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Le choix de Stephen Bannon par Trump : une nouvelle étape dans la crise de la démocratie américaine

Par Joseph Kishore
16 novembre 2016

L’annonce par le président nouvellement élu Donald Trump qu’il nomme le chef de la rédaction de Breitbart News, Stephen Bannon, comme son « stratège en chef », et l’absence de toute opposition significative du Parti démocrate, a une grande importance politique. Un homme avec des liens directs avec des organisations fascistes, racistes et du suprémacisme blanc sera le bras droit du président, avec un immense pouvoir pour déterminer la politique gouvernementale.

La montée de Trump au pouvoir signale un réalignement politique drastique au sein de la classe dirigeante américaine. Le résultat mardi dernier a été le produit, selon les mots d’Obama, d’une « mêlée intra-muros » au sein de la classe dirigeante. À partir de ce conflit, une nouvelle orientation politique fondamentalement antidémocratique et d’extrême droite a été déterminée.

Trump s’est persuadé qu’il pourrait choisir Bannon sans faire de vagues parce qu’il sait que le Parti démocrate n’a aucun intérêt à défendre les droits démocratiques les plus élémentaires. La réaction soumise des démocrates bien en vu à son élection, d’Obama et Hillary Clinton à Bernie Sanders et Elizabeth Warren, l’a amené à conclure qu’il peut aller encore plus loin dans la mise en place d’un gouvernement d’extrême droite porteur d’une politique extrêmement réactionnaire.

Le niveau d’indifférence, de complaisance et de collaboration au sein du Parti démocrate a été illustré dans la conférence de presse d’Obama lundi, la première depuis l’élection de Trump.

Obama a refusé de commenter quand on l’a interrogé sur la désignation de Bannon, en disant qu’il « lui revient [à Trump] de constituer une équipe » et qu’il était « important pour nous de le laisser prendre ses décisions ». Obama a poursuivi en louant sa « discussion cordiale » avec le président nouvellement élu et a dit que le peuple américain doit « se faire » à l’idée d’une présidence Trump. Pour Obama, sa propre tâche, a-t-il ajouté, est d’être « aussi utile que possible pour l’aider à avancer en s’appuyant sur les progrès que nous avons réalisés ».

La réponse des démocrates à l’élection de Trump est d’autant plus remarquable étant donné les circonstances de l’élection elle-même. Pour la deuxième fois en seize ans, une élection aux États-Unis n’a pas été déterminée par le vote populaire, mais par le Collège électoral. Ce résultat, qui avant le vol de l’élection de 2000 ne s’était pas produit pendant 112 ans, n’a suscité aucune objection de la part des démocrates.

Lors de sa conférence de presse, Obama n’a rien dit du fait que Trump a perdu le vote populaire de deux millions de voix ou que les deux États les plus importants sur le plan économique ont voté contre lui par de larges marges. Il n’a pas noté qu’une fois que toutes les voix auront été comptées, Trump aura probablement reçu moins de voix que Mitt Romney en 2012, quand il fut battu par Obama. Il n’a pas suggéré qu’en raison de cela, le président entrant n’a pas un mandat populaire pour mettre à exécution les mesures de droite qu’il envisage d’entreprendre.

Ces derniers jours, Trump a commencé à tracer la trajectoire politique de son gouvernement. Dans un entretien dans l’émission « 60 minutes » dimanche, il s’est engagé à arrêter et détenir « deux millions, cela pourrait même être trois millions » d’immigrés. La Cour suprême sera acquise à sa cause avec des juges « pro-vie » susceptibles d’annuler le droit à l’avortement et Trump a laissé ouverte la possibilité de lancer une enquête criminelle à l’égard de son ancienne rivale dans l’élection, la démocrate Hillary Clinton.

Rien de tout cela ne provoque un minima de protestation du côté du Parti démocrate. Tout ce qui préoccupe les démocrates actuellement est d’assurer une « transition ordonnée du pouvoir » Mais une transition vers où ?

Si Trump représente quelque chose de nouveau dans la politique américaine, ce n’est pas tout à fait une rupture avec le passé. Avec son élection, la classe dirigeante accélère la mise en œuvre d’une orientation extrêmement antidémocratique qui évolue depuis plus d’un quart de siècle.

Après la dissolution de l’Union soviétique, les idéologues de la classe dirigeante américaine proclamèrent la « fin de l’histoire ». Le capitalisme avait triomphé, ce qui devait entraîner une période de paix et d’expansion de la démocratie libérale. La réalité a été autre, produisant vingt-cinq ans de guerre sans fin, l’aggravation de la crise économique, de niveaux historiquement sans précédent d’inégalité sociale et la destruction des formes les plus élémentaires de gouvernement démocratique.

