étroite des gens avec l'armée américaine ».

Morell a également exprimé une forte opposition à l'ordre exécutif de Trump pour nommer son «stratège en chef», l'ex-patron de Breitbart News Stephen Bannon, au Comité directeur du Conseil de sécurité nationale (NSC), tout en limitant la participation du chef de l’état-major des armées et le directeur du renseignement national.

Dans son éditorial mardi, le Times reprend ce même thème. Intitulé «président Bannon» et publié avec un graphisme sinistre de la moitié du visage de Bannon surimposé sur celui de Trump, l'éditorial ne se soucie pas tant du néo-fascisme du Bannon que du danger que sa nomination au NSC ne «politise» la sécurité nationale et ne diminue le pouvoir de l'armée et de l'appareil de renseignement.

« Imaginez demain », conclut l'éditorial, « si M. Trump est confronté à une crise avec la Chine en mer de Chine méridionale ou la Russie en Ukraine. Se tournera-t-il pour des conseils vers son principal provocateur politique, M. Bannon, avec son penchant pour faire exploser les choses, ou se tournera-t-il enfin vers des spécialistes plus expérimentés et réfléchis de son gouvernement, comme le secrétaire à la Défense Jim Mattis et le général Dunford »?

Ici, le Times s'inquiète que quelque chose pourrait interrompre l'escalade des menaces envers à la fois la Russie et la Chine initiée sous Obama. Ces dossiers, selon le Times, doivent rester entre les mains « expérimentées » du Pentagone et de la CIA.

Parmi les déclarations les plus révélatrices sur ce thème est un commentaire mardi par le magazine Atlantic intitulé «Les généraux de Trump organisent-ils une défense des institutions démocratiques?» Il précise que lorsque Trump a nommé d’ex-commandants militaires dont les secrétaires de la Défense et de la Sécurité intérieure, et le conseiller de Sécurité nationale, «certains progressistes craignaient que [...] la forte présence de militaires ne nuise au précieux contrôle civil qui est une caractéristique principale du gouvernement des États-Unis».

Ces « progressistes » semblent avoir changé d'avis : selon l'article, «les généraux pourraient restreindre Trump». Ils ont « une bonne connaissance de la loi et de leurs propres obligations» et «se soucient profondément des règles et des procédures, et du sens de l'ordre. »

L'article ajoute avec un air approbateur qu'il n’est « pas rare pour les généraux, habituellement les officiers en service, de servir de contre-pouvoir vis-à-vis des élus, sous diverses formes. En Turquie, les militaires ont protégé les normes laïques et ont renversé à plusieurs reprises des gouvernements civils que les généraux estimaient s’être écartés des principes nationaux ».

En voulant se rattraper, l'auteur ajoute: «Même si l'on pense que Trump agit de façon illégale, un coup d’état de facto est aussi illégal. Il n'y a aucune bonne option. »

Telle est la logique des politiques du Parti démocrate et l’effondrement de la démocratie américaine sous le poids de l'inégalité sociale et de décennies de guerre que le pouvoir militaire est posé comme alternative à celui de Trump.

La crise du capitalisme américain et mondial confronte la classe ouvrière avec de graves dangers : la guerre et de la dictature. Elle ne peut défendre ses droits sociaux et démocratiques fondamentaux qu'à travers une rupture irrévocable avec le Parti démocrate et la mobilisation de sa force indépendante dans une lutte politique pour mettre fin au système capitaliste.

(Article paru en anglais le 1 février 2017)