En décembre 2000, avant la décision de la Cour suprême dans Bush v. Gore qui arrêta le dépouillement des votes en Floride et remit l’élection à George W. Bush, le WSWS avait écrit que le résultat des délibérations mettrait en évidence « dans quelle mesure la classe dirigeante américaine est disposée à rompre avec les normes bourgeoises-démocratiques et constitutionnelles traditionnelles ». Le refus du Parti démocrate d’arrêter ce qui était un putsch politique – le vol d’une élection – a démontré qu’il n’y avait pas de faction significative au sein de la classe dirigeante pour la défense des droits démocratiques.

Tout ce qui s’est passé depuis a prouvé ce fait. Moins d’un an après son arrivée au pouvoir, le gouvernement Bush s’est emparé des attentats du 11 septembre 2001 pour lancer une « guerre contre le terrorisme », en réalité, une justification politique pour une guerre sans fin à l’étranger et la destruction des droits démocratiques aux États-Unis.

Depuis son élection en 2008, Obama a intensifié l’attaque sur les formes de gouvernement démocratique. Dans les doctrines politiques et les actions de l’exécutif, la Maison Blanche d’Obama a affirmé le pouvoir présidentiel d’assassiner des citoyens américains sans aucune mise en accusation. Les tortionnaires et les criminels de guerre du gouvernement Bush sont restés impunis, tandis que le pouvoir de l’appareil de renseignement, de la police et de l’armée s’est énormément accru.

Beaucoup de ce qui se passait, en partie dans les coulisses, sous Obama prendra une forme beaucoup plus directe sous Trump. Une forme d’autoritarisme américain est en train de naître, qui sera utilisé dans la suppression de plus en plus violente des luttes de la classe ouvrière.

Avec l’élection de Trump, la classe dirigeante affûte ses armes et se prépare à les utiliser. En même temps, le nationalisme économique de Trump, loin de marquer un recul de la violence militariste, est l’antichambre de la troisième guerre mondiale. Face à une crise mondiale prolongée, la classe dirigeante américaine cherchera à maintenir sa position de domination mondiale par une agressivité toujours plus flagrante.

Des tentatives sont en cours pour minimiser l’importance de ce qui s’est passé. Les médias corrompus américains s’adaptent au nouveau régime d’extrême droite. Le New York Times, après avoir fait campagne pour Clinton tout au long de l’élection, a présenté des excuses à plat ventre pour ses reportages. Ses chroniqueurs, qui ont précédemment réprimandé ceux qui ne soutenaient pas la campagne du Parti démocrate, conseillent maintenant qu’il est nécessaire d’« accorder du temps à Trump » pour voir ce qu’il va faire.

De telles expressions soporifiques sont des exercices de lâcheté et de tromperie.

La leçon fondamentale qui doit être tirée est que l’opposition à la réaction politique, à la guerre et à l’inégalité ne peut pas être menée dans, par, ou en alliance avec n’importe quelle faction du Parti démocrate. Alors que Trump représente une alliance de Wall Street et des forces fascistes, le Parti démocrate est une alliance politique de Wall Street et des sections privilégiées, complaisantes et égoïstes de la classe moyenne supérieure.

Les démocrates sont beaucoup plus effrayés par les conséquences de l’agitation de l’opposition dans la classe ouvrière que par les différends tactiques avec Trump. Ils sont conscients de l’énorme niveau d’opposition populaire qui existe, dirigé contre les deux partis politiques, et sont résolus à empêcher que cette opposition trouve un moyen d’expression politique. Pas un seul responsable du Parti démocrate ne s’est ouvertement déclaré solidaire avec les protestations contre l’élection de Trump ou n’a exprimé sa sympathie pour les manifestants, sans même parler de se joindre à eux.

Alors que la victoire électorale de Trump marque un changement majeur vers la droite par la classe dirigeante américaine, des millions de travailleurs et de jeunes s’orientent dans une direction politique différente. Trump a pu exploiter la colère sociale en raison de la faillite politique du Parti démocrate, dans des conditions d’effondrement général de la participation électorale et d’une hostilité profonde envers l’ensemble de l’establishment politique. Cependant, la grande majorité de ceux qui ont voté pour Trump n’ont pas voté pour un régime fasciste, et à mesure que le caractère de son gouvernement se révélera, l’opposition sociale et politique se développera.

Le Socialist Equality Party (Parti de l’égalité socialiste) et ses candidats, Jerry White et Niles Niemuth, ont participé aux élections de 2016 pour jeter les bases politiques d’un mouvement socialiste de la classe ouvrière. Le but fondamental de notre campagne était de construire une direction dans la classe ouvrière pour s’apprêter aux luttes à venir, que ce fût Trump ou Clinton à la Maison Blanche.

L’élection de Trump souligne la nécessité urgente de cette tâche. L’opposition au gouvernement Trump et aux politiques qu’il poursuivra doivent être développées et organisées dans tout le pays. Tous les travailleurs et les jeunes à la recherche d’un moyen de se battre doivent tirer les conclusions nécessaires des élections de 2016 et rejoindre et construire le Parti de l’égalité socialiste et l’Internationale des jeunes et étudiants pour l’égalité sociale.

(article paru en anglais le 15 novembre 2016)